En France, si les causes de décès des personnes vivant avec le VIH ont beaucoup changé depuis le début des années 1980, trop nombreuses sont celles qui meurent encore du sida. Un constat qui souligne la nécessité d’un dépistage précoce.
Grâce à l’arrivée des trithérapies et aux progrès médicaux de ces trois dernières décennies, l’infection par le VIH s’est progressivement transformée en maladie chronique. Aujourd’hui, les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) peuvent avoir une espérance de vie comparable à celle des personnes séronégatives. Mieux, lorsqu’elles sont sous traitement antirétroviral (ARV), elles ne transmettent plus le virus.
Pourtant, en France, alors que les ARV sont théoriquement accessibles à tous et qu’ils sont remboursés à 100 % par l’Assurance maladie, certaines personnes meurent toujours du sida. Ce que confirme l’étude copubliée en novembre 2023[i] par le Dr Pierre Sellier, infectiologue au département Maladies infectieuses et tropicales du groupe hospitalier Saint-Louis, Lariboisière et Fernand-Widal (Paris).
10 % de stade sida
En pratique, les chercheurs ont suivi 12 942 PVVIH prises en charge dans 11 hôpitaux de la région parisienne. « Constituant environ 10 % de l’ensemble des PVVIH traitées en France, notre cohorte est assez représentative de ce qui se passe dans l’Hexagone. Car, en métropole, les PVVIH ne sont pas réparties uniformément, mais concentrées essentiellement en Île-de-France et dans quelques centres en province (Bordeaux, Lyon et Marseille) », souligne le Dr Sellier.
Entre le 1er janvier 2020 et le 31 décembre 2021, le chercheur et ses collègues ont enregistré 202 morts. Ce qui correspond à un taux annuel de décès moyen d’environ 8 PVVIH pour 1 000. 23 % de ces décès étaient liés à des cancers non classant sida et non liés aux hépatites B et C (cancers de l’œsophage, du poumon, etc.), 19 % étaient dus à des infections non classant sida (grippe, Covid-19, etc.), 10 % à un stade sida, 9 % à des maladies cardiovasculaires (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral, etc.) et le reste à divers autres facteurs (maladies du foie, suicides, accidents, etc.).
Ainsi, alors que le sida a longtemps constitué la première cause de décès des PVVIH, cette place est désormais occupée par les cancers non classant sida et non liés aux hépatites B et C. « L’incidence de tumeurs augmente, car elles sont favorisées par l’âge, or la population des PVVIH vieillit de plus en plus grâce aux ARV », éclaire le Dr Sellier. Viennent ensuite, en seconde position, les infections non liées au sida. « Le nombre de décès dus à ces maladies a augmenté en 2020 et 2021, notamment à cause de la pandémie de Covid : 55 % étaient liés à cette infection ».
Les décès liés au sida arrivent donc en troisième place. De fait, « le taux de PVVIH décédant du sida est en baisse constante depuis pratiquement vingt ans », contextualise le Dr Sellier. Une étude, publiée également par l’infectiologue et ses collègues en 2020 [ii], montre que pour la période 2011-2015 ce taux était de 14 %, soit près de 40 % plus élevé qu’aujourd’hui. D’après l’étude ANRS EN20 Mortalité 2010 [iii], qui porte sur une période plus ancienne, le taux de PVVIH mourant du sida était encore de 25 % en 2010, 36 % en 2005 et 47 % en 2000.
« Ce recul des décès liés au sida est dû à la généralisation des ARV. Désormais, la majorité des PVVIH de France décède de causes non liées au VIH même, dont notamment des cancers non classant sida et les maladies cardiovasculaires, lesquels représentent les première et deuxième causes de mortalité prématurée en population générale », analyse le Pr Philippe Morlat, du service de médecine interne et des maladies infectieuses au CHU de Bordeaux et coauteur de l’étude ANRS.
Des femmes hétérosexuelles de nationalité étrangère
Qui sont les PVVIH qui meurent encore du sida en France ? Les récents travaux du Dr Sellier constatent qu’il s’agit en moyenne de personnes âgées de 60 ans (50-68 ans), infectées depuis dix-neuf années, soit à l’âge de 41 ans. De plus, ces PVVIH étaient généralement hétérosexuelles (89 %), de sexe féminin (56 %) et originaires d’Afrique subsaharienne (61 %).
Un des facteurs majeurs favorisant le stade sida est un diagnostic tardif. « En effet, plus le diagnostic est tardif, plus la charge virale se développe et plus le virus sera difficile à contrôler », explique le Dr Sellier. Or, selon Santé publique France, les facteurs associés à un dépistage tardif du VIH sont « l’âge supérieur à 40 ans, la nationalité étrangère (notamment d’Afrique subsaharienne) et le mode de contamination par rapports hétérosexuels », soit les facteurs caractérisant la plupart des PVVIH décédées du sida en 2020 et 2021.
D’après Santé publique France, en 2021, 29 % des cas de séropositivité au VIH ont encore été découverts à un stade avancé de l’infection. Accélérer la lutte contre le diagnostic tardif reste donc plus que jamais une nécessité.
Si VIH et sida sont souvent confondus, il s’agit pourtant de deux réalités médicales différentes. Sigle de « virus de l’immunodéficience humaine », le VIH attaque et détruit certaines cellules immunitaires : les lymphocytes CD4. Cependant, un traitement antirétroviral (ARV) efficace permet de rendre indétectable la charge virale (nombre de copies de virus dans le sang) et de maintenir ou de rehausser le taux de CD4, et ainsi de vivre sans symptômes.
VIH et sida, quelle différence ?
Acronyme de « syndrome d’immunodéficience acquise », le sida correspond à la phase ultime de la maladie causée par le VIH, laquelle – point important – ne survient qu’en absence d’un traitement ARV efficace. À ce stade, les défenses immunitaires sont si diminuées (moins de 200 CD4 par mm3 de sang) qu’elles laissent le champ libre au développement de maladies dites opportunistes, qui définissent le stade sida et qui sont qualifiées de « classant sida ».
[i] P. Sellier et al, AIDS, 1er novembre 2023. doi: 10.1097/QAD.0000000000003645. Epub 7 juillet 2023.
[ii] P. Sellier et al, AIDS Res Hum Retroviruses, Mai 2020. doi: 10.1089/AID.2019.0143. Epub 5 novembre 2019.
[iii] C. Roussillon et al, Bulletin épidémiologique hebdomadaire, 2012, no 46-47, p. 541-5.