Si l’espérance de vie des personnes vivant avec le VIH rejoint celle de la population générale, la lourdeur du traitement quotidien met en péril la bonne observance de ce dernier, pourtant essentielle. Un nouveau défi pour la recherche : améliorer la qualité de vie des patients en réduisant le nombre et la prise des antirétroviraux.
De nos jours et sous certaines conditions – dépistage précoce, mise sous traitement antirétroviral (ARV) rapide et suivi d’une bonne observance – les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) ont une espérance de vie similaire à la population générale et, surtout, elles ne transmettent plus le virus. Cependant, la prise d’un traitement quotidien à vie reste contraignante. Améliorer leur qualité de vie est donc devenu un nouvel enjeu majeur pour la recherche. Parmi les stratégies d’optimisation des traitements, l’allègement thérapeutique consiste à diminuer le nombre de molécules.
Ces dernières années, de nombreux essais analysant l’effet du passage d’une trithérapie à une bithérapie, comme traitement de maintien, chez les personnes avec une charge virale indétectable, ont été menés.
Les médicaments à action prolongée
Toutes ces innovations sont importantes, mais leur réelle efficacité dépend de l’adhérence au traitement, qui est primordiale. Une mauvaise observance peut conduire à un échec thérapeutique, entraînant un rebond viral et l’apparition de résistances aux ARV. Le nombre d’ARV à prendre a considérablement diminué, mais les prises restent quotidiennes. Est-il possible de modifier la posologie de ces traitements pour en faciliter l’administration ? Dans quel contexte cela est-il applicable ? Dernièrement, les médicaments dits à action prolongée ont été développés. Contrairement aux thérapies disponibles, ces nouvelles formulations agissent durant plusieurs semaines dans l’organisme, permettant ainsi d’espacer leur prise. La formulation en nanosuspension[1] permet une libération contrôlée du composé (dont la durée de demi-vie a également été prolongée) dans l’organisme.
Une bithérapie à l’essai
Les groupes pharmaceutiques ViiV Healthcare et Janssen ont été parmi les premiers à développer ce type de formulation pour le cabotégravir (ViiV Healthcare), un inhibiteur d’intégrase, et la rilpivirine (Janssen), un inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse. Leur premier essai Latte[2] a montré qu’après 96 semaines, 76 % des personnes sous bithérapie maintenaient une charge virale indétectable, contre 63 % pour le groupe sous trithérapie.
Ces résultats positifs ont amené les investigateurs à tester cette bithérapie sous forme injectable au cours de l’essai Latte-2[3] . Mené dans cinq pays (États-Unis, Canada, Allemagne, Espagne et France), l’essai avait pour objectif d’évaluer la non-infériorité de la bithérapie par voie intramusculaire par rapport à la trithérapie par voie orale en traitement de maintien. Après 96 semaines, dans les deux groupes ayant reçu la formulation injectable (Q4W et Q8W), le taux de personnes avec une charge virale indétectable (respectivement 87 % et 94 %) était comparable à celui observé dans le groupe contrôle (84 %). Ces résultats publiés dans la revue The Lancet[4] suggèrent que la bithérapie par voie injectable présente une efficacité similaire à la trithérapie dans le maintien d’une charge virale indétectable.
L’efficacité prouvée, qu’en est-il de la tolérance à ce traitement ? La fréquence des effets indésirables observés était similaire pour les trois groupes. La douleur au site d’injection était l’effet indésirable le plus fréquemment reporté pour les groupes Q4W et Q8W, mais les douleurs signalées étaient pour la grande majorité d’entre eux considérées comme faibles ou modérées (seuls deux patients ont dû interrompre l’essai à cause de réactions au site d’injection).
Latte-2, réalisé majoritairement auprès d’hommes (92 %), ne reflète pas l’hétérogénéité de la population des personnes vivant avec le VIH. Deux essais de phase 3 testant l’innocuité et l’efficacité de cette bithérapie chez des personnes sous traitement antirétroviral (essai Atlas) et chez des personnes initiant leur traitement (essai Flair) ont été mis en place en 2016. Menés sur un plus grand nombre de personnes, ils permettront de conforter les résultats obtenus, en vue d’une prochaine demande de mise sur le marché du traitement.
Une véritable solution pour assurer l’adhérence au traitement ?
Questionnés sur leur perception du nouveau traitement, la majorité des participants ont répondu en être satisfaits et prêts à le poursuivre sur le long terme. Plus facile et plus discret, le traitement injectable leur permet en un sens de retrouver une vie normale sans le rappel quotidien de leur statut (établi par la prise quotidienne de comprimés). Cependant, une partie d’entre eux expriment quelques doutes sur la fréquence élevée des visites médicales. Ils redoutent que celles-ci éveillent les soupçons de leur entourage professionnel et personnel quant à leur statut, poussant certains à mentir en prétextant des rendez-vous non médicaux. On peut alors se demander si cette crainte n’induirait pas chez ces personnes un manque d’observance au traitement sur le long terme. Si tel est le cas, quelles en seraient les conséquences ? Pour le personnel soignant, malgré un avis général plutôt positif quant à la mise en place de ce traitement injectable, ils estiment que celui-ci devrait être réalisé au cas par cas. Ils pointent également certains aspects cliniques et logistiques inhérents à ce type de traitement. Puisque le médicament est présent dans l’organisme sur de longues périodes, comment prendre en charge un patient qui développerait des effets indésirables. De plus, les établissements de santé ne sont pas à l’heure actuelle configurés pour permettre la mise en place de ce type de procédure.
Pour conclure, cette bithérapie mensuelle, voire bimestrielle, par voie injectable se présente comme une alternative au traitement quotidien par voie orale pour les PVVIH contrôlant leur charge virale. Elle ouvre la voie à la diversification des offres de traitement, pouvant conduire dans un futur proche à la mise en place d’une médication plus personnalisée. Mais il reste encore du chemin à parcourir avant de pouvoir déployer ce système.
[1] La nanosuspension contient des particules microscopiques (200 nm de diamètre) de cabotégravir.
[2] thelancet.com/journals/laninf/article/PIIS1473-3099(15)00152-8/fulltext
[3] L’essai a inclus 286 personnes séropositives n’ayant pas entamé de traitement antirétroviral. Après 20 semaines sous trithérapie, les participants présentant une charge virale indétectable (≤ à 50 copies d’ARN viral/ml) ont été séparés en trois groupes pour débuter la phase de maintien. Le premier groupe a reçu une injection intramusculaire de la bithérapie cabotegravir + rilpivirine toutes les quatre semaines (groupe Q4W) ; le deuxième, toutes les huit semaines (groupe Q8W) et le troisième groupe a poursuivi la trithérapie orale quotidienne (groupe contrôle).
[4] thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(17)31917-7/fulltext