Interview du Pr Jean-Michel Molina, à la tête de la première consultation proposant aux personnes très exposées au risque d’infection par le VIH une PrEP.
Vous avez été le premier, suivi de près par l’hôpital Tenon à Paris, à ouvrir une consultation PrEP, le 10 novembre 2015. Qu’est-ce qui a motivé cette ouverture ?
Nous étions face à une incohérence en santé publique. Les résultats indiscutables de l’étude ANRS Ipergay, montrant qu’une prise de PrEP (1) à la demande au moment des rapports sexuels réduit de 86 % le risque d’infection, sont connus depuis plus d’un an. Les recommandations par rapport à la PrEP ont même depuis évolué. Diverses organisations de santé, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’European AIDS Clinical Society et l’European Centre for Disease Prevention and Control incitent les pays membres de l’Union européenne à la mettre en place. En France, le rapport d’experts sur le VIH et l’Agence nationale de sûreté du médicament vont dans le même sens. Nous ne comprenions donc pas vraiment pourquoi les autorités de santé ne nous donnaient pas le feu vert alors que tous les avis scientifiques étaient favorables. Nous avions également une forte demande de la part de personnes venant nous consulter. Certaines prenaient une PrEP de manière sauvage, avec des problèmes de dosage notamment. Sans compter celles qui s’étaient récemment contaminées. Il était donc nécessaire de mettre un cadre autour de la PrEP et d’apporter toutes les explications nécessaires.
Effectivement. Mais rien ne nous empêchait de préparer le dispositif dans les mêmes conditions que l’essai ANRS Ipergay. La RTU, c’est l’autorisation de remboursement du médicament. Or la PrEP, ce n’est pas uniquement la prise d’un médicament, il y a aussi tout le suivi médical et l’accompagnement des personnes. Et nous étions préparés à tout cela même si cela ne concernerait dans un premier temps que les personnes pouvant prendre en charge le coût du médicament. Nous avions bien évidemment l’autorisation de l’hôpital Saint-Louis, de l’AP-HP et le soutien de l’association Aides. C’était aussi une façon de faire un peu pression. Si quelqu’un devait faire le premier pas, c’était bien nous. Finalement, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, a pris la décision d’accorder une RTU pour cette prophylaxie quelques semaines plus tard. Cela a été une décision importante et courageuse puisque la France reste le seul pays en Europe où la PrEP est remboursée.
Bouche-à-oreilles
La PrEP n’avait pourtant pas encore obtenu une Recommandation temporaire d’utilisation (RTU) à cette époque ?
C’est encore prématuré, mais nous constatons que jusqu’ici seuls des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes viennent nous consulter. Beaucoup n’avaient pas pu participer à l’essai ANRS Ipergay lorsque nous avions arrêté les inclusions à la fin du mois d’octobre 2014.
Peut-on déjà faire un bilan ?
Plus de 300 personnes sont suivies chez nous
Le bouche-à-oreille a fonctionné dans la communauté gay et aujourd’hui, plus de 300 personnes sont suivies chez nous avec un délai de rendez-vous d’un peu plus d’un mois. Mais notre objectif est de toucher d’autres populations à risque, des migrants et des hétérosexuel.le.s à risque, notamment des femmes. Pour le moment, il n’y a pas eu de communication grand public ou de manière institutionnelle. Mais à partir du mois de septembre, la mairie de Paris et l’agence Santé Publique France devraient lancer une large campagne d’information sur la prévention du VIH en général et la PrEP en particulier. Et si nous voulons accueillir plus de monde, il faudra nouer des collaborations avec les différents Cegidd [Centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic des infections par le VIH et les hépatites et des Infections sexuellement transmissibles (IST), Ndlr] et les médecins de ville. Pour le moment, ce ne sont pas des centres prescripteurs. Mais s’ils le souhaitent, dès que le décret sera paru, cela va nous soulager. Pour la partie counseling, nous avons le soutien de l’association Aides et nous avons également pris contact avec d’autres associations comme le Crips et Enipse [Equipe Nationale d’Intervention en Prévention et Santé pour les Entreprises, Ndlr] pour assurer le relais. Soixante-trois autres centres hospitaliers proposent d’ores et déjà une consultation de PrEP dédiée aux personnes à haut risque en France.
Complémentaire de tous les autres outils de prévention, elle s’adresse surtout à toutes les personnes qui ont du mal à utiliser le préservatif régulièrement ou qui n’ont pas le choix de l’imposer. Pourquoi ces personnes mettraient-elles un préservatif si on leur dit qu’utiliser un autre moyen de prévention est aussi efficace ? Quand vous décidez de prendre la PrEP, vous décidez à froid de vous protéger et de réfléchir sur vos prises de risque. Vous savez que vous êtes protégé quoi que fasse votre partenaire : s’il ne veut pas mettre un préservatif, si vous n’êtes pas sûr de son statut sérologique, s’il est séropositif mais que vous n’êtes pas sûr qu’il prenne correctement son traitement. Beaucoup de personnes nous rapportent que cela leur donne une sérénité et leur permet d’avoir du plaisir lors de leurs rapports sexuels sans avoir l’angoisse de la contamination. Le préservatif garde évidemment une place centrale dans la prévention. On peut toujours l’utiliser en plus de la PrEP pour compléter sa protection en fonction des rapports, comme par exemple pour la fellation. Ce qui est important, c’est que les gens aient le choix de leur prévention.
Quelle place aura la PrEP au sein de l’arsenal préventif ?
Mais nous sommes déjà face à un pic d’incidence des IST depuis plusieurs années ! Sauf que nous n’en avions auparavant pas conscience. C’est notamment ce que nous a appris Ipergay : on peut être contaminé par une IST sans avoir de symptômes. Et nous ne le voyions pas car la plupart des personnes ne consultaient qu’une fois les symptômes apparus. La PrEP permet de suivre régulièrement des personnes à risque qui ne consultaient jamais. En suivant ces personnes dans le cadre de la PrEP, nous pourrons mieux dépister les IST et les mettre plus rapidement sous traitement sans attendre l’apparition des premiers symptômes. La PrEP est donc au contraire une bonne opportunité de s’intéresser aux IST et de renforcer leur dépistage. Quant aux prises de risque, nous avons constaté dans Ipergay que la PrEP n’a pas changé les habitudes des participants : ils n’ont pas plus de partenaires ni plus de rapports. Ils utilisent certes moins le préservatif mais comme la PrEP est très efficace, on ne voit pas de changements sur l’efficacité de la prise ne charge et sur le nombre de nouvelles contaminations. Les seules personnes qui se sont contaminées au cours d’Ipergay l’ont été parce qu’elles n’avaient pas pris du tout le traitement.
Mieux dépister les IST
Mais pour des personnes ayant des pratiques à haut risque, retirer le préservatif n’expose-t-il pas davantage à d’autres IST ?
La PrEP permet de suivre régulièrement des personnes à risque qui ne consultaient jamais
L’essai continue jusqu’à fin juin et un nouveau projet appelé Prévenir débutera à la rentrée. Son objectif sera de démontrer le bénéfice de la PrEP non plus au niveau individuel mais en termes de santé publique. Nous allons suivre toutes les cohortes de personnes à risque, gays comme hétérosexuel(le)s, consultant les centres délivrant la PrEP. Il y aura aussi toute une partie de recherche en sciences sociales pour mieux comprendre les motivations des personnes recourant à la PrEP afin de déterminer le mode d’accompagnement optimal. Il sera d’ailleurs intéressant de comparer le mode de délivrance entre centres hospitaliers et centres communautaires. Nous avons beaucoup de choses à apprendre et nous n’en sommes qu’au tout début. Si on veut vraiment montrer l’intérêt en santé publique, il ne faut pas donner la PrEP qu’à un petit nombre de personnes mais passer à une autre échelle. Il y avait 400 personnes dans Ipergay, il faut désormais passer à au moins 4 000 personnes à Paris et en Ile-de-France pour ne pas dire 40 000 !
Finalement, que va devenir Ipergay ?
- Association dans le même comprimé de deux antirétroviraux : le ténofovir disoproxil fumarate et l’emtricitabine.