Une large incertitude règne aujourd’hui chez les acteurs de la lutte contre le VIH/sida. Il est en effet difficile de mesurer l’impact du confinement puis de sa levée sur l’épidémie de VIH en France. A l’international, notamment en Afrique, la crise liée au Covid risque de ralentir l’accès aux traitements.
Quel sera l’impact du Covid-19 et du confinement sur l’épidémie de VIH ? Il est encore trop tôt pour répondre à cette question qui, légitimement, interpelle le monde de la lutte contre le VIH/sida. En France comme dans le reste du monde. « C’est un enjeu majeur. Or, pour l’instant, personne ne sait véritablement ce qui s’est passé durant le confinement », indique Dominique Costagliola, directrice de recherches à l’Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique. « Pendant ces deux mois, les infectiologues ont certes continué à faire des téléconsultations et les ordonnances ont été prolongées pour que les patients continuent à avoir accès à leur traitement en pharmacie. Mais durant cette période pas toujours simple à gérer, peut-être que certaines personnes ont eu plus de mal à prendre soin d’elles. Et peut-être que, dans les prochaines semaines, on va découvrir que des patients n’ont plus de charge virale contrôlée ».
Durant ces deux mois où toute vie sociale et festive s’est arrêtée, au moins dans les lieux extérieurs, il est permis de penser que le nombre de contaminations a pu se ralentir. « C’est effectivement un scénario possible. Mais la vérité est qu’il est très difficile d’avoir une idée précise de la façon dont l’épidémie a évolué durant cette période très particulière », dit France Lert, épidémiologiste, présidente de Vers Paris sans sida. Ce n’est que dans quelques semaines que l’on pourra avoir des premières données, en particulier sur l’activité des centres de dépistage qui ont continué à fonctionner durant le confinement ». C’est le cas du CeGIDD (1) de l’Hôtel Dieu à Paris. « Alors que d’habitude on est ouvert de 9h à 19h, on a cette fois fermé à 17h. Durant le confinement, l’activité a bien sûr chuté, mais on a fait pas mal de téléconsultations, y compris pour des demandes de PrEP. On a également vu des personnes qui souhaitaient un dépistage du VIH ou qui consultaient pour des symptômes d’IST », indique le docteur Sophie Florence, responsable du CeGIDD.
Priorité au dépistage
En France, le monde associatif est resté largement mobilisé durant le confinement, notamment pour continuer à assurer, à distance, un travail de prévention. « On s’est vite rendu compte que tous les lieux où il était possible de se procurer des capotes gratuites étaient fermés. On a donc installé un distributeur devant la façade du centre LGBT. Et on a pu distribuer près de 400 capotes », indique Erwann Le Hô, président du centre LGBT Côté d’Azur.
Plusieurs associations ont aussi compris l’importance, durant ces deux mois propices à la réflexion ou l’introspection, de faire de la sensibilisation sur le dépistage. « Nous avons acheté des publicités payantes sur Facebook et Instagram en ciblant les centres d’intérêt de la population HSH de 18 à 55 ans. Ces publicités proposaient l’envoi d’auto test à domicile. Au total, nous avons pu toucher 184 820 personnes, dont 5879 ont cliqué sur l’annonce. Et au final, nous avons eu 1 516 demandes d’auto-tests ce qui est énorme », indique le docteur Jean-Michel Livrozet, président du Corevih Lyon Vallée du Rhône.
D’autres associations comme Aides ont aussi communiqué sur le dépistage au moment du déconfinement. Une campagne, menée en lien avec Santé publique France, a été lancée, avec un message très simple : « Teste-toi avant le sexe ». « Proposer un dépistage massif du VIH et des IST dès maintenant, c’est permettre à un maximum de personnes de connaître leur statut sérologique et de traiter une éventuelle infection avant le retour à une vie sexuelle plus active. C’est la possibilité de se soigner, de mieux se protéger et de protéger ses partenaires », soulignait l’association dès le 12 mai, soit le lendemain du déconfinement.
L’enjeu du déconfinement
Un peu plus d’un mois et demi plus tard, il est difficile de savoir si les expositions au VIH se sont intensifiées. « Pendant le confinement, il y avait cette idée qu’une fois celui-ci levé, beaucoup de gens pourraient retrouver un sentiment de liberté via une activité sexuelle intense. C’est un phénomène qu’il ne faut pas non plus exagérer à mon sens », indique le docteur Livrozet. Si les bars ont pu rouvrir leurs portes partout en France, certains lieux de rencontre, comme les saunas, restent eux fermés. « C’est vrai mais, en même temps, à Lyon, les saunas restent assez peu fréquentés par les gens jeunes. La très grande majorité des rencontres se font aujourd’hui via les applis », ajoute le docteur Livrozet
Au CeGIDD de l’Hôtel Dieu, les consultations ont repris à un rythme plus soutenu mais toujours avec certaines limites. « Il ne peut y avoir plus de 5 personnes dans la salle d’attente. Du coup, on fait encore beaucoup de téléconsultations. Nous sommes quand même beaucoup sollicités, même s’il est difficile de dire si on a plus de demandes qu’avant le confinement. En tout cas, ce qui est sûr, c’est qu’on a des demandes d’initiations de PrEP. Ce qui peut laisser que certaines personnes ont peut-être profité du confinement pour faire le point sur leur sexualité, leur prise de risque et ont fini par estimer que la PrEP pouvait être une solution », souligne le docteur Florence.
Des inquiétudes à l’international
Dans le monde de la lutte contre le sida, une incertitude forte règne aussi sur d’éventuels « dégâts collatéraux » provoqués par le Covid. Même si tous les pays n’ont pas connu le même niveau de confinement, la pandémie a entraîné une très large paralysie des programmes de prévention. Si beaucoup d’acteurs sont restés mobilisés à distance, les lieux d’accueil, de soutien ou de soins ont dû fermer leurs portes ou réduire largement leur activité. Certains craignent que cette mise à l’arrêt, imposée par le coronavirus, puisse entraîner un regain de contamination, en particulier dans certains pays africains. « Les restrictions liées à la distanciation sociale compliquent considérablement la vie des personnes ayant besoin d’accéder à des services essentiels, ce qui augmente la charge incombant aux organisations communautaires qui sont au cœur de la fourniture de services », avertissait l’Onusida dès le 18 mai.
Une autre interrogation concerne d’éventuelles ruptures dans l’accès aux traitements. « En France, la continuité thérapeutique a pu être proposée. Les ordonnances ont été prolongées, les traitements sont restées accessibles dans les pharmacies », souligne Aurélien Beaucamp, le président de Aides. « Mais avec la pandémie de Covid et les difficultés logistiques qu’elle a provoqué, cette continuité thérapeutique a sans doute été plus difficile à assurer dans certains pays d’Afrique, d’Amérique du sud ou d’Asie », ajoute-il.
La production d’antirétroviraux affectée à plusieurs titres.
Une préoccupation partagée par l’Onusida. « L’impact de la Covid-19 sur la production et la logistique pourrait avoir des conséquences considérables sur l’approvisionnement en thérapie antirétrovirale dans le monde entier », souligne l’organisation internationale, en relevant que la production d’antirétroviraux est affectée à plusieurs titres. « D’une part, le ralentissement considérable du transport aérien et maritime freine la distribution de matières premières et d’autres produits, comme les matériaux d’emballage, dont les entreprises pharmaceutiques ont besoin pour fabriquer les médicaments. D’autre part, l’éloignement physique et le confinement restreignent également la disponibilité des ressources humaines sur les sites de production. La pénurie combinée de matières premières et de personnel pourrait provoquer des problèmes d’approvisionnement et une pression sur les prix dans les mois à venir. Une telle situation toucherait en particulier certains régimes de traitement de première instance et ceux pour les enfants », indique l’Onusida.
Selon Aurélien Beaucamp, la pandémie de Covid pourrait aussi mettre en péril certains financements de la lutte contre le sida. « La réduction très forte du transport aérien va avoir un effet sur les ressources de Unitaid qui finance l’innovation thérapeutique via une taxe sur les billets d’avion, dit-il. Par ailleurs, on sait que lorsqu’une nouvelle maladie émerge, il peut y avoir la tentation d’y affecter des financements importants. C’est légitime, mais il ne faut que cela se fasse au détriment des fonds alloués à la lutte contre le sida ».
(1) Centre Gratuit d’information, de Dépistage et de Diagnostic des infections par les virus de l’immunodéficience humaine, des hépatites virales et des infections sexuellement transmissible