vih Pourquoi l’argent du Fonds mondial n’arrive-t-il plus en Tunisie ?

02.06.16
Frédérique Prabonnaud
4 min

Grâce à l’activisme des associations, la Tunisie a obtenu une subvention de 11,5 millions de dollars du Fonds mondial. Mais pas un dinar n’a pu être débloqué depuis le début de l’année.

« La Tunisie risque de devenir séropositive ! » : signé par des médecins, des professionnels de santé et des citoyens, cet appel publié en février dernier dans le Tunisie Telegraph s’adresse au ministre de la Santé pour que soit enfin signée la convention avec le Fonds mondial de lutte contre le sida. À la clé : 11,5 millions de dollars, soit 23 millions de dinars tunisiens !

Le conseil d’administration du Fonds mondial a approuvé in extremis en fin d’année dernière cette subvention pour la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2018. Mais, dans le cadre du nouveau modèle du Fonds (« the New Funding Model »), les règles ont changé, et le gouvernement tunisien doit d’abord signer une nouvelle convention avec le Fonds pour que l’argent soit débloqué. Ce qu’il refuse.

Fin avril, rien n’avait encore été signé, et pas un dollar des millions promis n’avait été versé

Fin avril, rien n’avait encore été signé, et pas un dollar des millions promis n’avait été versé

Dans un tweet répondant à la tribune et à la pétition qui lui sont adressées, le ministre de la Santé s’explique : « Le ministère ne peut signer l’accord-cadre concernant le Fonds mondial que si les réserves émises de sa part, relatives aux immunités et privilèges, à la responsabilité de l’État tunisien à l’indemnisation et à l’arbitrage, sont prises en considération et ce, compte-tenu des dispositions de la constitution tunisienne qui ont réservé ces matières au domaine de la loi ».

Trois clauses empêchent la signature, confirme une représentante du Fonds à Transversal – privilèges, arbitrage et indemnités. Sans entrer dans les détails techniques, ces articles toucheraient, selon Tunis, à la souveraineté de l’État et le projet doit donc être examiné par le Parlement. Les 18 et 19 avril derniers, une mission du Fonds s’est rendue à Tunis pour discuter avec le ministère de la Santé et celui des Affaires étrangères. Mais fin avril, rien n’avait encore été signé, et pas un dollar des millions promis n’avait été versé.

Sur le terrain, plus du tiers (35%) de cet argent doit aller aux associations, qui se sont battues pour que leur pays reste éligible au Fonds mondial et continue de soutenir la lutte contre le sida. Avec 2 700 personnes vivant avec le VIH selon Onusida, la Tunisie enregistre une faible prévalence (inférieure à 0,1% chez les adultes), mais l’épidémie se concentre chez les populations clés (usagers de drogues, hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes, professionnelles du sexe, migrants). La région figure en outre parmi celles où l‘augmentation des nouveaux cas reste l’une des plus élevées au monde : le nombre de personnes ayant contracté le VIH au Moyen-Orient et en Afrique du Nord s’est accru de 26% entre 2000 et 2014.

Des conséquences catastrophiques

La région figure parmi celles où l‘augmentation des nouveaux cas reste l’une des plus élevées au monde

La région figure parmi celles où l‘augmentation des nouveaux cas reste l’une des plus élevées au monde

Dans ce contexte, les associations comptent sur l’argent du Fonds pour renforcer la riposte. L’Association tunisienne de prévention positive (ATP+) détaille les principaux projets associatifs qui pourront être financés : quatre hôpitaux de jour pour les personnes vivant avec le VIH ; traitement et prise en charge des étrangers pour le sida, la tuberculose et l’hépatite C ; embauche de 70 à 80 nouveaux salariés et de 100 éducateurs pairs ; mise en place d’un centre de lutte contre la toxicomanie à Tunis.

Un recul en matière de prévention, de droits humains, d’accès aux soins, de discrimination

Un recul en matière de prévention, de droits humains, d’accès aux soins, de discrimination

Pour Souhaila Bensaid, sa présidente, les conséquences du non-versement de la subvention seraient donc catastrophiques : « plus de travail de terrain des éducateurs pairs pour la prévention chez les populations clés ; plus d’éducation thérapeutique pour les personnes vivant avec le VIH ; plus d’assistance alimentaire, scolaire, juridique ; achat de médicaments qui ne sont pas pris en charge par le ministère de la Santé ; plus de prévention de transmission mère-enfant ni d’achat de lait pour bébés et de couches ». Un recul en matière de prévention, de droits humains, d’accès aux soins, de discrimination…, craint ainsi celle qui reçoit chaque jour des témoignages de personnes séropositives victimes de discrimination ayant besoin d’être accompagnées. 

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