Les personnes vivant avec le VIH sont plus touchées par le tabagisme que la population générale. Une enquête de l’association Actions Traitements met en lumière les raisons de cette surreprésentation, les conséquences spécifiques sur leur santé et les défis de l’accompagnement au sevrage.
Alors que le tabagisme recule dans la population générale, sa prévalence reste plus élevée chez les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) : 37,5 %[i] contre environ 32 %[ii] dans l’ensemble de la population. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette surreprésentation, comme le souligne Ashveni Convence, chargée de mission référente thérapeutique et qualité de vie à l’association Actions Traitements : « Les personnes qui vivent avec le VIH et qui fument vont, pour un grand nombre, faire face à un quotidien émaillé de discriminations, d’isolement, de difficultés personnelles et sociales qui va rendre l’arrêt du tabac encore plus difficile ».
Les conduites addictives — tabac, alcool, cannabis et autres drogues — sont aussi plus fréquentes chez les personnes séropositives, ce qui augmente le risque d’interactions cumulatives. À cela s’ajoutent des conditions de vie précaires et une qualité de vie souvent altérée, qui renforcent la consommation de tabac malgré les dispositifs d’accompagnement disponibles.
Chez les personnes vivant avec le VIH, le tabagisme est responsable de 30,6 %[iii]des cancers non liés au VIH, 25,5 % des infections respiratoires, 25,3 % des maladies cardiovasculaires et 24 % de la mortalité toutes causes confondues. En comparaison, le taux de mortalité attribué au tabac dans la population générale est de 13 %.
Le cancer du poumon, en particulier, est désormais la première cause de décès par cancer chez les personnes séropositives, devant les cancers associés au VIH comme le sarcome de Kaposi, le lymphome non hodgkinien et les cancers du col de l’utérus, dont l’incidence a diminué grâce aux traitements antirétroviraux (ARV).
Le tabagisme double également le risque de mortalité des personnes vivant avec le VIH sous traitement ARV par rapport aux non-fumeurs. Cette donnée est d’autant plus préoccupante dans les pays bénéficiant d’une bonne prise en charge médicale, comme la France, car elle démontre que l’espérance de vie des personnes vivant avec le VIH est réduite davantage par le tabagisme que par le VIH.
Les premiers enseignements de l’enquête « Tabac et VIH »
Pour dresser un état des lieux détaillé du tabagisme chez les personnes vivant avec le VIH, l’association Actions Traitements a lancé en 2024 l’enquête nationale « Tabac et VIH », en partenariat avec l’institut de sondage Ipsos et avec le soutien de Santé publique France. Menée de juin à octobre auprès de 241 personnes vivant avec le VIH, réparties équitablement entre fumeurs et anciens fumeurs, et auprès de 371 professionnels de santé, cette enquête a pour objectif de mieux comprendre les expériences des participants et leurs attentes.
Les premiers résultats montrent que, bien que les PVVIH soient conscientes des risques du tabac sur leur santé pulmonaire, cardiovasculaire et sur leur espérance de vie, elles ne perçoivent pas toujours son impact sur leur système immunitaire. L’enquête met également en évidence une forte polyconsommation : 78 % des répondants consomment également de l’alcool ou des drogues, ce qui peut rendre plus complexes les démarches de sevrage.
Malgré les difficultés, des données positives ressortent : 88 % des personnes vivant avec le VIH qui fument ont déjà tenté d’arrêter pendant au moins une semaine, un taux bien plus élevé que dans la population générale (30 %). Pourtant, ces tentatives révèlent aussi un manque de soutien adapté.
Un accompagnement lacunaire
« Lorsque les fumeurs vivant avec le VIH décident d’arrêter de fumer, leur premier réflexe est de consulter leur professionnel de santé habituel, indique Ashveni Convence. Or, ces soignants les orientent souvent vers d’autres médecins ou vers des méthodes alternatives, plutôt que de les accompagner directement dans le sevrage. Il y a donc un désir fort d’arrêt du tabac exprimé par les PVVIH, mais l’accompagnement ensuite est insuffisant ».
Ce manque d’accompagnement s’explique en partie par un déficit d’outils et de formation chez les professionnels de santé pour aider efficacement les patients séropositifs. L’enquête révèle notamment que seuls 55 % d’entre eux savent que le cancer du poumon est devenu la première cause de décès par cancer chez les PVVIH. Si les trois quarts déclarent aborder spontanément la consommation de tabac avec leurs patients, ils n’en parlent que rarement avec les anciens fumeurs, qui demeurent pourtant vulnérables et à risque de rechute.
Autre constat : un professionnel de santé sur cinq se déclare mal à l’aise pour évoquer le tabagisme, et seulement un tiers vraiment à l’aise avec ce sujet. Les raisons de ce ressenti varient : beaucoup disent manquer de ressources ou de temps (37 % en raison première et
59 % au total), et 72 % admettent se sentir insuffisamment informés sur au moins un aspect du tabagisme chez les PVVIH, comme les risques spécifiques, l’accompagnement à proposer ou l’impact sur l’immunité.
Enfin, certaines idées reçues persistent, notamment que les personnes vivant avec le VIH ont d’autres priorités ou que fumer leur permet de canaliser leur stress. « Alors même que les PVVIH sont peu nombreuses à fumer pour oublier le VIH et leurs traitements (20 %) », souligne Ashveni Convence.
Accompagnement des PVVIH : des leviers pour agir
Les résultats de l’enquête indiquent que les PVVIH ont autant de chances de réussir leur sevrage que la population générale. Pour répondre à ce besoin, des formations adaptées comme le programme FAST sont proposées pour sensibiliser les soignants. Financée par l’Agence régionale de santé Grand Est et conçu par les universités de Lorraine, Strasbourg et Reims Champagne-Ardenne, cette formation gratuite à distance initie les professionnels de santé (médecins, pharmaciens, sages-femmes, dentistes, kinésithérapeutes, infirmiers et étudiants) aux pratiques cliniques d’accompagnement au sevrage tabagique.
L’enquête « Tabac et VIH » a également identifié un autre levier d’action : les pharmaciens. Interlocuteurs accessibles et de confiance, ils rencontrent régulièrement les PVVIH, ce qui crée des occasions naturelles d’entamer la conversation sur les options de sevrage tabagique. « Même de courtes interventions des professionnels de santé, de seulement quelques minutes, peuvent suffire pour motiver les personnes vivant avec le VIH à envisager le sevrage », souligne Ashveni Convence.
Pour aller plus loin, Actions Traitements continue de développer des brochures et d’outils spécifiques pour accompagner les PVVIH dans leur démarche de sevrage. Dès 2025, des accompagnements individuels et collectifs seront également proposés à Paris. Ces initiatives s’accompagneront d’une mise à jour des ressources de l’association, axée sur les besoins particuliers des PVVIH.
[i] Étude Vespa 2
[ii] Consommation de tabac parmi les adultes en 2020 : résultats du Baromètre de Santé publique France
[iii] Smoking-Related Health Risks Among Persons With HIV in the Strategies for Management of Antiretroviral Therapy Clinical Trial – PMC