vih Reportage  à Zanzibar : Derrière les  plages de rêve…

24.09.18
Hélène Ferrarini
11 min
Visuel Reportage  à Zanzibar : Derrière les  plages de rêve…

D’après les chiffres de l’Onusida de 2017, 4,7 % des adultes qui vivent dans la République unie de Tanzanie sont séropositifs. L’organisation internationale constate une légère baisse de l’épidémie dans ce pays d’Afrique de l’Est où au début des années 2000, 7 % de la population était séropositive. Cependant, ces taux reflètent mal les disparités entre les régions tanzaniennes. Ainsi, au sud-ouest du pays, dans la région de Njombe, frontalière du Malawi, la prévalence du VIH est de 14,8 % chez les adultes.

Quant à l’archipel de Zanzibar (environ 1,2 million d’habitants), il se démarque du reste de la Tanzanie avec un taux de prévalence estimé inférieur à 1 %. « Nous sommes sur une île, souligne Salma Nassib, chargée de programme pour ZAPHA+ (Zanzibar Association of People living with HIV/AIDS), une association de personnes vivant avec le VIH à Zanzibar. Les habitants ne circulent pas autant que sur le continent. Notre population est relativement faible et les gens se connaissent. Dans ce contexte, il est plus facile de délivrer de l’information. » Depuis le premier cas de VIH diagnostiqué à Zanzibar, en 1986, l’épidémie ne s’est pas généralisée comme ailleurs sur le continent. L’immense majorité de la population est de confession musulmane, et la circoncision y est très répandue. Certains y voient une des raisons du maintien de l’épidémie à des taux relativement faibles.

La circoncision réduisant le risque pour un homme d’être infecté par le VIH, l’Onusida a inscrit en 2013 la Tanzanie dans la liste des pays prioritaires pour la généralisation de cette pratique. Utilisée comme stratégie additionnelle de lutte contre le sida, la circoncision volontaire a ainsi été encouragée dans plusieurs régions tanzaniennes, notamment dans celle de Njombe, fortement touchée par l’épidémie. 

Une mobilisation communautaire

Composé de trois îles principales – Unguja, Pemba et Mafia –, l’archipel de Zanzibar, situé à une centaine de kilomètres des côtes, a conservé un statut semi-autonome par rapport à la Tanzanie. En 2002, le gouvernement révolutionnaire de Zanzibar a ainsi créé une instance indépendante de lutte contre l’épidémie, la Commission sur le sida de Zanzibar (ZAC). Mais dès 1994, en l’absence d’accompagnement étatique, des habitants se sont mobilisés : 26 personnes vivant avec le VIH se sont ainsi réunies pour fonder ZAPHA+.

En 2002, le gouvernement révolutionnaire de Zanzibar a créé une instance indépendante de lutte contre l’épidémie, la Commission sur le sida de Zanzibar.

En 2002, le gouvernement révolutionnaire de Zanzibar a créé une instance indépendante de lutte contre l’épidémie, la Commission sur le sida de Zanzibar.

 L’objectif était la défense de leurs droits et la lutte contre la stigmatisation. En presque trente ans, ZAPHA+ est devenue un important réseau de personnes séropositives vivant dans l’archipel. « L’association compte environ 3 000 personnes, dont 75 % de femmes et 750 jeunes ayant moins de 20 ans, précise Salma Nassib. Les femmes sont plus affectées par l’épidémie que les hommes. » 

Lutter contre les discriminations

Cela fait dix ans qu’Hawa Kassim Salum, 52 ans, fréquente ZAPHA+, car elle y trouve « des personnes avec qui parler, des informations et des activités ». Hawa était déjà malade lorsqu’elle s’est fait dépister. À l’annonce du diagnostic, sa famille la contrainte à se séparer de son mari, « car ils avaient peur que ma situation empire », se souvient-elle. Le corps enveloppé d’une abaya [1], que les Zanzibaris appellent « baibui », et les cheveux couverts d’un niqab, Hawa raconte son histoire en swahili (la langue offi cielle) dans les locaux de l’association. Le divorce a été prononcé par les autorités religieuses, mais un mois plus tard elle se remariait avec son époux, sa famille ayant mieux compris la maladie. Son mari, également séropositif, est décédé.

Depuis sa création, ZAPHA+ a principalement milité pour une éducation par les pairs, via un maillage du territoire. Dans chacun des onze districts, des groupes de personnes vivant avec le VIH se réunissent chaque semaine afin d’échanger des informations, de s’encourager dans le suivi du traitement et de lutter contre la stigmatisation. « La fatigue face aux médicaments, surtout pour les enfants » est l’un des principaux défi s que note Salma Nassib. Suluhu Ramadhan Wakil, 33 ans, est éducateur-pair pour ZAPHA+. Il s’est fait dépister il y a douze ans, alors qu’il était sur le point de se marier. À la découverte de sa séropositivité, les fiançailles ont été rompues. Suhulu marque alors une pause dans son récit, à l’appel du muezzin qui résonne plusieurs fois par jour à Zanzibar. Comme la plupart des habitants de l’île, c’est un temps durant lequel il garde le silence, avant de reprendre son histoire. Depuis, Suhulu a épousé une personne membre de ZAPHA+, également séropositive, avec laquelle il a eu deux enfants, tous deux séronégatifs. Ces dernières années, le gouvernement de Zanzibar s’est principalement concentré sur un programme de prévention de la transmission mère-enfant, qui semble commencer à porter ses fruits. « Aujourd’hui, les gens me semblent suffisamment informés, mais il reste des questions de comportement. Certaines personnes pensent que c’est une punition de Dieu », ajoute Suhulu, qui se souvient du jour où son barbier a refusé de le raser. Pour Salma, si la stigmatisation des personnes séropositives est en baisse, elle existe toujours au sein des familles ou encore dans les hôpitaux et les dispensaires qui délivrent gratuitement les antirétroviraux et où les personnes peuvent tester leur taux de CD4 tous les six mois. En 2008, le Parlement tanzanien a adopté une loi interdisant toute discrimination envers les personnes vivant avec le VIH, mais les infractions à la loi sont nombreuses. 

Prévention versus tourisme ?

Les messages de prévention sont assez répandus à Zanzibar et plus généralement en Tanzanie. Sur tous les sites de construction, au-dessous des coordonnées des maîtres d’œuvre, un message, en swahili, rappelle que le sida tue. Mais cette communication n’est pas du goût de tous. En février 2018, Suleiman Sarahani Said, élu de l’île de Pemba, interrogeait le gouvernement sur la pertinence de ces panneaux, les accusant d’envoyer un mauvais message aux visiteurs de l’archipel.

Car le tourisme a connu un bond exponentiel ces dernières années à Zanzibar, passant de 20 000 visiteurs par an en 1985 à 300 000 en 2014. Les plages de sable blanc bordées de cocotiers, l’eau turquoise du lagon, la vieille ville de Stone Town, classée au patrimoine mondial de l’Unesco, participent d’un imaginaire mêlant Les Mille et une nuits et l’île aux épices, et font de Zanzibar une destination de plus en plus prisée. Une part croissante de l’économie locale dépend du tourisme. Entre 1995 et 2000, 65 % des créations d’emploi relevaient de ce secteur. 

En février 2018, Suleiman Sarahani Said, élu de l’île de Pemba, interrogeait le gouvernement sur la pertinence de ces panneaux, les accusant d’envoyer un mauvais message aux visiteurs de l’archipel.

En février 2018, Suleiman Sarahani Said, élu de l’île de Pemba, interrogeait le gouvernement sur la pertinence de ces panneaux, les accusant d’envoyer un mauvais message aux visiteurs de l’archipel.

Le développement d’un tourisme balnéaire de masse s’est accompagné de l’émergence de relations amoureuses et sexuelles accrues entre touristes et habitants de l’archipel. Le phénomène des « beach boys » [2] a notamment été étudié par Altaïr Desprès, chercheuse en sociologie à Paris : « Il ne me semble pas qu’il y ait d’anxiété particulière liée au VIH à Zanzibar du côté des Occidentales. » Elle porte cependant l’attention sur une autre forme d’inquiétude générée par le tourisme chez les habitants de l’archipel.

« Les femmes vivant dans les zones côtières de Zanzibar doivent porter des vêtements décents pour protéger la culture swahilie et éliminer les causes qui conduisent à la transmission du VIH. » C’est ainsi que commence un article publié sur le site de la Commission contre le sida de Zanzibar. Il relate les inquiétudes d’habitants de l’archipel accusant le tourisme de mettre en péril la culture et la santé des Zanzibaris. Salma tente de nuancer cette relation, qui reste peu étayée, entre tourisme croissant et épidémie de VIH : « Le tourisme n’arrive pas seul. Il nécessite de recruter des gens et augmente les migrations de travailleurs vers Zanzibar. Je ne conclus pas que le tourisme amène le VIH, mais les migrations que ce secteur économique implique sont à prendre en compte. »

L’homosexualité en ligne de mire

C’est ce même secteur du tourisme que le militant tanzanien pour les droits des LGBT, James Wandera Ouma, a appelé à boycotter après l’arrestation en septembre 2017 de 20 personnes par la police de Zanzibar. Cette dernière les accusait de « promouvoir l’homosexualité ». Ces personnes participaient en fait à une session de formation sur le VIH organisée par une ONG, dans un hôtel de l’archipel. Cette arrestation est l’une des dernières actions en date de ce type en Tanzanie.

En août 2016, le ministre de la Justice Harrison Mwakyembe annonçait la suspension des organisations caritatives et non  gouvernementales « soutenant l’homosexualité ». Cette annonce suivait l’interdiction partielle de l’importation de lubrifiants par le ministre de la Santé, Ummy Mwalimu, afin, selon lui, de décourager les hommes d’avoir des relations sexuelles avec des hommes et de « limiter la propagation du VIH ». Ces dernières années, les autorités tanzaniennes ont également fermé une quarantaine de centres de santé privés délivrant des services et des soins liés au VIH/sida à des personnes homosexuelles, transgenres ou encore à des travailleuses et travailleurs du sexe. Le ministre de la Santé accusait en février 2017 ces lieux de « promouvoir l’homosexualité, ce qui est contre la loi tanzanienne ». Dans ce pays d’Afrique de l’Est, la sodomie est un crime punissable d’emprisonnement à vie, mais la communauté LGBT tanzanienne bénéficiait jusqu’à présent d’une certaine indifférence du pouvoir politique à son égard, contrairement à d’autres pays de la région.  Cette répression accrue est une nouveauté pour la Tanzanie. Dans ces conditions, les programmes qui ciblent les populations clés, comme les HSH, sont quasiment inexistants, formant un véritable angle mort de la lutte contre le VIH en Tanzanie et à Zanzibar. 

Sur la route de l’héroïne

Pourtant, à Zanzibar comme ailleurs, l’épidémie touche particulièrement certains groupes. Les travailleuses du sexe ont un taux de prévalence de 19 %. Les personnes qui s’injectent des drogues présentent également des taux d’infection très élevés. En 2014, le programme national de contrôle du Sida en Tanzanie estimait que 30 000 personnes s’injectaient de la drogue dans le pays et que parmi elles, 35 % étaient séropositives.

La situation est particulièrement préoccupante à Zanzibar, car l’archipel de l’océan Indien se trouve sur la route de l’héroïne asiatique, en transit vers l’Europe via l’Afrique de l’Est. Ce trafic serait en hausse, notamment du fait de l’augmentation de la production de pavot en Afghanistan. Et cela se ferait sentir dans l’archipel de Zanzibar, où l’achat d’une dose, surtout si elle est coupée, est accessible à un grand nombre de personnes. Le gouvernement tanzanien dispose d’informations parcellaires sur les personnes qui s’injectent de la drogue. Ces informations sont précisément concentrées sur Zanzibar, porte d’entrée de la drogue dans le pays, et sur la ville de Dar es-Salaam, la capitale économique du pays.

À Zanzibar, une douzaine de centres de désintoxication ont ouvert ces dernières années, signe de la prise en compte croissante du problème. Ce sont toutefois des initiatives privées qui disposent de moyens limités. La mise en place de programmes de Réduction des risques (RdR) doit aussi devenir une nécessité pour l’archipel.

 Jusqu’à présent relativement épargné, l’archipel de Zanzibar reste fragile face à l’épidémie de VIH/sida.

[1] Longue robe noire portée par les femmes musulmanes.

[2] Tourisme sexuel, dont la clientèle est la femme occidentale.

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