vih « Quand on suit 4000 patients, beaucoup plus de choses sont possibles »

29.06.21
Cécile Josselin
8 min
Visuel « Quand on suit 4000 patients, beaucoup plus de choses sont possibles »

En une dizaine d’années, l’hôpital de l’Hôtel-Dieu, à Paris, est devenu un grand centre hospitalier regroupant près de 4 000 personnes vivant avec le VIH. Pour mieux comprendre ce phénomène, et l’impact parfois négatif sur le suivi des patients, Transversal a rencontré le professeurs Jean-Paul Viard, coresponsable de l’unité d’immuno-infectiologie de l’Hôtel-Dieu.

Transversal : Quelles ont été les grandes étapes de la concentration de différentes files actives parisiennes à l’Hôtel-Dieu ?

Jean-Paul Viard : Dans le centre de Paris, l’Hôtel-Dieu, Necker, Cochin et Pompidou sont devenus un seul et même groupe hospitalier : le groupe hospitalier Paris-Centre [i]. Le premier mouvement a été le mien, il y a dix ans, quand je suis venu avec ma file active de Necker. Le deuxième s’est déroulé en 2014-2015 avec l’arrivée de la Pr Dominique Salmon-Ceron, qui avait une activité VIH un peu noyée dans la médecine interne, à Cochin. Elle se trouvait assez isolée et sans vraiment de lits de maladie infectieuse. Enfin, le troisième mouvement, probablement le plus spectaculaire, a été l’arrivée de l’équipe de Laurence Weiss, de l’hôpital européen Georges-Pompidou. 

T. : Le premier mouvement n’a-t-il pas été celui de Saint-Joseph, en 2010 ?

J.-P. V. : Saint-Joseph a été un phénomène complètement différent. Et, pour le coup, totalement indépendant de notre volonté. C’est l’exemple de ce qui attend la santé publique en France : j’entends par là un directeur d’hôpital dans un Espic (établissement de santé privé d’intérêt collectif) qui décide du jour au lendemain que le VIH n’est pas rentable et qu’il faut virer les médecins et laisser les patients se débrouiller. À l’époque, Olivier Lortholary chef de service des maladies infectieuses de Necker s’est battu comme un diable pour qu’un des deux médecins responsables de cette activité soit réintégrés dans un établissement de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Celui-ci a rejoint l’équipe de l’Hôtel-Dieu avec sa file active après une très brève étape à Necker tandis que le deuxième avait trouvé refuge dans un hôpital public proche de Paris.

T. : Quelles étaient les raisons de ce regroupement ? Qui l’a décidé ?

J.-P. V. : Le cas de Saint-Joseph mis à part, les autres regroupements se sont fait à l’initiative des médecins et n’étaient en aucun cas des décisions administratives. J’insiste beaucoup sur ce point. Pour l’anecdote j’ai même quitté Necker contre l’avis du directeur de l’époque. J’ai pris cette décision car j’avais constaté que mes patients vivant avec le VIH n’avaient plus tellement besoin d’être hospitalisés et que s’ils avaient besoin de l’être, ce n’était pas forcément dans mon service. Certains étaient là pour un cancer du poumon ou un infarctus du myocarde, soit des pathologies extérieures à mon domaine de compétence. Ces patients avaient en revanche besoin de structures multidisciplinaires orientées vers l’ambulatoire parce que l’infection par le VIH est devenue une maladie chronique avec des risques de comorbidité et de complications qui nécessitent pas mal de spécialistes. Comme l’Hôtel-Dieu s’orientait vers cette prise en charge ambulatoire, cela a été le déclic. 

T. : Qu’est-ce que cette concentration a de positif ?

J.-P. V. : Elle permet de justifier la présence de médecins spécialistes et de pratiquer des examens pour dépister plus de complications et de comorbidités. Quand on suit 4 000 patients, plus de choses sont possibles que si on n’en suit que quelques centaines. Nous pouvons par exemple mobiliser des cardiologues, participer à l’entretien d’une machine d’épreuve d’effort. Nous faisons tourner des dopplers cardiovasculaires. Tout cela crée une dynamique intéressante.

T. : Et quels sont ses effets négatifs ?

J.-P. V. : Le principal inconvénient que je vois est celui qui découle de tout changement. Quand on est suivi depuis dix-quinze ans, voire plus, dans un endroit, on y a ses habitudes et ses repères. C’est toujours un peu compliqué de changer et on a tendance à regretter ce que l’on quitte. Après, il y a forcément des choses qui sont mieux et d’autres qui sont moins bien.

T. : Certaines associations nous ont dit craindre la stigmatisation de certains malades, car, selon elles, l’Hôtel-Dieu serait assimilé au VIH. Elles redoutent que cela se traduise par des perdus de vue.

J.-P. V. : Je rappelle toujours l’anecdote suivante : quand j’étais à Necker, j’étais dans un service qui s’appelait « immunologie clinique ». Il comprenait deux activités principales : le VIH et le diabète. Quand mes patients vivants avec le VIH me voyaient leur rédiger un certificat, ils étaient toujours très réticents. Ils me disaient : « Vous n’allez pas mettre immunologie clinique sur mon certificat, hein docteur, car si vous le faites, on va tout de suite savoir ce que j’ai comme maladie. » Alors qu’aucun des 2 000 diabétiques qui étaient suivis dans le même service ne me faisait cette remarque. Aujourd’hui, notre structure s’appelle « centre de diagnostic et de traitement », et il y a encore des patients qui me disent, même si c’est plus rare : « Non mais vous n’allez pas me mettre le tampon du centre de diagnostic et de traitement quand même parce qu’on va tout de suite savoir. » Il ne peut pourtant pas y avoir de dénomination plus générique que « centre de diagnostic et de traitement ». Tout ça pour dire qu’il n’y a pas écrit en gros sur la porte : « service d’infection par le VIH ». Toutes sortes de pathologies y sont suivies et s’y croisent au quotidien.

T. : D’autres regroupements de files actives de PVVIH sont-ils prévus dans les années à venir ?

J.-P. V. : Pas pour le moment, mais ce n’est pas impossible. Il reste encore de petites files actives à droite et à gauche qui pourraient se sentir moins isolées, plus soutenues si elles nous rejoignaient.

Quels sont aujourd’hui les grands centres hospitaliers qui suivent des PVVIH à Paris ?

J.-P. V. : La file active de PVVIH à l’Hôtel-Dieu est de 4 000 personnes. C’est comparable à celles des grands centres parisiens que sont Bichat, Tenon et la Pitié-Salpêtrière, Saint-Louis et Saint-Antoine. C’est l’ordre de grandeur qui, à mon avis, est raisonnable compte tenu du fait qu’aujourd’hui les personnes peuvent la plupart du temps être traitées en ambulatoire. Contrairement à nous, si ces trois grands centres n’ont pas atteint cette taille de file active en réunissant d’autres hôpitaux, c’est davantage dû à un développement historique local.

T. : Un centre de santé sexuel s’est monté parallèlement à l’Hôtel-Dieu. Comment complète-t-il le dispositif ?

J.-P. V. : Cette démarche est un peu indépendante de la nôtre mais la complète parfaitement. D’ailleurs, nous avons été associés à sa mise en place et nous y assurons des vacations. Le centre de santé sexuelle prend en charge la PrEP et le tout début de la chaîne de dépistage. Les personnes dépistées positives au VIH peuvent ensuite être orientées vers nous. Cela permet un continuum intéressant. 

Hugues Fischer, militant d’Act-up et membre du TRT5 : « Il faut que les gens aient le choix ! »

« Personnellement, je trouve intéressant la création de ces grands pôles hospitaliers qui regroupent une grande file active car ces derniers peuvent ainsi bénéficier de nombreux spécialistes et de plus de matériels, mais cela ne correspond pas aux attentes et aux besoins de tout le monde. Le vrai problème, comme souvent, est que l’on ne demande pas l’avis des patients. Et quand je dis les patients, je pense à chacun individuellement car autour de moi, j’en vois qui sont pour et d’autres contre. Tous doivent être écoutés. Comme je le dis toujours, il faut que les gens aient le choix et qu’il y en ait pour tout le monde !

Dans ce cas précis, ceux qui ne sont pas contents sont en général ceux à qui on dit d’aller ailleurs, car cela perturbe leurs habitudes et ils n’aiment pas ça. Parfois, le problème est une question géographique. Certains comme moi choisissons l’hôpital le plus proche de chez nous mais il y a aussi des gens qui viennent de loin en banlieue pour se faire soigner à Paris. Il faut faire en sorte de faciliter les choses pour chacun. Il ne faut pas que ce soit aux gens de s’adapter à la machinerie. C’est à la machinerie de s’adapter aux gens ! »

Notes

[i] AP-HP Centre – Université de Paris regroupe l’hôpital Corentin-Celton, l’hôpital européen Georges-Pompidou, l’hôpital Vaugirard Gabriel-Pallez, l’hôpital universitaire Necker-enfants malades, l’hôpital Hôtel-Dieu, l’hôpital La collégiale, l’hôpital Broca et l’hôpital Cochin.

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