vih Prostitution, une loi qui inquiète les associations

01.06.16
Pierre Bienvault
6 min
Visuel Prostitution, une loi qui inquiète les associations

Instaurée par la loi adoptée en avril, la pénalisation des clients de personnes prostituées risque de renforcer la vulnérabilité face au VIH/sida, selon les acteurs de prévention.

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La nouvelle loi sur la prostitution risque-t-elle de renforcer la vulnérabilité des personnes prostituées face au risque du VIH ? Telle est en tout cas la conviction des associations de lutte contre le sida ou des associations de santé communautaires. Elles sont vent debout contre la loi adoptée en avril, qui prévoit notamment des sanctions financières contre les clients. « Criminaliser le recours à la prostitution va pousser encore davantage les personnes dans la clandestinité et affecter leur capacité à négocier l’usage du préservatif », affirme Antoine Baudry, animateur de l’association lyonnaise Cabiria.

Ces associations s’étaient déjà mobilisées en 2003, lors de l’instauration du délit de racolage passif, qui avait également suscité un vent de fronde du Conseil national du sida (CNS). « L’extension du délit de racolage a conduit à une explosion du nombre de mises en cause et de procédures à l’encontre des personnes prostituées. En remettant en cause la présence même de celles-ci dans l’espace public, elle a contribué à déplacer l’exercice vers des lieux plus discrets, plus isolés et donc plus dangereux, renforçant la clandestinité et la stigmatisation », indiquait le CNS en 2010. De son côté, la Haute autorité de santé (HAS) reste prudente : « Il n’existe aucune étude scientifique sur les conséquences sanitaires de la pénalisation du racolage passif instaurée en France en 2003 », souligne-t-elle, en effet, dans un récent rapport sur la santé des personnes prostituées.

Ce délit de racolage passif a été supprimé par cette nouvelle loi d’avril 2016. « C’est un tournant majeur. Ce texte met fin à des années de répression contre les personnes prostituées qui, désormais, ne sont plus considérées comme des délinquantes », se réjouit Grégoire Théry, secrétaire général du Mouvement du nid, association qui se bat contre le système prostitutionnel. Discutée pendant deux ans au Parlement, cette loi prévoit la mise en place d’un fonds, doté de 5 millions d’euros en 2016 (et de 20 millions à terme), pour aider les personnes désireuses d’en finir avec la prostitution. Les personnes étrangères, engagées dans la même démarche, pourront bénéficier d’un titre de séjour provisoire de six mois. 

Une précédente mobilisation

Une prévention plus difficile

Mais c’est surtout la pénalisation des clients qui focalise l’attention. Désormais, l’achat d’un acte sexuel sera passible d’une amende de 1 500 euros (3 750 € en cas de récidive). « La possibilité d’acheter le corps d’une femme, de pouvoir en disposer à sa guise, fait le terreau du sexisme et des stéréotypes (…) Le corps d’une femme n’est ni un déversoir, ni un médicament, ni un prix de consolation pour toutes les détresses. Et la pénalisation de l’achat d’un acte sexuel est l’un des outils permettant de lutter contre les stéréotypes et d’œuvrer en faveur de l’égalité des sexes », affirmait Laurence Rossignol, la ministre du Droit des femmes à l’Assemblée en avril.

Mais pour les associations, la loi va renforcer la vulnérabilité. « Comme les clients vont avoir peur, ils vont exiger des rencontres dans des lieux plus isolés », estime Antoine Baudry. « Cela va pousser les personnes prostituées dans la clandestinité, sur Internet et loin des lieux plus fréquentés qui permettent une certaine protection. Quand les personnes sont plusieurs à travailler dans une même rue, il y a une sorte d’entraide. Une collègue peut intervenir si une négociation avec un client se passe mal », ajoute-t-il.

Cela va pousser les personnes prostituées dans la clandestinité, sur Internet et loin des lieux plus fréquentés qui permettent une certaine protection

Selon Fred Bladou, chargé de mission à Aides, la loi va rendre plus difficile la prévention. « Après la loi sur le racolage, on a vu beaucoup de filles quitter les centres-ville pour des zones excentrées ou les routes de campagne. Et elles sont devenues un peu invisibles. Alors qu’avant, c’était plus simple de faire de la prévention. On arrivait dans les rues à forte activité de prostitution et en une tournée, on pouvait distribuer des préservatifs à toutes les filles. »

Surtout, les associations craignent que la loi n’entame la capacité des personnes prostituées à négocier l’usage du préservatif. « Les clients risquent d’être moins nombreux. Et cela va fragiliser les filles qui ont une chambre d’hôtel à payer ou qui doivent envoyer de l’argent à leurs familles. Les soirs où elles auront peu travaillé, elles risquent d’accepter des rapports à risques », indique Jean-Régis Ploton, directeur de l’association marseillaise Autres Regards.

Des pratiques plus à risque

Mais pour Grégoire Théry, ce risque est déjà une réalité. « Cela fait dix ans que j’entends dire, sur le terrain, que l’arrivée de personnes prostituées étrangères a introduit une forte concurrence et poussé certaines filles à accepter des pratiques plus à risque », explique-t-il. « La violence dans la prostitution ne résume pas à la seule question du sida. Il existe une violence pour la santé physique et psychologique des femmes qui est liée à l’activité prostitutionnelle en elle-même. Au fait de devoir subir des rapports sexuels non-désirés pour pouvoir survivre », ajoute-t-il.

La violence dans la prostitution ne résume pas à la seule question du sida

Dans une tribune publiée dans Le Monde en novembre 2013, plusieurs médecins faisaient le même constat. « Certains tentent de réduire la question de la santé au seul problème que constituent les maladies sexuellement transmissibles. Cette démarche est inefficace et dangereuse. De fait, elle occulte complètement les violences, les viols, les agressions, les traumatismes auxquels les personnes prostituées doivent faire face et qui constituent des risques pour leur vie même », écrivaient-ils. Ils ajoutaient que de nombreuses études ont montré que la criminalisation des personnes prostituées représente un risque d’acquisition de l’infection. « En revanche, la pénalisation des clients n’est pas reconnue comme un facteur de risque d’infection à VIH : aucune étude épidémiologique ne montre qu’interdire l’achat d’acte sexuel comporte des risques sanitaires », soulignaient ces médecins.

De son côté, la HAS va plutôt dans le sens des associations communautaires. « La prostitution ne constitue pas en soi un facteur de risque d’infection par le VIH ; c’est uniquement lorsqu’elle est associée à d’autres facteurs de vulnérabilité psychologique ou de précarité sociale économique ou administrative que ce risque augmente », estime l’instance, en précisant que « la clandestinité ou l’activité dans des zones isolées augmente le risque d’accepter des rapports sexuels non-protégés et le risque de violences ».

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