Depuis plus de 40 ans, le chercheurs avancent pas à pas pour mieux comprendre le VIH. A l’occasion du Sidaction 2025, penchons-nous sur les stratégie à l’étude pour envisager un jour de guérir de l’infection à VIH.
En 2023, près de 40 millions de personnes étaient infectées par le VIH dans le monde. Si les traitements antirétroviraux (ARV) permettent de contrôler le virus, ils ne permettent pas de déloger le virus des cellules « réservoirs », où il se terre, « endormi », et d’où il peut proliférer à nouveaux en cas d’arrêt du traitement ; ce qui oblige à prendre celui-ci à vie. Pour mettre fin à l’épidémie de VIH, « il est crucial de développer des stratégies ‘Cure’ permettant aux PVVIH de vivre sans traitements », plaide le Pr Yazdan Yazdanpanah, directeur de l’agence ANRS-MIE, qui coordonne et finance la recherche sur le VIH/sida.
Signifiant « guérison » en anglais, « la recherche ‘Cure’ vise à développer des approches permettant d’éliminer complètement le virus de l’organisme, pour induire une guérison totale ou – plus réaliste – à empêcher sa prolifération à partir des réservoirs et induire ainsi une rémission où le patient pourra vivre sans traitement », détaille Michaela Müller-Trutwin, cheffe de l’unité « VIH, Inflammation et Persistance » à l’Institut Pasteur, impliquée dans cette recherche.
De fait, il est déjà possible d’induire une rémission de l’infection par le VIH. Cela, grâce à une greffe de cellules souches de moelle osseuse porteuses d’une mutation génétique rare appelée CCR5-delta 32. Laquelle est protectrice contre l’infection par le VIH, car empêchant la production de molécules CCR5 fonctionnelles, cruciales pour l’entrée du VIH dans les cellules. Depuis 2008, 10 PVVIH ont pu bénéficier avec succès de cette approche. Problème : ce traitement risqué est strictement réservé aux PVVIH atteintes d’un cancer du sang ou d’une autre maladie grave du sang, la greffe de cellules souches de moelle osseuse visant à remplacer les cellules souches hématopoïétiques (qui fabriquent le sang) déficientes. Il est donc urgent de trouver des stratégies plus sûres et accessibles à toutes les PVVIH.
Viser l’arrêt des traitements
Pour relever ce défi, souligne Michaela Müller-Trutwin,« il faudra réduire au maximum le réservoir viral, par exemple en commençant le traitement antirétroviral (ARV) très tôt après l’infection, en primo-infection. Puis installer des barrières afin que le virus dans les réservoirs restants, ne puisse pas se multiplier, après l’arrêt du traitement ».
Afin d’atteindre ce second objectif, trois stratégies sont à l’étude. « L’une vise à rendre les cellules résistantes à l’infection, afin qu’elles ne puissent pas être contaminées par les virus qui sortiraient des cellules réservoirs », précise la chercheuse de l’Institut Pasteur. Pour ce faire, beaucoup de scientifiques misent sur la thérapie génique, une technique qui consiste à introduire dans les cellules souches hématopoïétiques du matériel génétique à des fins thérapeutiques.
Parmi ces groupes : celui de Marina Cavazzana, cheffe du Département de biothérapie et thérapies innovantes à l’hôpital Necker de Paris et chercheuse à l’Institut Imagine. « Notre idée est de prélever des cellules immunitaires et/ou des cellules souches sanguines (à l’origine des cellules immunitaires) chez la personne à traiter. Puis il faudra introduire dans ces cellules, deux combinaisons de modifications génétiques destinées à empêcher l’entrée du VIH dans les cellules : une visant à supprimer la production de CCR5 et l’autre, à empêcher la fusion du virus avec les cellules T4. Enfin, on réinjecterait à la PVVIH, les cellules ainsi modifiées », développe la chercheuse. Après un essai clinique de phase I/II destiné à évaluer l’innocuité, la faisabilité et l’efficacité d’un traitement de ce type, mené en 2019 chez 2 patients séropositifs touchés par un cancer du système lymphatique, l’équipe tente désormais d’améliorer son approche pour la rendre plus efficace et plus facile à mettre en œuvre.
« Une seconde approche pour empêcher le rebond viral vise à faire en sorte que le virus ne sorte pas des cellules réservoirs », reprend Michaela Müller-Trutwin. Ici, de nombreuses équipes s’intéressent à la stratégie de « block and lock » (bloquer et verrouiller) qui a pour but de maintenir le virus « endormi ». Cela, avec par exemple, des inhibiteurs de la molécule virale Tat, absolument nécessaire à la réplication et donc à la production de nouveaux virus ; ou le complexe protéique Hush (« chut ! »), étudié par l’équipe de Florence Margottin-Goguet, à l’institut Cochin.
Enfin, poursuit Michaela Müller-Trutwin, « une troisième stratégie vise à réveiller le VIH des réservoirs afin que l’immunité le repère et le tue. » C’est l’approche de « Shock & Kill » (choquer et tuer). « Il existe quelques agents « shock », développés notamment aux États-Unis, mais aucun n’est suffisamment efficace. En France on est plus sur le versant « Kill », avec plusieurs tentatives visant à rendre les réponses immunes anti-VIH plus fortes afin qu’elles éliminent efficacement le virus une fois sorti de sa latence ».
La piste des anticorps à large spectre
« Grâce aux premiers résultats originaux obtenus par la recherche fondamentale, plusieurs essais cliniques destinés à évaluer différentes potentielles approches de rémission chez des PVVIH, ont pu être lancés dans le monde ces dernières années », se réjouit Michaela Müller-Trutwin.
En France, en 2023, le consortium multidisciplinaire RHIVIERA a démarré l’essai Rhiviera-02. Celui-ci vise à tester l’association d’un traitement ARV précoce avec l’administration d’anticorps anti-VIH à large spectre, qui ciblent deux domaines différents de la protéine de l’enveloppe du VIH gp120. Près de 70 PVVIH débuteront un traitement ARV en primo-infection puis recevront 7 à 10 jours après, une perfusion d’anticorps large spectre. Au bout d’un an de suivi, le traitement sera stoppé. L’objectif : déterminer si cette stratégie peut suffisamment diminuer le réservoir viral et renforcer la réponse immunitaire, et permettre ainsi un contrôle du VIH après arrêt des ARV. « Un essai clinique anglais similaire, présenté en début mars 2025 à San Francisco (États-Unis), à la Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes, confirme l’intérêt d’une telle approche », souligne Michaela Müller-Trutwin.
Au second semestre 2025, un autre essai clinique « cure » français pourrait débuter : « HELIOS ». Celui-ci est basé entre autres sur le cas d’une PVVIH en rémission après avoir reçu une greffe de cellules souches de moelle osseuse ne portant aucune copie de la mutation protectrice CCR5-delta 3 : « le patient de Genève ». Selon les chercheurs, cette rémission en l’absence pourrait être liée – entre autres – aux molécules immunosuppressives utilisées dans le protocole de greffe de moelle osseuse. Ces médicaments pourraient empêcher l’activation des cellules immunitaires T CD4, laquelle est indispensable pour la multiplication du virus dormant dans les CD4. D’où l’idée d’évaluer deux immunomodulateurs : le ruxolitinib et la rapamycine. « HELIOS devrait inclure environ 180 PVVIH sous ARV, qui vont arrêter leur traitement et être suivis pendant jusqu’à six mois », précise Olivier Lambotte, responsable de l’unité médecine interne-immunologie clinique à l’hôpital Bicêtre de l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris (APHP).
Si le chercheur s’intéresse de près à cette étude, c’est parce qu’elle devrait aussi permettre d’évaluer une autre potentielle approche de rémission, étudiée par des équipes en France depuis quelques années : la « reprogrammation métabolique ». « L’idée ici est d’amener les cellules immunitaires à utiliser les ressources énergétiques à leur disposition, de façon aussi efficace que les cellules des contrôleurs naturels du VIH. Cela, afin qu’elles arrivent à résister aussi bien que ces dernières au virus », développe le médecin. Or, justement, l’un des médicaments immunosuppresseurs prévus dans HELIOS, la rapamycine, est aussi un modulateur de l’état métabolique des cellules. De quoi envisager une stratégie Cure deux en un, avec deux mécanismes d’actions différents.