Fin mai, à Genève (Suisse), 25 pays et 10 organisations internationales se sont engagés à lutter contre les médicaments contrefaits en Afrique francophone. Cette rencontre était organisée sous l’égide de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et de l’Onusida, en collaboration avec l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et la fondation Chirac. « Chaque année, des milliers de personnes décèdent à cause de médicaments contrefaits ou non conformes, en particulier dans de nombreux pays d’Afrique où jusqu’à 7 médicaments sur 10 ne répondent pas aux normes de qualité requises », souligne l’Onusida.
Plutôt louable en apparence, cette initiative suscite néanmoins l’inquiétude d’un grand nombre d’associations de France et d’Afrique, parmi lesquelles Aides, Sidaction, Coalition plus ou Médecins sans frontières
Pour quelle raison cette déclaration de Genève pose-t-elle problème aux ONG ?
Pauline Londeix : Cette déclaration ne s’attaque pas réellement au problème des médicaments falsifiés ou de mauvaise qualité. La priorité n’est pas de multiplier les instruments juridiques ni de traquer les vendeurs qui fournissent ces médicaments sur les marchés. L’enjeu est de développer l’accès à des médicaments de bonne qualité dans les pays les moins avancés afin de ne pas être obligé d’acheter ces médicaments falsifiés. Pour cela, il faut d’abord renforcer le système de santé de ces pays. Il faut ensuite permettre un accès gratuit aux médicaments essentiels. Enfin, la priorité est que ces pays accèdent plus largement aux génériques. Aujourd’hui, en Afrique subsaharienne francophone, la plupart des pays les moins avancés délivrent des brevets sur les médicaments, alors que rien dans la réglementation internationale de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ne les y oblige avant 2031. Cela freine l’accès aux génériques
Mais que désigne-t-on exactement sous ce terme de médicaments contrefaits ?
Carine Baxerres : C’est au cours des années 1980 que cette question a émergé sur la scène internationale. Au départ, l’OMS, les firmes et les politiques ont parlé de contrefaçon, qui est un terme juridique employé en cas de violation des droits de propriété intellectuelle détenus par les firmes pharmaceutiques. Cela renvoie à des questions sensibles : tel médicament est-il ou non protégé par un brevet dans tel pays ? Peut-il y être copié et distribué ? Ensuite, à partir de la fin des années 2000, on s’est mis à parler de faux médicaments. Mais, dans les faits, on ne sait jamais de quoi il est réellement question. S’agit-il de contrefaçon, avec les problèmes de propriété intellectuelle que je viens d’évoquer ? De malfaçon, c’est-à-dire de médicaments autorisés, mais qui posent des problèmes de non-conformité à des degrés divers ? Ou de marché informel du médicament, c’est-à-dire de circuits de distribution non autorisés ? Les discours officiels entretiennent souvent une certaine confusion entre ces trois phénomènes pourtant distincts.
P. L. : C’est une manière pour les firmes d’introduire un doute sur la qualité des médicaments génériques, alors que ces derniers passent de nombreux tests de bioéquivalence afin d’établir leur non-toxicité et que leur action thérapeutique est identique aux médicaments d’origine
L’enjeu est de développer l’accès à des médicaments de bonne qualité dans les pays les moins avancés afin de ne pas être obligé d’acheter ces médicaments falsifiés.
Comment sont distribués ces médicaments contrefaits ou ces « faux » médicaments ?
C. B. : Dans les pays francophones d’Afrique, c’est principalement le marché informel qui fait couler le plus d’encre. Les médicaments sont alors achetés et revendus en dehors du cadre imposé par l’État et le système de santé. Dans le cadre d’une recherche doctorale, j’ai étudié durant deux ans, de 2005 à 2007, le marché informel du Bénin où on trouve plusieurs sortes de détaillants : des boutiquiers et vendeurs sur étals, ceux qui font du porte à-porte, ceux qui vendent depuis leur domicile ou dans les transports en commun. Les médicaments sont aussi commercialisés dans des marchés urbains ou ruraux. Le plus souvent, ces médicaments sont achetés dans des circuits légaux à des grossistes du Bénin ou de pays voisins, francophones ou anglophones.
Trouve-t-on beaucoup de médicaments anti-VIH sur ces marchés informels ?
C. B. : Non, il s’agit plutôt d’antalgiques, d’antipaludiques, d’antibiotiques, de produits contre l’hypertension, etc. Sur ces marchés, on trouve des médicaments que les patients doivent payer de leur poche. Les antirétroviraux sont très peu présents, car ils sont généralement délivrés par l’intermédiaire de programmes nationaux soutenus par des grands bailleurs internationaux, comme le Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose.
P. L. : Les antirétroviraux sont effectivement peu concernés par ce problème des médicaments falsifiés. En revanche, la question peut se poser pour les hépatites. Il n’existe pas de plans nationaux d’accès aux traitements, et les personnes peuvent être tentées d’acheter ces médicaments en dehors du circuit officiel. À partir de 2014 et l’arrivée des nouveaux traitements contre l’hépatite C, on a constaté une augmentation de faux médicaments. Mais la meilleure façon d’empêcher leur circulation est de permettre l’accès aux génériques qui existent pour les personnes qui en ont besoin.
Ce problème des médicaments falsifiés est-il exagéré par les grands groupes pharmaceutiques ?
P. L. : C’est un réel problème en Afrique. Mais l’on ne doit pas gonfler son ampleur comme peuvent le faire l’industrie pharmaceutique ou certaines fondations que cette industrie finance.
C. B. : Le problème est indéniable, mais il est difficile d’en apprécier l’impact sur la santé des individus, car il existe peu d’études sérieuses sur le sujet. Et il est évident que cette problématique des « faux » médicaments a émergé à un moment de profonds bouleversements dans la géographie de la production pharmaceutique mondiale, avec la montée en puissance des sociétés qui fabriquent des génériques en Asie. Ces discours sur les « faux » médicaments sont une façon pour Big Pharma de délivrer un message clair aux patients : « Si vous voulez un bon médicament, il faut choisir en priorité nos produits… »