L’apparition de résistances du VIH à certains antirétroviraux est en nette augmentation dans de nombreux pays en développement. Si ce phénomène n’est pas contrôlé, il pourrait compromettre les progrès dans la lutte contre la pandémie.
Fin juillet 2017, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) communiquait de façon alarmiste sur la hausse de la résistance du VIH aux médicaments, relayant le résultat d’enquêtes menées dans onze pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine : dans six d’entre eux, plus de 10 % des personnes débutant un traitement antirétroviral étaient porteuses d’une souche résistante à certains des médicaments les plus utilisés contre ce virus. En l’absence de mesures, l’OMS indiquait que 135 000 décès supplémentaires et 105 000 nouvelles infections pourraient être enregistrés d’ici 2022, et que les coûts du traitement anti-VIH seraient susceptibles d’augmenter de 650 millions de dollars. Car qui dit résistance dit échec thérapeutique et nécessité de passer à des traitements de deuxième, voire de troisième ligne, plus chers et pas toujours disponibles au Sud.
« Ce rapport de l’OMS était une alerte, appuie Constance Delaugerre, professeure de virologie à l’hôpital Saint-Louis (Paris). Son objectif était de clamer : réveillez-vous ! Dans certains endroits, cela concerne jusqu’à 20 % de patients, un chiffre très élevé : une personne sur cinq d’emblée résistante à des antirétroviraux [ARV] inclus dans les trithérapies de première ligne. Si on donne à ces patients une combinaison contenant un médicament auquel le virus est résistant, ils développeront des résistances aux autres médicaments, les résistances continueront à s’accumuler et ces virus multirésistants se diffuseront. »
Personnes nouvellement infectées ou déjà traitées auparavant
Fin novembre 2017, piqûre de rappel. La revue scientifique The Lancet publie les résultats d’une large étude qui montre l’augmentation de la fréquence des résistances du VIH au traitement antirétroviral de première ligne, en particulier chez les personnes déjà traitées antérieurement. Les chercheurs ont analysé 358 ensembles de données portant sur 56 044 adultes dans 63 pays : les résistances augmentent à une vitesse importante dans les pays à ressources limitées, dépassant souvent, surtout en Afrique subsaharienne, les 10 % considérés comme le seuil d’alerte par l’OMS. « Au Sud, explique la Pr Delaugerre, la première ligne recommandée depuis longtemps est une combinaison incluant toujours un inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse. Or cette classe d’ARV fait partie des molécules à barrière génétique faible, les plus susceptibles d’induire une résistance. »
Il existe deux catégories de personnes affectées par la résistance du VIH : les patients naïfs (n’ayant jamais reçu de traitement) qui ont été infectés par un virus déjà résistant et les personnes ayant pris un traitement, mais de façon discontinue (problèmes d’observance, ruptures d’approvisionnement, mères traitées autrefois en prévention de la transmission materno-fœtale avec arrêt des ARV après la naissance), chez lesquelles le virus est devenu résistant à cause des interruptions de traitement
Des médecins africains inquiets
Sur le terrain, les praticiens sont confrontés à ces résistances du VIH. Le Dr Elias Dah travaille dans le centre médical communautaire de l’association AAS au Burkina Faso, qui a une file active de 2 160 personnes. Il évalue entre 15 % et 20 % la proportion de résistances secondaires : « Ce sont des patients qui étaient sous ARV et qui avaient initialement une bonne réponse au traitement, mais chez lesquels on constate une évolution négative. Même en apportant un soutien à l’observance, on constate une dégradation de l’état de santé, ce qui nous amène à conclure à une résistance. » Le médecin précise que ce diagnostic se fait de manière empirique : en effet, le test de génotype, seul moyen de confirmer biologiquement l’existence d’une résistance et, surtout, de préciser à quelle molécule le virus est résistant, est inaccessible au Burkina Faso, comme à peu près partout en Afrique.
Selon le Dr Dah, les cas de résistance secondaire sont en augmentation depuis deux ou trois ans, en particulier chez les adolescents ou les jeunes adultes ayant bénéficié auparavant d’un suivi pédiatrique. Pélagie Nimbona, médecin à l’ANSS au Burundi (5 789 personnes sous ARV), souligne aussi l’apparition de résistances chez les adolescents, à cause d’une mauvaise observance. Dans la file active de l’ANSS, 8 % des patients sont sous traitement de deuxième ligne suite à un échec du traitement de première ligne.
Quid des résistances aux ARV de deuxième ligne ?
Mieux comprendre la réponse aux traitements de deuxième ligne dans les pays à ressources limitées, tel était le but de l’étude menée par Épicentre, centre de recherche médicale de Médecins sans frontières, sur 800 patients au Kenya, au Malawi et au Mozambique – étude en partie financée par Sidaction. « Parmi la petite proportion de patients (166) ne répondant pas ou plus au traitement de deuxième ligne, l’étude a pu distinguer ceux chez qui on n’a pas trouvé de résistance, mais qui avaient besoin d’un soutien psychosocial individualisé afin d’améliorer l’observance, et ceux chez qui la découverte d’une résistance nécessitait de modifier le traitement », explique Birgit Schramm, la responsable de l’étude. « Le test de résistance (génotype) est indispensable pour différencier ces deux groupes de patients ». Pour un tiers des patients en échec dans l’étude, il a été possible de proposer une deuxième ligne « optimisée » en remplaçant seulement un médicament. Le dernier tiers, porteur d’un virus multirésistant, a eu besoin d’une combinaison de troisième ligne, moins accessible en Afrique subsaharienne et plus chère. « Il y a un besoin urgent d’un meilleur accès aux traitements de troisième ligne et aux tests de résistance », revendique Birgit Schramm.
Des mesures préconisées
L’OMS a mis sur pied un nouveau plan d’action sur cinq ans, demandant à tous les pays de se mobiliser afin de prévenir, de surveiller la résistance du VIH et de riposter. L’organisation recommande par exemple d’inclure dans chaque programme national de lutte contre le VIH des enquêtes épidémiologiques sur la résistance et d’étendre les tests mesurant la charge virale. « Le suivi par la mesure de la charge virale est essentiel pour prévenir les résistances, confirme Constance Delaugerre. Dans les pays occidentaux, on mesure la charge virale à la mise sous traitement, ensuite tous les trois mois, puis tous les six mois si tout va bien. Au Sud, à cause d’un manque de moyens financiers et de formation, la mesure de la charge virale est réalisée six mois après le début du traitement, puis une fois par an. » Au mieux. Car si dans les centres communautaires, cette fréquence est généralement respectée, ce n’est pas souvent le cas dans les hôpitaux publics.
Deuxième point majeur pour lutter contre les résistances : le choix des traitements de première ligne. Dans les pays où les niveaux de résistance deviennent préoccupants, l’OMS enjoint de modifier la combinaison de première ligne pour les patients qui démarrent un traitement. « Le challenge dans les pays du Sud, corrobore la Pr Delaugerre, est de proposer en première ligne une trithérapie incluant le dolutégravir, qui est le dernier des inhibiteurs de l’intégrase à barrière génétique élevée. Mais cela nécessite aussi des moyens, sinon passer tout le monde sous dolutégravir en première ligne risque de prendre des années. »