Depuis le 1er janvier, la France préside le Conseil de l’Union européenne pour une durée de six mois. Alors que la crise Covid-19 s’éternise, que les tensions géopolitiques s’avivent sur le continent, et que la campagne présidentielle française bat son plein, la PFUE [i] tiendra-t-elle ses promesses en matière de coopération internationale sanitaire ?
Quelle est la place de l’UE en matière de santé mondiale, notamment dans la lutte contre les trois grandes pandémies que sont le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme ? Elle est « présente, mais peu visible, et le secteur de la santé n’est pas toujours sa priorité. Son aide est avant tout orientée vers les infrastructures : énergie, électricité, routes », estime Agnès Soucat, responsable de la santé et de la protection sociale à l’Agence française de développement (AFD).
En excluant l’aide individuelle des Etats membres, les institutions de l’UE (Commission européenne, Banque européenne d’investissement, Fonds européen de développement) ont engagé 646,3 millions d’euros pour la santé en 2019 dans le cadre de leur aide publique au développement (APD), soit 4,8% de l’enveloppe totale de l’APD (13,35 Md€ en 2019), selon des chiffres de l’OCDE [ii]. Si 45% de l’APD européenne (tous secteurs confondus) revient aux pays africains, les premiers bénéficiaires sont des pays à revenu intermédiaire, géographiquement proches, dont la Turquie, l’Egypte et le Maroc. Au final, seule 26,1% de l’APD est destinée aux pays les moins avancés.
Des financements modestes, mais en hausse
Quant à sa contribution au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, l’EU peut mieux faire : depuis la création du fonds en 2001, Bruxelles a versé un total de 2,87 Md€. Ce qui est modeste par rapport à l’effort consenti par les Etats-Unis (22,5 milliards d’euros), et à peine mieux que la Fondation Bill & Melinda Gates (2,63 Md€). Trois Etats membres de l’UE dépassent la Commission : la France (6,94 Md€), le Royaume-Uni (6,12 Md€) et l’Allemagne (4,57 Md€).
L’UE semble pourtant résolue à accroître sa contribution au Fonds mondial. Lors du sixième cycle triennal (2020-2022), elle a accru sa participation de 13,8 % par rapport au cycle précédent. Sur fond de Covid-19, elle a plus que triplé sa contribution à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2020-2021 par rapport à 2018-2019, et a accru de 50 % celle à GAVI, l’alliance mondiale pour les vaccins, pour la période 2021-2025.
Pourtant, la contribution financière de l’UE demeure « très insuffisante au regard des enjeux de santé mondiale », estime Yann Illiaquer, coordinateur analyse et plaidoyer chez Action santé mondiale. Evolution notable de l’APD européenne, elle est désormais « géographisée », ce qui se traduit par « une baisse des enveloppes consacrées aux thématiques globales », dont la santé. « Cela ne reflète pas les priorités : sur les 44 pays africains soutenus par l’UE, seuls 16 voient la santé figurer parmi les priorités de développement. La santé n’est pas financée à hauteur de son importance », ajoute Yann Illiaquer.
La santé au cœur du sommet UE-UA
A l’occasion de sa présidence du Conseil de l’UE, que peut la France pour accroître l’implication de l’Union européenne ? En matière de santé mondiale, le grand rendez-vous de la PFUE aura lieu lors du sommet Union européenne-Union africaine, les 17 et 18 février à Bruxelles. Selon Stéphanie Seydoux, ambassadrice française pour la santé mondiale, cette rencontre sera « l’occasion de dialoguer de région à région », notamment au sujet de la préparation et de la prévention des futures pandémies, du renforcement des systèmes de santé, de l’accès aux vaccins et aux médicaments, du renforcement des capacités de production et de l’environnement réglementaire du médicament.
Sans oublier le sujet épineux de l’accès aux vaccins contre le Covid-19 : l’UE continue à prendre fait et cause pour la stricte protection des brevets, malgré les demandes répétées de l’Inde et de l’Afrique du Sud de les lever. « Des réflexions sont engagées, et la France souhaite être dynamique sur ce sujet », indique Stéphanie Seydoux. Si Emmanuel Macron s’est prononcé pour la levée des brevets lors d’un échange en juin 2021 avec les ONG, reste à savoir si la PFUE changera vraiment la donne.
Lors de son discours devant le Parlement européen, le 19 janvier, le président a déclaré vouloir aider « nos amis africains à faire face à la pandémie. 700 millions de doses auront été distribuées d’ici juin 2022, mais nous devons franchir dans les mois à venir une nouvelle étape, réinventer une nouvelle alliance avec le continent ». Ce qui se traduira, selon les mots d’Emmanuel Macron, par « un New Deal économique et financier avec l’Afrique », mais aussi par « un agenda en matière d’éducation, de santé, de climat ».
Un soutien aux demandes du Fonds mondial
Hasard du calendrier, la PFUE survient alors que le Fonds mondial s’engage dans une année cruciale, celle de la reconstitution de ses ressources en vue de son septième cycle triennal (2023-2025). Fin février, l’organisme dévoilera son argumentaire d’investissement, dans lequel il formulera ses besoins de financement pour les trois prochaines années. « La crise Covid-19 a aggravé la situation, et cela exigera de corriger la trajectoire. [L’argumentaire d’investissement] sera nécessairement ambitieux », estime Stéphanie Seydoux.
Selon Yann Illiaquer, « les besoins vont bondir, et il faudra que l’UE et ses Etats membres augmentent fortement leur contribution, de manière plus importante que ce qui a été fait lors du cycle précédent ». La France compte-t-elle tirer parti de sa présidence pour inciter l’UE et ses Etats membres à faire mieux ? Pays hôte de la dernière conférence de reconstitution, en octobre 2019 à Lyon, elle « jouera un rôle majeur dans la mobilisation des ressources, en appui au pays hôte, les Etats-Unis », assure l’ambassadrice.
D’autant qu’il s’agit d’éviter tout « effet d’éviction », à savoir un accaparement des financements santé par le Covid-19, au détriment d’autres urgences. « Tant que la France sera la France, ce risque sera maintenu à distance. Elle a d’emblée porté l’idée de lutter contre le Covid-19 en gardant en tête l’enjeu des systèmes de santé, sans mettre en pause la lutte contre les trois pandémies », déclare Stéphanie Seydoux, qui estime que la PFUE, « portée de longue date, sera très riche ».
Les écueils sont pourtant nombreux : outre les vives tensions avec la Russie, mais aussi au sein de l’UE (Pologne, Hongrie), l’agenda d’Emmanuel Macron sera bientôt rempli d’obligations électorales. « A partir du 8 mars [date de l’annonce officielle de la liste des candidats, ndlr], on ne pourra plus envisager d’engagement fort, et le sommet UE-UA constitue la dernière chance », estime Yann Illiaquer, qui voit cependant en Emmanuel Macron « un Européen convaincu, qui a tout intérêt à ce que la PFUE soit une réussite ».
Quant au contexte international, « les relations au sein de l’UE sont toujours compliquées, ce n’est jamais le bon moment. Mais l’UE a su s’endetter en commun pour le plan de relance, et il est crucial qu’elle puisse aussi tenir son rôle de solidarité internationale », ajoute Yann Illiaquer. Pour Stéphanie Seydoux, c’est « une chance que la France exerce la présidence au moment où il y a de tels enjeux ».
[i] Présidence française du Conseil de l’Union européenne
[ii] Organisation de coopération et de développement économiques