Le 20 juin, Paris accueillera un sommet visant à accélérer la vaccination sur le continent africain. C’est lors de cette rencontre que sera lancée la ‘reconstitution des ressources’ de GAVI, l’Alliance du vaccin, pour la période 2026-2030. Un enjeu crucial pour la santé mondiale, a rappelé la directrice générale en charge de la mobilisation des ressources et de la croissance de GAVI, Marie-Ange Saraka-Yao, lors d’un entretien accordé à Transversal.
Créé en 2000, GAVI (Global Alliance for Vaccines and Immunization) est devenu l’acteur principal de la vaccination dans les pays du Sud. Rassemblant les pays donateurs et récipiendaires, des organismes onusiens (OMS, Unicef), des ONG et l’industrie pharmaceutique, il se prépare à affronter sa dernière ligne droite avant 2030, année des Objectifs de développement durable. Le sommet du 20 juin, au cours duquel sera lancé le processus de reconstitution des ressources de GAVI pour la période 2026-2030, constitue un rendez-vous crucial pour la santé mondiale.
Transversal : Au terme de près de 25 ans d’action, quel bilan dressez-vous de l’action de GAVI ?
Marie-Ange Saraka-Yao : En termes de santé mondiale, c’est un succès incroyable ! Plus d’un milliard d’enfants ont été vaccinés grâce à GAVI, 17,3 millions de morts ont été évitées. Depuis sa création, les vaccins ont fait reculer la mortalité infantile de 70 % au niveau mondial.
Jusqu’alors, les vaccins n’arrivaient pas dans les pays, et l’idée originelle de GAVI était d’abord de trouver un moyen de les y amener. Au cours des 10 premières années, nous nous sommes d’abord employés à améliorer l’offre de vaccins dans les pays que nous soutenons. Pour cela, il fallait d’abord s’assurer d’un approvisionnement régulier, d’où notre rôle de centrale d’achat pour 73 pays.
Vers 2013-14, les vaccins commençaient enfin à arriver de manière correcte dans les pays. Toutefois d’autres problèmes se posaient. Une fois le vaccin livré à l’aéroport, comment faire pour qu’il soit acheminé jusque dans les provinces reculées ? Au-delà de l’achat, il nous a alors fallu agir également au niveau des systèmes de santé.
T.: Quels sont les enjeux qui se poseront lors des prochaines années ?
M.-A. S.-Y. : Tout d’abord, il s’agit de rattraper le retard pris durant la crise Covid-19. Dans l’ensemble, nous avons retrouvé les taux de vaccination d’avant la pandémie, mais avec des variations d’un pays à l’autre. Certains ont bien rebondi, beaucoup d’autres demeurent à la traîne. Il est d’autant plus crucial de combler ce retard que plusieurs maladies, comme la fièvre jaune, le choléra, la fièvre typhoïde et le paludisme, sont très sensibles aux conditions climatiques, qui se dégradent du fait du réchauffement.
Autre enjeu fondamental, l’introduction de nouveaux vaccins, notamment contre le paludisme et la dengue. Un autre vaccin, très prometteur, devrait voir le jour contre la tuberculose. Ces maladies continuent à se propager, il est important d’apporter la science le plus vite possible dans les pays.
T. : De quelle manière GAVI a-t-il fait évoluer la politique mondiale vaccinale ?
M.-A. S.-Y. : Nous agissons notamment par le ‘façonnage de marché’. Les 73 pays que nous soutenons comptent plus de 4 milliards de personnes, ce qui permet d’importantes économies d’échelle dans nos achats auprès de l’industrie pharmaceutique. Exemple, les 11 vaccins recommandés par l’OMS pour la petite enfance : leur coût total s’élève à 1.100 dollars par enfant dans les pays de l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques], contre seulement 28 dollars pour GAVI. Nous avons réussi à faire évoluer la mentalité des producteurs de vaccins, qui comprennent désormais que, au-delà de la marge, le volume importe aussi. Par ailleurs, GAVI a établi des instruments financiers qui permettent de donner aux producteurs de la visibilité à long terme, notamment les vaccine bonds (« obligations vaccinales »), mis sur le marché pour 20 ans.
Pour autant, il ne s’agit en rien d’une œuvre de charité. Les pays à faible revenu paient 20 centimes par dose vaccinale, mais ce prix s’accroît au fur et à mesure que leur PIB augmente. Notre soutien financier n’est donc pas éternel : depuis les débuts de GAVI, 19 des 73 pays initiaux ont pu s’autonomiser. Et alors qu’au début, 100 % des revenus de GAVI provenaient des pays investisseurs, tels que la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, et du secteur privé, cette part s’élève désormais à 60 %, les 40 % restants étant apportés par les pays eux-mêmes. Toutefois, lorsqu’un pays « sort » de GAVI, il continue à bénéficier d’une assistance technique, en particulier lors de l’arrivée d’un nouveau vaccin. Ainsi, nous aidons les pays à rester à niveau.
T. : Certains vaccins connaissent des difficultés de déploiement, notamment celui contre le papillomavirus humain (HPV). Quelles sont les actions de GAVI en la matière ?
M.-A. S.-Y. : Nous sommes parvenus à faire baisser le prix de ce vaccin, mais il s’agit aussi de faire comprendre son importance, de former le personnel soignant. Ce vaccin s’adresse avant tout aux adolescentes [et non aux enfants, comme la plupart des autres vaccins, ndlr], il a donc fallu trouver de nouvelles façons de communiquer. De plus, face à un nouveau vaccin, nous sommes souvent confrontés à une situation oligopolistique, et les producteurs ne peuvent pas fournir tout le monde.
Notre objectif est d’atteindre 86 millions d’adolescentes vaccinées d’ici à 2025 par le vaccin anti-HPV. Pour cela, nous avons mené des campagnes d’information en Indonésie et en Inde. La couverture vaccinale atteint désormais près de 21 % dans les pays soutenus par GAVI, et nous sommes en train d’accélérer. De plus, le conseil scientifique de l’OMS a estimé qu’une seule dose suffisait pour protéger [au lieu de deux, selon le schéma homologué, ndlr], ce qui devrait aussi faciliter le déploiement du vaccin.
Quant au nouveau vaccin contre le paludisme, dont nous avons soutenu la dernière phase de R&D menée dans des pays pilotes, nous sommes en train de l’introduire dans 35 pays africains. Après un premier vaccin préqualifié, l’OMS vient d’en homologuer un deuxième. Ces vaccins sont très attendus par les pays à forte incidence de paludisme, et il est pour nous crucial de les déployer, en complémentarité avec les autres interventions contre le paludisme [moustiquaires traitées aux insecticides, thérapies combinées à base d’artémisinine, ndlr].
T. : Le 20 juin, le gouvernement français, l’Union africaine et GAVI organisent un sommet à Paris, afin d’accélérer la vaccination d’ici 2030. Qu’attendez-vous de cette rencontre ?
M.-A. S.-Y. : Avant cela, le conseil de GAVI va approuver, début juin, sa « stratégie 6.0 » pour la période 2026-2030, la dernière avant les objectifs de développement durable fixés à 2030. Quant aux financements, un chiffre sera annoncé le 20 juin, mais il aura été décidé en avance, d’un commun accord entre les pays investisseurs et nous-mêmes. En amont, notre équipe passe en revue les investissements existants, ce qu’il est possible d’obtenir, en cohérence avec les politiques nationales, européennes et mondiales. Et nous rappelons l’importance de continuer à investir dans GAVI, ce qui permettra de vacciner 300 millions d’enfants et de sauver 9 millions de vies. Pour chaque dollar investi dans les vaccins, le retour sur investissement s’élève à 54 dollars ! La pandémie de Covid-19 nous a rappelé que la vaccination constituait la première ligne de défense.
T. : Pour les acteurs de la santé mondiale, n’y a-t-il pas un risque de voir les pays du Nord se tourner vers d’autres priorités, en particulier la lutte contre le réchauffement climatique, qui a déjà un impact sur les pays du Sud ?
M.-A. S.-Y. : Ce risque existe, c’est pour cela que nous menons un travail de plaidoyer au niveau du G20 et des pays. Des épidémies se développent en ce moment même, et il faut éviter qu’elles deviennent globales. De nombreuses maladies présentent un lien très fort avec le climat : face aux chocs climatiques, qui protègera la santé de la population vis-à-vis de la dengue, de la fièvre jaune ? Les vaccins ! Bien sûr qu’il y a d’autres problèmes très importants, mais il ne faut pas perdre de terrain sur la santé mondiale. Si une autre pandémie survient, c’est le renforcement des systèmes de santé qui nous permettra de tenir. D’où notre plaidoyer avec le Fonds mondial et Unitaid, pour que la santé mondiale demeure une priorité.
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Accroître la production régionale de vaccins en Afrique
Lors de la crise Covid-19, l’Afrique a connu d’importants retards dans l’accès au vaccin. Afin de favoriser la souveraineté régionale, GAVI annoncera le 20 juin le lancement officiel d’un Accélérateur de la production des vaccins en Afrique (AVMA), conçu en partenariat avec les Centres africains pour la surveillance et la prévention des maladies (CDC Afrique). Cette initiative vise à fournir des incitations financières pour aider les producteurs africains de vaccins à augmenter leur production, à atteindre la viabilité économique. D’ici 2040, l’Union africaine espère atteindre une production de plus de 60 % des besoins en vaccins du continent.