vih Sevrage tabagique : un nouveau souffle à la Maison de vie

01.06.16
Romain Loury
8 min

Depuis 2012, la Maison de vie, résidence pour personnes vivant avec le VIH, organise des séjours d’aide au sevrage tabagique. En choisissant d’aller bien au-delà des questions médicales, cette approche, unique en France, obtient des résultats très positifs. Reportage.

Située près de Carpentras (Vaucluse), la Maison de vie a accueilli près de 800 résidents depuis son ouverture, en juin 2010, par l’association Fight Aids Monaco. Unique en France, ce centre de séjour, niché dans un cadre paisible et verdoyant, est ouvert à toute personne vivant avec le VIH ressentant le besoin de reprendre pied. Nombre d’entre elles ont un long passé avec le virus, et vivent dans une grande précarité financière, sociale et affective.

Des histoires qui rappellent que, s’ils ont sauvé la vie de millions de personnes, les progrès thérapeutiques de ces vingt dernières années sont loin d’avoir tout réglé. « C’est une population très fragilisée, par le VIH et par leur histoire de vie : toxicomanie, minima sociaux, perte de proches ou d’un compagnon. Beaucoup d’entre eux ont connu des violences sexuelles pendant l’enfance », explique le directeur de la Maison de vie, Didier Rouault.

Outre les séjours individuels et familiaux, la Maison de vie a lancé en 2012 des séjours d’aide au sevrage tabagique durant désormais dix jours (1). Un besoin pressant : 51% des séropositifs sont fumeurs, souvent très dépendants, contre 31% de la population générale. Combiné aux effets du VIH et des médicaments, ceux du tabac (cardiovasculaires, cancéreux et respiratoires) sont ravageurs. Intervenant à la Maison de vie, la tabacologue marseillaise Dominique Blanc y voit même « la cause n°1 de mortalité » des personnes vivant avec le VIH. Or celles-ci ont, en général, plus de mal à arrêter de fumer, particulièrement la population vulnérable à laquelle s’adresse la Maison de vie.

Cause n°1 de mortalité ?

51% des séropositifs sont fumeurs, souvent très dépendants, contre 31% de la population générale

51% des séropositifs sont fumeurs, souvent très dépendants, contre 31% de la population générale

« Beaucoup sont des gens qui n’ont plus beaucoup de ressort personnel : plus on est désœuvré, sans soutien, plus il est difficile de se mobiliser pour arrêter de fumer », explique Dominique Blanc. D’autant que le problème est souvent négligé par les médecins, débordés par les consultations, dont nombre se contentent d’un simple conseil d’arrêt du tabac sans réelle orientation. Pire, peu d’associations se mobilisent sur le sujet, juge Dominique Blanc : « Leur position consiste à dire ‘ils ont assez de problèmes comme ça, on ne va pas en plus leur enlever ce plaisir qu’est le tabac’. »

Pourtant, l’expérience de la Maison de vie prouve que d’excellents résultats sont possibles : à ce jour, le taux d’arrêt, six mois après le séjour, s’échelonne de 22% à 40% pour les six séjours déjà organisés. Par comparaison, le médicament Champix®, considéré comme la stratégie la plus efficace, a obtenu chez les séropositifs un taux d’arrêt de 17,6% à un an lors d’une étude française.

Des taux de réussite élevés

Avant tout, il s’agit d’aider les résidents à démonter les ressorts de leur tabagisme

Avant tout, il s’agit d’aider les résidents à démonter les ressorts de leur tabagisme

La recette ? Une prise en charge globale, alliant bien sûr des ateliers d’aide au sevrage, mais aussi de l’exercice physique, du yoga, des ateliers de nutrition, d’aromathérapie, de création artistique et d’expression. Un programme certes intense, mais sans obligation de participer à toutes les activités : « Nous laissons aux résidents le temps d’échanger entre eux, ce sont eux qui sont maîtres de leur démarche », explique Didier Rouault. « Il ne s’agit pas de cures de sevrage dont les gens sont censés sortir en ne fumant plus : on cherche à enclencher la motivation pour arrêter de fumer, en offrant à chacun des outils qu’il pourra utiliser de retour chez lui », renchérit Dominique Blanc. Des moyens définis par les résidents selon leurs propres besoins, évalués et discutés au cours du séjour, parmi lesquels on compte évidemment les divers substituts nicotiniques (gommes, timbres, inhalateurs de nicotine) et les médicaments, ainsi que la thérapie comportementale et cognitive (TCC). Et plus largement, l’incitation à « se mettre en réseau » avec ses médecins, des psychologues, des aromathérapeutes, des professeurs de yoga ou autres.

Mais avant tout, il s’agit d’aider les résidents à démonter les ressorts de leur tabagisme : « Il ne s’agit pas d’arrêter de fumer au cours du séjour, mais d’apprendre à arrêter de fumer, explique Jean-Philippe, 42 ans. On nous aide à comprendre pourquoi on fume, pas pourquoi on devrait arrêter : ça, on le sait tous. » Pour Dominique Blanc, « beaucoup ont commencé à l’adolescence, voire à la préadolescence, ils ont construit leur identité en tant que personnes fumeuses. Il s’agit pour elles d’apprendre à passer d’une personne fumeuse X à une personne non-fumeuse X ». Outil crucial de la prise de conscience, la tabacologue incite les résidents à se projeter dans un avenir « pas trop lointain » de non-fumeur, par exemple en forgeant un projet à réaliser grâce à l’argent économisé. Pour Paquita, il s’agira d’une marche vers Saint-Jacques-de-Compostelle, le rêve d’un ami décédé sans avoir pu le réaliser.

Sauver sa vie, mieux vivre

Le tabagisme les enferme dans une vie qu’ils voudraient plus épanouie

Le tabagisme les enferme dans une vie qu’ils voudraient plus épanouie

Quelles raisons ont poussé ces personnes à arrêter de fumer ? En premier lieu, la santé : parmi les dix résidents du séjour organisé fin mars, certains ont subi une sérieuse alerte médicale liée au tabac, dont la consommation pouvait atteindre deux paquets par jour. Mais aussi parce que le tabagisme les enferme dans une vie qu’ils voudraient plus épanouie. Pour Sophie, 53 ans, c’est un emphysème pulmonaire qui l’a obligée à arrêter en 2015, avant qu’elle ne rechute peu après, dévastée par le décès de sa mère. Son objectif, « ne pas se voir un jour avec une bouteille d’oxygène », et renouer avec une vie meilleure, un retour au sport et aux balades dans la nature : « J’en ai marre d’être dépendante, quand on n’a plus ça, ce doit être magnifique ! »

Infecté depuis les années 1980, Gabriel, 56 ans et « cassé de partout » après une carrière dans le bâtiment, a été opéré d’un mélanome pulmonaire en 2015, et a replongé dans la cigarette à cause du cannabis. S’il est venu à la Maison de vie, c’est pour « sauver sa vie », mais aussi pour « payer son loyer et ses factures ». Récemment victime d’un infarctus, Solange, 52 ans, « se sent en danger », mais cherche également à mieux vivre car du fait de l’infection, « tu ne travailles plus, tu n’as pas trop d’activité, et tu as tendance à fumer ».

Tu ne travailles plus, tu n’as pas trop d’activité, et tu as tendance à fumer

Tu ne travailles plus, tu n’as pas trop d’activité, et tu as tendance à fumer

Idem pour David, 63 ans : fumant deux paquets par jour, dont un la nuit lors de ses insomnies, il se dit handicapé par son souffle « complètement bloqué », « replié sur lui-même » en raison de l’impossibilité de confier sa séropositivité à qui que ce soit. Lieu d’échanges et de détente, la Maison de vie est « une bouée de sauvetage », explique-t-il. « Nous semons des graines, qui germent par la suite, explique Céline Mouren, aide médicopsychologique. Certains de nos anciens résidents nous disent qu’ils se sentent boostés pendant un an ou deux ». 

Pour Gabriel, « cela fait du bien de voir du monde : c’est le paradis ici, c’est incroyable comme l’équipe est à l’écoute. J’ai reçu le premier massage de ma vie hier, j’avais l’impression de rêver ! ».

Prochain rendez-vous, un bilan à six mois organisé à l’occasion d’un week-end fin octobre. Pour l’instant, les premiers résultats sont « très intéressants », indique Dominique Blanc : un mois et demi après leur sortie, huit résidents se sont engagés dans une démarche d’arrêt, progressive ou immédiate. Contactés par Transversal, plusieurs d’entre eux jugent l’arrêt difficile, mais tiennent bon et y croient. Comme Philippe, 51 ans, survivant des drogues et de la prison : « Je sais que je vais y arriver, car quand tu as touché le fond, tu ne peux que remonter. Et aussi parce que la vie est belle, avec plein de choses à faire. »

Notes
  1. Ils étaient jusqu’alors d’une durée de deux semaines, mais l’équipe de la Maison de vie a préféré offrir un programme plus dense.
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