vih Science et recherche : où sont les femmes ?

10.02.23
Sonia Belli
6 min
Visuel Science et recherche : où sont les femmes ?

À l’occasion de la 8e Journée internationale des femmes et des filles de science, le 10 février 2023, au siège des Nations unies, à New York, Transversal s’est interrogé sur la place des femmes dans la science et la recherche. Éléments de réponse avec Lucie Étienne, chercheuse CNRS au Centre international de recherche en infectiologie (Lyon) et membre du comité scientifique et médical de Sidaction.

Transversal : Comment avez-vous su que vous vouliez poursuivre une carrière scientifique ? 

Lucie Etienne : Au lycée, j’adorais, d’une part, la biologie et tout ce qui touchait au vivant, et, d’autre part, la transmission du savoir et l’éducation. J’envisageais donc de devenir professeur des écoles. Pour cela, j’ai passé une licence en biologie. Mais ce sont mes stages qui m’ont décidée. 

Lors d’un programme Erasmus à Londres, j’ai effectué un stage en recherche qui m’a passionnée et qui m’a ouvert les yeux au monde du travail. De retour en France, j’ai réalisé d’autres stages en master qui ont confirmé que c’était vraiment ce processus de recherche qui m’enthousiasmait. Par la suite, j’ai pu à chaque fois suivre ma passion pour les sujets scientifiques : à Marseille pour mon master 2 en médecine tropicale, puis à Montpellier pour ma thèse sur l’origine du VIH et, enfin, à Seattle pour comprendre l’adaptation moléculaire du VIH du singe à l’homme. En 2015, j’ai eu la chance de décrocher un poste au CNRS, à Lyon. 

Quelles difficultés spécifiques les femmes rencontrent-elles au cours d’une carrière scientifique ?

Pour moi, la difficulté principale est l’absence de rôles modèles au plus haut niveau. Si les chercheurs de haut niveau sont tous semblables et sont principalement des hommes, alors les femmes et ceux qui ne se reconnaissent pas dans ces leaders iront ailleurs avec leurs talents. Ensuite vient le manque d’accompagnement en ce qui concerne la maternité et la parentalité en général. Dans ce domaine, il existe des spécificités propres à la recherche qui sont criantes. Par exemple, la plupart des financements sont disponibles dans les dix premières années de recherche, donc pour les moins de 40 ans, ce qui est discriminant. La structuration des équipes de recherche, avec un responsable très solitaire, va aussi à l’encontre d’un projet de maternité ou de parentalité équitable : prendre la responsabilité de s’absenter à un tel poste est, selon moi, très difficile. En outre, la mobilité est très valorisée en début de carrière. Il y a ainsi une inégalité de genre structurelle dans la recherche. Dans mon laboratoire, par exemple, nous sommes à peu près le même nombre de femmes et d’hommes, mais ce n’est pas le cas chez les responsables, et cette situation est généralisée. Il faut donc s’interroger sur le fait que les femmes disparaissent à partir de l’âge de 30 ans.

Les Nations unies pointent que les femmes scientifiques sont souvent ignorées dans les promotions [i], ont des carrières plus courtes et moins rémunérées que leurs homologues masculins et voient leurs travaux sous-représentés dans les revues de haut niveau. Est-ce une réalité ? 

Il ne s’agit pas d’une légende ou d’une perception. Des études scientifiques ont prouvé que c’était un fait : les femmes responsables d’une étude ont une probabilité beaucoup plus faible que les hommes de la voir publiée dans un des journaux les plus prestigieux et d’être par la suite citées. Pourquoi ces biais, qui sont souvent induits par les hommes et par les femmes, existent-ils ? Des études ont montré qu’avec une formation de moins de 2 heures sur ces biais de genre et de diversité, un comité d’évaluation, chargé d’attribuer des financements de recherche ou des recrutements, est en mesure d’en corriger une partie. Les critères d’évaluation devraient également s’adapter. Il faut arriver à informer directement les scientifiques afin que ces lancements de carrière et ces évaluations soient plus équitables.

Selon vous, quelle est aujourd’hui la place des femmes dans la science et la recherche en général, et dans la recherche contre le VIH en particulier ?

Sur le VIH et en France, la recherche est fortement portée par les femmes, notamment parce que nous avons un prix Nobel qui est une femme [NDLR : Françoise Barré-Sinoussi]. Et je crois que c’est quelque chose qui est porteur. Il existe des femmes scientifiques extraordinaires, qui sont d’ailleurs devenues pour moi soit des modèles soit des alliées au quotidien. Donc, je pense que les femmes dans la recherche contre le VIH sont très bien représentées en France. 

Cela étant dit, en 2022, Florence Margottin-Goguet a été seulement la troisième femme à recevoir le prix annuel mondial KT Jeang pour ses travaux en rétrovirologie, prix qui existe pourtant depuis 2005.

Pensez-vous que les choses sont en train de changer ? 

Je dirais que oui. Est-ce qu’elles changent trop doucement ? Je pense aussi que oui. Mais cela va dans le bon sens. À mon avis, les leaders politiques et scientifiques sont très importants parce que ce sont ces hommes et ces femmes qui donnent une dynamique et qui s’empareront de ces problématiques. L’information est également cruciale, car trop de personnes pensent encore que ces biais ne sont que des bruits de couloir. Même chez les scientifiques, il faut expliquer qu’ils existent, car il est démontré qu’une fois que l’information est passée, les corrections se font, ce qui est très positif. Depuis la parution des études sur ces questions, de nombreux comités bénéficient, par exemple, de ce type de formation ou de référents « diversité ».

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes qui envisagent une carrière scientifique ?

Je leur dirais de multiplier les mentors. En se tournant vers une carrière scientifique, elles effectueront des stages avec des encadrant·e·s. Bien que l’encadrant·e scientifique a un rôle important à jouer, je pense qu’il est essentiel d’aller chercher un réseau de confiance et de modèles au-delà. C’est en tout cas ce que je retiens de mon expérience, notamment en tant qu’activiste, car j’ai justement participé à la création d’une association sur la diversité en science [ii]. Cette création a confirmé l’importance de s’entourer d’un réseau de confiance et de référents, à la fois de seniors, qui ont plus d’expérience, et de ses pairs. Tous et toutes seront des allié·e·s pour la suite et pour le quotidien.

Références

[i]  https://uis.unesco.org/sites/default/files/documents/fs55-women-in-science-2019-en.pdf

[ii] https://www.fredhutch.org/en/about/about-the-hutch/diversity-equity-inclusion/hutch-united.html

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