vih Préservatifs sur ordonnance : premier bilan à deux ans

09.02.21
Cécile Josselin
7 min
Visuel Préservatifs sur
ordonnance : premier bilan à deux ans

Il a fallu attendre le 10 décembre 2018 pour que le premier préservatif remboursé par la Sécurité sociale, Eden®, du laboratoire Marjorelle, soit proposé sur le marché français. « Il était temps. C’était complètement illogique que la PrEP soit remboursée à 100 % et pas le préservatif », estime la Dr Christine Jacomet, médecin infectiologue et présidente du Corevih Auvergne Loire. Un retard d’autant plus regrettable qu’en 2016 une enquête révélait que le prix était un obstacle à l’utilisation du préservatif pour 11 % des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) [i].

Déjà vendu à 2 euros la boîte de 12 préservatifs [ii] depuis une dizaine d’années, le préservatif Sortez Couverts !®, du laboratoire Polidis, le deuxième à avoir été autorisé sur le marché, en mars 2019, revient ainsi à 7 centimes pièce avant remboursement du reste à charge par les mutuelles.

Une prescription pour quel public ?

Prescrits par les médecins et les sages-femmes, ces derniers ont d’ores et déjà bénéficié à un peu plus de 345 000 assurés (de décembre 2018 à octobre 2020), selon les chiffres communiqués par la Caisse nationale de l’Assurance maladie. Un chiffre somme toute encourageant si on le compare aux presque 2 millions de couples (toutes orientations sexuelles confondues) qui utilisent des préservatifs en France [iii].

Le dispositif est néanmoins largement méconnu par le grand public, mais aussi par une partie des médecins généralistes de ville qui ne sont pas toujours très à l’aise pour aborder la question de la sexualité. Ces derniers représentent moins d’un tiers des prescripteurs. Les sages-femmes, les gynécologues et les infectiologues le prescrivent proportionnellement plus souvent, notamment au sein de structures publiques.

« Au début, je pensais que cela allait permettre de toucher des personnes précaires et des travailleuses du sexe, mais comme beaucoup parmi elles ne consultent pas de médecin, sauf en cas d’extrême urgence, elles n’y ont pas accès », rapporte Didier Chedorge, pharmacien à Lyon. Et d’ajouter :  « Dans huit cas sur dix, ce sont des femmes qui m’en demandent, notamment de jeunes mamans qui viennent avec la prescription d’une sage-femme ou du Planning familial. » Un constat surprenant, confirmé par cinq pharmacies à Paris et à Saint-Denis et cohérent avec les chiffres de l’Assurance maladie [iv], lesquels montrent que les femmes représentent 80 % des demandes de remboursement de préservatifs.

Les hommes, notamment les HSH, ne sont pourtant pas oubliés et se voient prescrire ces préservatifs essentiellement par un service d’infectiologie ou leur médecin traitant, en particulier dans le cadre d’un suivi de prophylaxie préexposition (PrEP). « Je propose très souvent ces préservatifs à mes patients sous PrEP et à des personnes vivant avec le VIH pour éviter des IST et protéger leurs partenaires quand ils n’ont pas de charge virale indétectable », explique la Dr Christine Jacomet. Médecin généraliste spécialisée dans le VIH, la Dr Marie Piffaut adopte la même démarche volontariste : « Je le propose à toutes les personnes que je suis pour la PrEP, comme à mes patients séropositifs et, plus largement, à chaque fois que la sexualité est abordée, mais c’est rare qu’on me le demande, car très peu de gens sont au courant. »

Un dispositif peu connu

« Beaucoup d’occasions pour en parler sont manquées, regrette le Dr Éric Billaud, infectiologue et président du Corevih des Pays de la Loire. Ce dispositif est vraiment une opportunité pour les médecins d’amorcer la discussion sur la sexualité. Le problème est qu’on n’y pense pas assez. Si on y pensait un peu plus, on pourrait proposer en fin de consultation de le rajouter à la liste de traitements. » C’est en effet souvent au détour d’une consultation plus large que les préservatifs sont prescrits. « Dans la plupart des cas, les gens ne viennent pas avec une ordonnance que pour des préservatifs, mais également pour d’autres médicaments qui n’ont rien à voir », confirme René Maarek, pharmacien à Montreuil (Seine-Saint-Denis).

Si le préservatif Eden® est bien implanté dans les pharmacies et assez connu par les médecins grâce à une campagne de presse efficace lors de sa sortie, Sortez couverts !®, pourtant plus ancien et moins cher, peine à voir ses ventes progresser. Développé à l’instigation de Christophe Dechavanne, il reste peu vendu sur ordonnance. « Nous avons toute une gamme de préservatifs sur lesquels nous générons un chiffre d’affaires, mais Sortez couverts !® ne nous rapporte rien, rapporte Patrick Pisa, directeur général et fondateur du laboratoire Polidis. Nous le proposons par militantisme à prix coûtant depuis 1992, date à laquelle nous avons déposé notre première demande pour le faire rembourser par la Sécurité sociale. Une demande qui nous avait été refusée pour des raisons natalistes. » Comme il ne fait pas l’objet de campagne de promotion, les chiffres de vente de ce produit n’ont pas réellement augmenté avec la mise en place du remboursement. « Nous le vendons à peu près dans les mêmes quantités depuis dix ans : autour de 180 000 boîtes par an », ajoute Patrick Pisa.

Pourtant le marché du préservatif remboursé par la Sécurité sociale existe et a un fort potentiel : entre 2019 et 2020, le nombre de boîtes remboursées a augmenté de 28 %. Un public, malgré tout, manque à l’appel : les jeunes de 15-25 ans qui restent une frange minoritaire des utilisateurs, sans comparaison avec leur poids sur ce marché. Selon une enquête de 20163, 70 % de ceux qui ont recours au préservatif se retrouvent en effet dans cette classe d’âge.

« C’est un bon dispositif, mais il doit représenter une entrée parmi d’autres et ne doit pas être développé au détriment des préservatifs distribués gratuitement », insiste Sarah Durocher, coprésidente nationale du Planning familial. Cinq millions de préservatifs masculins et 360 000 préservatifs féminins ont ainsi été distribués gratuitement en 2018 par le Planning familial, les associations de lutte contre le VIH, les infirmeries de collège et de lycée, entre autres. Une goutte d’eau comparé aux 114,8 millions de préservatifs masculins vendus tous lieux de vente confondus en 2019 [v], mais une goutte d’eau utile et nécessaire.

L’implication des mutuelles

En France, la plupart des mutuelles remboursent le reste à charge des préservatifs Eden® et Sortez couverts !®. Certaines proposent même un forfait de prise en charge pour la contraception et les tests de grossesse qui inclut les préservatifs, quels que soient leur marque et le lieu d’achat (30 euros par mois pour la gamme Évolution de la Matmut, par exemple).

En Belgique, la Mutualité chrétienne va même jusqu’à rembourser 40 euros par an à ce titre et 50 euros pour Solidaris. Mais là encore, la très large majorité des personnes (9 Belges sur 10) ignorent ces possibilités et ne les demandent pas.

Notes

[i] Enquête auprès des hommes qui aiment les hommes, Pôle Santé, Centre LGBT Paris, 2016, cité dans l’avis de la CNEDiMTS (HAS/Haute Autorité de Santé) à la demande de remboursement par la Sécurité sociale des préservatifs Sortez couverts !.

[ii] La boîte de 12 préservatifs Eden®, disponible en deux tailles, est vendue 2,60 euros avant remboursement.

[iii] Chiffres de l’Insee de 2017, cité dans l’avis de la CNEDiMTS (HAS/Haute Autorité de Santé) à la demande de remboursement par la Sécurité sociale des préservatifs Sortez couverts !.

[iv] Source : Open data de l’Assurance maladie.

[v] Source : Santé publique France

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