La prévention de la transmission de la mère à l’enfant via les antirétroviraux a largement fait reculer la contamination des enfants par le VIH. Mais l’exposition du fœtus et du nourrisson à ces molécules est-elle sans risque ? Le point sur ce que disent les dernières études sur ce sujet.
Seule cause possible d’infection des enfants par le VIH, la transmission mère-enfant (TME) peut survenir lors de 3 périodes clés : la grossesse, l’accouchement et l’allaitement maternel. Sans intervention, la TME concerne 15 à 30 % des grossesses. Heureusement, ce risque peut être considérablement diminué via la prise d’antirétroviraux (ARV) par la mère lors de la grossesse et de l’accouchement, et par l’enfant pendant les premières semaines de vie. C’est la prévention de la TME, ou PTME, via les ARV. Un outil dont l’extraordinaire efficacité a été démontrée dès 1994 [i].
Dans les pays industrialisés, la PTME a rendu quasiment nul le risque de TME. En France métropolitaine celui-ci n’est plus que de 0,3 %, contre 15-20 % en l’absence de traitement, indique le chapitre « Désir d’enfant et grossesse » du rapport d’experts « Morlat », publié en 2018 [ii]. Au niveau mondial, des efforts sont encore nécessaires ; notamment pour diminuer laTME via l’allaitement, constate l’équipe du Pr Van de Perre, du Centre Hospitalier Universitaire de Montpellier, dans un article publié en avril 2021 [iii]. Ceci dit, selon le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (Onusida), depuis 2010 la PTME a déjà contribué à diminuer de 52 % les nouvelles infections à VIH chez les enfants. Désormais, 85% des femmes enceintes vivant avec le VIH en bénéficient.
Problème : comme tous les médicaments, les ARV peuvent induire des effets secondaires. Or la plupart (sauf l’enfuvirtide) traversent la fine membrane qui sépare le sang de la mère du sang fœtal (barrière placentaire) et peuvent ainsi atteindre le fœtus. Par ailleurs, ces médicaments se retrouvent également dans le lait maternel. D’où des questionnements concernant leurs possibles effets néfastes pour la santé de l’enfant à naître.
De fait, la question de la tolérance de l’enfant aux ARV administrés durant la grossesse s’est posée dès le début des années 1990, et les premiers essais cliniques avec la zidovudine (AZT), le premier ARV utilisé contre l VIH. Toutefois, elle est longtemps restée au second plan, du fait de l’urgence de la mise en œuvre à large échelle de cette prophylaxie très efficace.
Identifier les ARV bien tolérés
« Les données et l’expérience clinique accumulées jusqu’ici montrent que dans l’immense majorité des cas, la santé des enfants ‘exposés-non infectés’ ne pose pas de souci », rassure le Pr Stéphane Blanche, chef du Service d’immuno-hématologie et rhumatologie pédiatriques à l’hôpital Necker-Enfants malades, à Paris. Ceci dit, souligne le pédiatre et chercheur, « nous devons rester prudents… Car certains résultats indiquent de possibles effets néfastes pour l’enfant, lors de la gestation, ou à court ou long terme après la naissance – après quelques jours ou semaines, ou après plusieurs années, respectivement. Aussi est-il important de continuer la recherche dans ce domaine, afin d’identifier les ARV les mieux tolérés ».
Concernant les effets indésirables pouvant survenir lors du développement embryonnaire, persistent notamment des interrogations sur le risque de malformations chez le fœtus. « Ici, il y a eu une alerte sérieuse en 2018 », relève le Pr Blanche. En effet, à cette date, des données préliminaires de l’étude observationnelle TSEPAMO, menée depuis 2014 au Botswana, ont suggéré un sur-risque d’anomalies de la fermeture du tube neural (colonne vertébrale) 9 fois plus important chez des nourrissons nés de mères ayant débuté une grossesse sous dolutegravir (Tivicay® ; autorisé en Europe depuis seulement 2014), par rapport à ceux dont les mères prenaient de l’efavirenz (Sustiva®) ou un autre traitement antirétroviral, ou débutaient le dolutegravir plus tard lors la grossesse (risque de 0,9% contre 0,1%).
Ce résultat a tant troublé les chercheurs qu’il a amené l’agence américaine du médicament, la Food and Drug Administration (FDA), a émettre une alerte de sécurité. « Heureusement ce risque ne semble pas se confirmer » reprend le Pr Blanche. Effectivement, la mise à jour des résultats de l’étude TSEPAMO, présentés lors la conférence AIDS 2020, a montré qu’en fait le taux de non-fermeture du tube neural n’est finalement pas significativement plus élevé chez les femmes sous dolutegravir. Reste que « cette histoire montre qu’il faut rester vigilant. Notamment avec les molécules les plus récentes, même si elles sont remarquablement bien tolérées chez l’adulte ou l’enfant », relève Stéphane Blanche.
Très peu de données sur les effets à long terme
Pour ce qui est des possibles effets à court terme cette fois (pendant les quelques jours ou semaines suivant la naissance), une méta-analyse anglo-saxonne de 2017 [iv], qui a permis d’analyser les résultats de 17 études publiées entre 1980 et 2017, a mis en évidence que le risque de mortalité néonatale lors des 14 jours suivant la naissance, est 5,6 fois plus élevé chez les enfants exposés in utéro (lors de la grossesse) à une trithérapie avec ténofovir (TDF ; Viread®, Truvada®), versus une trithérapie avec zidovudine (ZDV ; Retrovir®). « D’autres études sont nécessaires », concluent les auteurs.
Mais questionnent surtout les éventuels risques à long terme, non cliniquement décelables à la naissance, et pouvant apparaître plus tard dans la vie. Et pour cause : « il existe ici, encore très peu de données » explique le Pr Blanche.
Parmi les rares travaux déjà mené sur ce sujet, certains ont mené à des résultats troublants… Ainsi, l’étude américaine SMARTT publiée en janvier 2020 [v], qui a porté sur 3055 enfants suivis pendant au moins 5 ans, a montré que les enfants exposés à in utero à l’efavirenz, ont 2 fois plus de risque de microcéphalie (périmètre crânien plus petit que la normale), par rapport à ceux exposés à d’autres ARV (9,9% contre 5%). Or un périmètre crânien plus petit augmente le risque de retard cognitif et difficultés neurologiques.
D’autres travaux publiés cette fois en 2019 [vi], et qui ont concerné 15 163 enfants de la cohorte périnatale française sur le VIH, âgés en moyenne de 10 ans et exposés à au moins un ARV de la classe des inhibiteurs nucléosidiques (INTI ; AZT, didanosine, ténofovir, lamivudine…) in utero entre 1990 et 2014, ont révélé eux, un risque de cancer 2 fois plus élevé que prévu chez les enfants exposés à la didanosine (Videx® ; non commercialisée depuis 2018). « Ces résultats ne peuvent pas être extrapolés à d’autres INTI, mais ils soulignent la nécessité d’évaluations complètes de cette classe d’antirétroviraux », soulignent les auteurs.
Mais ce n’est pas tout : d’autres études ont montré que des enfants exposés à l’AZT présentent transitoirement (pendant quelques semaines) des marqueurs biologiques reflétant une toxicité au niveau de la mitochondrie, cette structure cellulaire responsable de la production d’énergie pour la cellule. D’autres ont décrit eux, des dysfonctions myocardiques chez des enfants et des adolescents exposés à ce même ARV. Etc. Or à ce jour, il est impossible de savoir si ces perturbations ont un impact majeur sur la santé des enfants, à long terme (troubles neurologiques, etc.)…
« Il est difficile de suivre longtemps des enfants qui vont en apparence bien »
« Des études à long terme sur les toxicités potentielles liées aux ARV sont nécessaires, en particulier à mesure qu’arrivent de nouveaux ARV pour les femmes enceintes », concluent des experts du Département américain de la santé et des services sociaux, dans un document faisant la synthèse des connaissances dans ce domaine, daté de décembre 2020 » (7).
Cependant, la tâche ne sera pas simple : « il est très difficile de suivre régulièrement et longtemps des enfants qui vont en apparence bien, et d’analyser leurs données, sachant qu’un trouble qui survient par exemple à l’âge adulte peut être lié à divers facteurs. De plus pour avoir des réponses claires, il faudrait suivre plusieurs milliers d’enfants sur au moins 5 ans », explique le Pr Blanche.
Selon le pédiatre, une solution ici serait de pouvoir accéder aux bases de données de l’Assurance maladie, qui répertorient les évènements de santé des enfants (fractures osseuses, cancers…) ainsi que le statut séropositif ou non de leur mères et les médicaments pris lors de la grossesse, afin de croiser ces données. « Prometteuse, cette idée se heurte toutefois encore à des difficultés techniques d’analyse de ces bases de données, non conçues pour ce type de travail », précise le chercheur.
En attendant d’en savoir plus les possibles effets indésirables des ARV utilisés pour la PTME, les experts du rapport Morlat préconisent d’éviter, pendant la grossesse, les nouvelles molécules pour lesquelles il existe peu ou pas de recul, et de « privilégier autant que possible les médicaments pour lesquels il existe des données solides ».
[i] E M Connor et al. N Engl J Med. 3 novembre 1994. doi: 10.1056/NEJM199411033311801.
[ii] https://cns.sante.fr/wp-content/uploads/2017/11/experts-vih_grossesse.pdf
[iii] Philippe Van de Perre et al. Lancet, 3 avril 2021. doi: 10.1016/S0140-6736(21)00570-5.
[iv] Jean B Nachega et coll. J Acquir Immune Defic Syndr. 1er septembre 2017. doi: 10.1097 / QAI.0000000000001359.
[v] Paige L Williams et al. Lancet HIV. Janvier 2020. doi: 10.1016/S2352-3018(19)30340-6.
[vi] Mira Hleyhel et al. Environ Mol Mutagen. Juin 2019 Jun. doi: 10.1002/em.22162.