vih Sidaction : des générations de combats

19.03.19
Marianne Bernède
9 min
Visuel Sidaction : des générations de combats

« Monsieur, vous avez le sida, c’est une maladie à évolution rapide et mortelle pour laquelle il n’y a pas de traitement. » Trente-cinq ans plus tard, Fabrice Olivet, directeur d’Asud (autosupport des usagers de drogues), se souvient encore des mots prononcés par le médecin qui lui a remis son test positif. « C’était en 1984, j’avais 24 ans. Je me suis retrouvé dans la rue, sonné. Il fallait que je profite du peu de temps qui me restait. » Giovanna Rincon, fondatrice et directrice de l’association Acceptess-T, a une image gravée dans sa mémoire. En 1990, elle habite Bogota, en Colombie. « La femme médecin qui m’a annoncé le diagnostic a fondu en larmes. Elle a ajouté que j’en avais pour trois ans maximum. Le choc fut brutal. »

C’est aussi en 1990 que Didier Arthaud, président et fondateur de Basiliade, a appris sa séropositivité. « Cela signifiait que ma vie serait très courte. J’ai ressenti une espèce d’urgence à redonner tout ce que je pouvais avant de mourir. » Hugues Charbonneau, dont le compagnon est mort du sida en 1993, à l’âge de 25 ans, fut le premier directeur de Sidaction ; il en est toujours le secrétaire général. « Jamais je n’aurais imaginé être là vingt-cinq ans plus tard. Quand tu étais jeune gay à l’époque, tu ne faisais absolument aucune projection dans l’avenir, même si tu étais séronégatif. »

C’était une guerre

Un mot revient lorsque ces « vieux » militants évoquent ces années terribles entre le début de l’épidémie et l’arrivée des premières trithérapies, en 1996 : une « guerre ». Avec ses survivants. « La jeune génération ne peut même pas imaginer comment c’était », souffle Fabrice. Une guerre avec ses combattants : les malades, leurs proches et les soignants. Immunologiste, ancien directeur de l’ANRS, le Pr Jean-François Delfraissy est administrateur de Sidaction depuis sa création ; il fut le premier président de son conseil scientifique, jusqu’en 1999. « Le début de Sidaction se situe pendant les années noires : nous savions dépister, mais nous étions totalement démunis sur le plan médical. Dans le service que je dirigeais à Bicêtre, nous avions deux à trois décès de patients atteints du VIH chaque semaine. Sidaction s’est construit sur des cris de désespoir. »

Une véritable remise en question pour le médecin. « Cette période a complètement bouleversé ma vie, livre-t-il. Cela m’a amené à m’interroger sur le fondement même de mon métier, mon rapport avec les patients, les associations de patients qui en savaient autant que nous… » 

Soignants et patients à la même enseigne

Cette épidémie chamboule en effet les traditionnelles relations médecins-patients. Dans des associations, notamment à Act Up-Paris, les militants se forment et revendiquent une expertise médicale. Leur temps est compté : ils ne veulent pas subir, ils veulent peser sur leur destin. Dans ce contexte d’urgence médicale, le TRT-5 (Traitements et recherche thérapeutique) est créé en 1992 par cinq associations : c’est un collectif interassociatif, dont la mission est d’agir sur les questions thérapeutiques et de recherche clinique. Cette révolution a essaimé au cours des années suivantes vers d’autres pathologies : des « patients experts » ou représentants d’associations de patients sont aujourd’hui présents dans diverses instances de santé et impliqués dans les prises de décisions. « Je n’ai pas toujours été d’accord avec le milieu associatif, mais j’ai compris qu’il était fondamental pour construire de la démocratie sanitaire, reconnaît le Pr Delfraissy. Dans mon rôle actuel, cela me guide toujours. »

Le premier Sidaction

C’est aussi grâce à une collaboration entre le milieu médical et associatif qu’Ensemble contre le sida (ancien nom de Sidaction) voit le jour en février 1994 : elle est le fruit de la volonté de plusieurs associations (Artistes contre le sida, fondée par Line Renaud, Aides, Arcat-Sida et Act Up-Paris) et d’un groupe de chercheurs de s’unir afin de collecter des fonds pour la recherche et l’aide aux malades. La télévision est sollicitée ; Pierre-Henri Arnstam, responsable des émissions exceptionnelles de France 2, est aux manettes.

Le 7 avril 1994, le premier Sidaction est diffusé en direct sur toutes les grandes chaînes. Le résultat dépasse les espérances : 23 millions de téléspectateurs, 300 millions de francs (45 millions d’euros) de dons.

En janvier 1996, Pierre Bergé devient le président d’Ensemble contre le sida. « Il disait que le sida est une maladie politique, souligne Jean-François Delfraissy, et j’ai toujours été d’accord avec cela. Pour preuve : on a fait davantage de progrès dans le médical que dans l’acceptabilité sociale de cette maladie. » Pierre Bergé restera président de Sidaction jusqu’à son décès, en septembre 2017. La Pr Françoise Barré-Sinoussi, codécouvreuse du VIH et prix Nobel de médecine, lui a succédé. À ses côtés, Line Renaud, vice-présidente de Sidaction, qui s’est démenée afin de mobiliser les artistes français pour cette cause, demeure une infatigable militante de la lutte contre le sida.

Visibilité des minorités et empowerment

« Selon moi, l’un des apports majeurs de la lutte contre le sida est la façon dont les personnes concernées au sens large se sont emparées du sujet qui les touchait directement et ont décidé de ne pas s’en remettre à des autorités politiques ou scientifiques, analyse Michel Celse, ancien militant, désormais conseiller expert au Conseil national du sida et des hépatites virales (CNS). C’est en cela que la lutte contre le VIH s’inscrit dans une transformation de la manière de penser la santé et l’autonomie des personnes. » Les deux populations touchées de plein fouet au début de l’épidémie, les homosexuels et les usagers de drogues, se sont organisées pour agir.

Hugues Charbonneau, coproducteur du film de Robin Campillo 120 battements par minute, se remémore son arrivée à Act Up-Paris, en 1992 : « Je venais de province où des copains mouraient discrètement sans que le sida ni l’homosexualité ne soient jamais évoqués par leurs familles. Et tout d’un coup, je découvrais un groupe de revendicateurs et d’acteurs contre le sida : les idées fusaient dans tous les sens, il y avait de la vie. J’étais subjugué. »

Fabrice Olivet, ancien usager de drogues, se souvient qu’une colère gigantesque et un sentiment d’injustice absolue l’ont poussé à s’engager : « On a soulevé des montagnes qui paraissaient insurmontables. Quand on a commencé à militer, il n’existait pas de programmes d’échange de seringues ni de traitements de substitution. La réduction des risques est un combat gagné grâce à la lutte contre le VIH, qui a servi de levier : des usagers, des militants et des médecins généralistes qui se débrouillaient dans leur coin se sont mobilisés pour faire cette révolution. »

Une augmentation de la précarité

La volonté de lutter contre les discriminations a parfois été l’élément déclencheur de la création d’associations, comme le raconte Didier Arthaud. Basiliade est une association qui gère aujourd’hui plusieurs appartements de coordination thérapeutique à Paris, Lyon et Bourg-en-Bresse, et qui accompagne chaque année 500 personnes atteintes par le VIH. « J’ai vu des amis jetés à la rue par les familles de leurs compagnons après la mort de ceux-ci. Dès 1991-1992, nous avons donc souhaité proposer un lieu convivial pour accueillir les personnes isolées, en situation de précarité matérielle ou affective… Nos premiers bénéficiaires étaient des homosexuels désocialisés et des personnes toxicomanes. Le visage de l’épidémie a changé dans les années 2000 : nous avons vu arriver des personnes en grande précarité et des migrants. Nous accueillons notamment des femmes originaires d’Afrique subsaharienne, souvent seules, avec ou sans enfants : elles ont fui leur pays pour sauver leur peau, beaucoup ont été victimes de violences. »

Même motivation pour Giovanna Rincon, qui, en 2010, avec d’autres personnes trans, a fondé Acceptess-T : « On ne peut pas lutter contre le sida sans lutter contre la transphobie et sans améliorer la qualité de vie et des soins des personnes trans. La lutte contre le VIH doit rester un outil de lutte contre toutes les discriminations, car l’exclusion et le rejet permettent à l’épidémie de continuer à progresser. » 

La place centrale de Sidaction dans la lutte contre le VIH

Selon Michel Celse, il est difficile d’imaginer ce qu’aurait pu être la lutte contre le sida en France sans Sidaction : « Cette association a permis la structuration de la lutte contre le VIH dans toutes ses dimensions. Une des caractéristiques de Sidaction est d’avoir contribué à maintenir localement une diversité associative qui répond aux besoins très spécifiques de différentes populations dans une logique d’action par les pairs. »

Pour Jean-François Delfraissy, ses années à la présidence du conseil scientifique de Sidaction restent un des plus beaux moments de sa vie professionnelle : « Nous traitions à la fois de sujets purement scientifiques, mais aussi de sciences humaines et sociales, de prévention, etc. C’était totalement multidisciplinaire. » C’est toujours le cas en 2019.

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