Ouverture de la prescription aux sage-femmes, offre de PrEP à l’issue d’un TPE, arrivée prochaine du cabotégravir injectable… Publiées début août 2024 les nouvelles recommandations françaises proposent plusieurs leviers pour accroître plus largement la couverture de PrEP chez les personnes à haut risque d’infection
Remboursée depuis janvier 2016, la PrEP connaît un succès indéniable. Dans son bilan au 30 juin 2023, le réseau Epiphare[i] estimait à 52.802 le nombre d’usagers au premier semestre 2023, soit 24 % de plus en un an. Pourtant, elle demeure en grande partie circonscrite aux hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH), vivant dans les grandes métropoles. Quant aux femmes, elles ne constituaient que 4,6 % des PrEPeur.se.s, tandis que la part des bénéficiaires de l’Aide médicale d’Etat (AME) n’était que de 0,1 %.
Or, face à l’objectif de mettre fin à l’épidémie à l’horizon 2030, il y a urgence à déployer plus largement cet outil de santé publique, hautement efficace. Non seulement chez les HSH, encore insuffisamment couverts, mais aussi à tout public à risque élevé d’infection par le VIH, tels qu’hétérosexuels multipartenaires, travailleur.se.s du sexe (TDS), migrants originaires de pays à forte prévalence (dont l’Afrique subsaharienne), HSH étrangers, etc. Tel est le sens des recommandations publiées le 6 août par la Haute autorité de santé (HAS), l’ANRS-MIE[ii] et le Conseil national du sida et des hépatites virales (CNS).
Saisir de nouvelles occasions de prévention
Pour les experts à l’origine de ces recommandations, il s’agit notamment d’accroître les occasions de proposer la PrEP aux personnes les plus à même d’en bénéficier. Après l’ouverture de la primo-prescription à la médecine de ville (dont les généralistes) en juin 2021, ils proposent de l’étendre aux sage-femmes. Selon Cédric Arvieux, coordinateur du groupe de travail PrEP/TPE de la HAS, exerçant au service des maladies infectieuses du CHU de Rennes, « les médecins généralistes n’abordent pas beaucoup la sexualité avec leurs patientes, alors que celles-ci viennent justement voir la sage-femme pour cela. L’idée est d’améliorer l’accès des femmes à la PrEP ».
Par ailleurs, les recommandations proposent d’envisager la PrEP à l’issue du traitement post-exposition (TPE), « si l’on estime que le risque d’exposition va se répéter ». « La population à qui on propose le TPE, par exemple suite à un rapport anal non protégé entre hommes, c’est aussi celle à qui on propose la PrEP. Cela ne veut pas dire qu’on va systématiquement prescrire une PrEP, mais il est rare que les gens ne s’exposent qu’une seule fois à un risque important de contamination », ajoute Cédric Arvieux.
Autre apport de ces recommandations, une fluidification de l’offre de PrEP, avec notamment un suivi plus souple : au lieu de la consultation trimestrielle, pas forcément utile lorsque le traitement est bien pris, les experts proposent une fréquence « de trois à six mois » (après la première visite à un mois), selon les besoins des patients – dont la fréquence des rapports sexuels à risque. Selon eux, « toute personne ayant un haut risque d’exposition au VIH doit pouvoir bénéficier de la PrEP », au-delà de l’appartenance à tel ou tel groupe à risque. Dans tous les cas, la mise sous PrEP doit découler d’« une décision partagée entre la personne et le médecin ».
Sortir du carcan des ‘groupes à risque’
Cette ouverture est saluée par les associations, notamment le TRT-5 CHV[iii], qui a participé à l’élaboration des recommandations. Selon Christophe Rouquette, coordinateur du collectif interassociatif, « le fait que l’indication ne soit plus restreinte à des publics cibles, mais ouverte à toute personne ayant un haut risque, c’était une demande des personnes concernées et des associations ».
Pour Paul-Emmanuel Devez, membre du groupe de travail de la HAS en tant que représentant du TRT-5 CHV (par ailleurs écoutant chez Sida Info Service et Hépatites Info Service), « il s’agit d’élargir les indications, de ne pas se cantonner à des indications d’exposition multipartenaire. Cela permet certes de guider la fréquence du suivi, mais ce n’est plus cela qui conditionne le choix. L’objectif est de toucher plus largement les femmes, les personnes les plus éloignées des soins, les plus précaires ».
Selon Cédric Arvieux, « jusqu’alors, la PrEP était prescrite selon l’idée ‘il y a tel risque, il faut telle prévention’. Donc, si ce risque n’était pas là, il n’y avait pas besoin de recourir à ce moyen de prévention. Or ce n’est pas parce qu’on n’a pas identifié le risque qu’il n’est pas présent : face à des personnes qui ne décrivent pas beaucoup de facteurs d’exposition, mais qui sont demandeuses de la PrEP, on estime qu’il n’y a pas de raison de la refuser, du fait qu’elle est bien tolérée ».
« Il ne faut pas tenir compte que des risques rapportés par une personne : elle peut les minimiser, ne pas avoir envie de parler de situations qu’elle vit. On a plutôt mis la décision dans le camp de la personne, plutôt que dans celui du soignant. C’est un changement de paradigme par rapport à la stratégie actuelle, plus ‘descendante’ », poursuit le médecin.
Une fois mises sous PrEP, les personnes devraient pouvoir plus facilement passer du schéma continu à l’intermittent[iv], et vice versa. Selon Cédric Arvieux, « on peut prendre la PrEP en continu parce qu’on part en vacances, et qu’on ne sait pas trop comment vont survenir les relations sexuelles, puis repasser en intermittent lorsqu’on revient chez soi, et que l’exposition survient plutôt le week-end. Il demeure une espèce de rigidité à ce sujet. Or il faut au contraire percevoir la PrEP comme une forme de continuité entre les deux schémas ». Chez les femmes, le schéma intermittent demeure cependant déconseillé, en raison de la diffusion lente des antirétroviraux dans les muqueuses vaginales – des travaux sont en cours à ce sujet.
La PrEP injectable, alternative à la PrEP orale
Au-delà de la PrEP orale, l’arrivée prochaine d’une première PrEP injectable à longue durée d’action (cabotégravir, tous les deux mois), actuellement en cours de négociation quant à son prix, pourrait largement remanier le paysage de la prévention. « Nous avons beaucoup d’attentes quant à la PrEP injectable, qui pourrait en particulier bénéficier aux personnes qui n’ont pas accès à la PrEP aujourd’hui, soit parce que l’indication ne le permet pas, soit parce que le schéma de prise avec la PrEP orale est difficile à tenir », explique Paul-Emmanuel Devez. Au-delà du cabotégravir, une autre PrEP injectable, à base de lénacapavir tous les six mois, a récemment livré des résultats très favorables de phase 3, mais n’est pas attendue avant quelques années en France.
Selon Cédric Arvieux, « nous avons décidé de positionner la PrEP injectable comme alternative à la PrEP orale. On nous a reproché notre choix de la formulation ‘seconde intention’, mais il ne s’agit pas de dire qu’il faut absolument essayer la PrEP orale d’abord. Il s’agit plutôt d’opter pour la PrEP au cabotégravir si la PrEP orale n’est pas adaptée à la personne », notamment si elle présente une insuffisance rénale. Ou, de manière bien plus fréquente, parce que sa situation personnelle, son éloignement du système de soins, ne lui permettent pas de prendre un traitement oral quotidien.
Autre argument en faveur de cette « seconde intention », le fait que, malgré sa posologie a priori plus facile, la PrEP injectable n’est pas sans contrainte. Notamment à l’arrêt du traitement : il faut alors relayer celui-ci par un autre type de prévention, dont la PrEP orale, en raison d’un risque d’infection du fait que la molécule peut être en concentration insuffisante. Par ailleurs, une personne contaminée alors qu’elle est sous cabotégravir encourt le risque d’une résistance totale aux inhibiteurs de l’intégrases, une classe majeure d’antirétroviraux.
[i] EPI-PHARE est un groupement d’intérêt scientifique (GIS) constitué par la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) et de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
[ii] Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales – Maladies infectieuses émergentes.
[iii] Regroupant 11 associations, le TRT-5 CHV (Traitement et recherche thérapeutique, Collectif hépatites virales) se définit comme un collectif œuvrant « autour des enjeux en recherche clinique et avancées thérapeutiques pour la défense des intérêts des personnes concernées ».
[iv] La PrEP peut se prendre de deux façons soit en « continu » soit « à la demande ». La prise continue à une prise quotidienne à heure fixe. C’est le seul mode validé chez les femmes nées avec des organes génitaux féminins. La prise « à la demande » passe par le prise de 2 comprimés de PrEP entre 24 h et 2 h avant le rapport sexuel à protéger puis 1 comprimé, 24h après la première prise et 1 comprimé 48 h après la première prise. Uniquement validé chez les personnes ayant des organes génitaux masculins, le schéma à la demande est aussi efficace que le continu.