Très attendues, les nouvelles recommandations pour la prise en charge du VIH seront disponibles entre juin et septembre prochains. Cette publication, dirigée par le Pr Pierre Delobel, infectiologue au CHU de Toulouse, s’étend aux hépatites et aux IST. Une édition qui a nécessité près de deux ans et demi de travail, avec un cahier des charges bien plus rigoureux que pour la version précédente.
Transversal : Comprenez-vous que ces recommandations soient très attendues, notamment par les patients et les associations ?
Pierre Delobel : Bien sûr. C’est un domaine qui évolue rapidement ; il était temps d’émettre de nouvelles recommandations. Le champ est élargi aux hépatites et aux infections sexuellement transmissibles (IST). Les recommandations sur les hépatites virales (coordonnées par Françoise Roudot-Thoraval, ndlr) ont été publiées. Je coordonne directement celles sur le VIH et Sébastien Fouéré, celles sur les autres IST. Ces recommandations s’adressent évidemment aux professionnels de santé, mais certaines d’entre elles concernent directement, effectivement, les patients et les associations.
T. : N’étaient-elles pas attendues pour 2022 ?
P. B. : Non, avec la crise du Covid, la réunion de lancement du processus a eu lieu à l’automne 2021. Et si ce processus a été aussi long, c’est parce que le cahier des charges était un peu différent. La majorité des chapitres qui traitent les domaines thérapeutique et préventif a été placée sous tutelle de la Haute Autorité de santé (HAS), en plus de l’ANRS – Maladies infectieuses émergentes et du Conseil national du sida (CNS) qui sont les commanditaires de ces recommandations pour le ministère de la Santé. L’édition est donc labélisée et publiée par la HAS, dont le processus d’élaboration diffère de celui des recommandations précédentes.
T. : Pourquoi ce label HAS ?
P. B. : C’était une exigence du ministère [de la Santé] pour la prévention des conflits d’intérêts et pour une transparence supérieure aux précédentes recommandations. Les sujets les plus à risque de conflits d’intérêts (les traitements et les médicaments), qui sont donc des thèmes éminemment financiers, sont passés sous la tutelle de la HAS. Les volets « épidémiologie » ou « virologie », par exemple, qui, eux, ne présentent pas d’enjeu financier, ont été placés sous la tutelle de la Direction générale de la santé (DGS). Mais le processus administratif était, là encore, complexe.
T. : Qu’est-ce qui a changé et a pris tellement de temps ?
P. B. : Au départ, tous les experts appelés à travailler sur les recommandations ont dû déposer une déclaration publique d’intérêt (DPI), validée par le déontologue de la HAS. C’est un processus lent, certaines DPI n’ont pas été validées et il a fallu chercher d’autres experts. Même chose du côté de la DGS. Les premiers groupes de travail ont pu rentrer dans le vif du sujet seulement en février 2022.
T. : La rédaction des textes a-t-elle été plus fastidieuse ?
P.B. : La méthodologie de la HAS est également différente, et les textes sont plus denses. Pour chaque chapitre, est rédigé un texte, dit court (par exemple, 60 pages pour le chapitre « grossesse »), qui reprend les recommandations sous forme de questions-réponses. Par rapport aux versions antérieures, le niveau de détails est beaucoup plus important et ce système de questions-réponses, très pratico-pratique, a pu dérouter les experts. À chaque situation correspond une solution ; on s’adresse vraiment aux praticiens de terrain.
Chaque texte est associé à un argumentaire qui comporte une analyse exhaustive de la littérature sur laquelle s’appuient les recommandations, présentée sous la forme d’un tableau de synthèse réalisé avec le service de bibliographie de la HAS. Cela n’existait pas auparavant et cela a pris beaucoup de temps. Par exemple, toujours pour le chapitre « grossesse », plus de 400 références ont été analysées, une par une. L’argumentaire scientifique représente plus de 200 pages !
On a aussi rédigé des fiches de synthèse à destination des professionnels de santé. Du pratico-pratique pour les médecins de terrain. D’autres fiches s’adressent aux patients ou aux familles (chapitre « pédiatrie » ou aux couples (chapitre « grossesse »). Les fiches à destination des patients ont été réalisées avec des associations de patients.
Le travail effectué est très rigoureux, très complet et, je crois, de très bonne qualité. Mais le revers de la médaille est qu’il a fallu être patient.
T. : Et une fois la rédaction terminée ?
P . B. : Après la rédaction – c’est encore une nouveauté –, un groupe de relecture, pluridisciplinaire et composé de personnes qui n’ont pas participé à l’élaboration des textes, relit, valide et commente les recommandations. Le groupe d’experts réalise alors les ajustements nécessaires en vue d’une version finale. Le texte est ensuite validé par la HAS, en passant devant plusieurs commissions (la commission Recommandations, pertinence, parcours et indicateurs [CRPPI], le service d’évaluation du médicament de la HAS et deux collèges, dont le collège délibératif). Ce qui, là encore, prend du temps.
T. : Quand les premiers textes seront-ils publiés ?
P. B. : Les recommandations sur les hépatites sont sorties à l’automne dernier. Concernant le VIH, tous les chapitres sont à peu près finalisés ou au stade des étapes finales de validation par la HAS. Le chapitre « grossesse » sera disponible début juin, avec des communications aux Journées nationales d’infectiologie (du 12 au 14 juin) et Pari(s) Santé Femmes (du 12 au 14 juin). Le chapitre « pédiatrie » passe les dernières commissions fin mai et devrait également sortir début juin. Les derniers chapitres qui n’auraient pas été validés fin juin sortiront au plus tard début septembre.
Concernant les chapitres qui ne relèvent pas de la HAS, les chapitres « virologie » et « cancer » seront mis en ligne par le CNS début juin. Les autres suivront un même calendrier : une première importante fournée avant l’été et quelques derniers chapitres en septembre. C’est effectivement long, je sais que ces recommandations sont très attendues, mais je crois que ce travail est vraiment à la hauteur de ces attentes.
T. : Est-ce que certains sujets étaient plus polémiques que d’autres et ont-ils pu retarder le processus ?
P. B. : Forcément, certains sujets ont occasionné des débats et des discussions, mais rien qui n’ait été bloquant. Toutes les décisions ont été prises à partir des données scientifiques dont nous disposions. L’état des lieux des connaissances a été l’unique arbitre en faveur de telle ou telle décision. Par exemple, le chapitre « grossesse » présente de nombreuses nouvelles propositions par rapport aux recommandations antérieures.
T. : D’ailleurs, les recommandations iront-elles dans le sens d’un allaitement possible pour les mères vivant avec le VIH ?
P. B. : Tous les textes et leur contenu sont sous embargo, la HAS est très stricte à ce sujet. Mais je peux dire que, dans ce chapitre, les choses ont évolué de manière très significative.
T. : Même chose concernant la PrEP à la demande chez les femmes, est-ce que ça évolue ? Vous ne pouvez rien nous dire ?
P. B. : À chaque questionnement, on se reporte aux données de la littérature. Dans le cas de la PrEP à la demande chez les femmes, il manque, à ce jour, des éléments dans la littérature pour faire évoluer les dernières recommandations.
T. : Dans quels domaines attendiez-vous des changements ?
P. B. : Pour certains sujets, comme le traitement de l’infection opportuniste du VIH, rien n’a changé, parce que c’est carré et que l’on connaît bien le sujet. Mais pour la grossesse, la PrEP ou le TPE, on attendait de profonds changements, et il y en a.