Crise sanitaire oblige, la recherche contre le VIH passe un peu au second plan. Pourtant, elle progresse, explorant de nouvelles options telles que des stratégies d’immunothérapie.
Si le traitement par des molécules antirétrovirales (ARV) reste la thérapie la plus répandue, il est désormais envisagé de les alléger en réduisant le nombre de molécules par prise et/ou en espaçant les prises. En 2019, les résultats de l’essai Quatuor ont été encourageants et ont conforté la faisabilité d’un allégement thérapeutique. La stratégie de cette étude consiste à administrer trois molécules 4 jours sur 7 et s’est révélée être aussi efficace qu’une prise quotidienne. La prolongation de l’essai est toujours en cours afin d’évaluer son succès sur le long terme.
Vers le traitement injectable
Récemment, le laboratoire Gilead a annoncé le test d’un nouvel inhibiteur de capside : la molécule GS-6207 [1]. Ce type d’inhibiteur, dirigé contre la capside du virus, a la particularité d’intervenir à deux moments clés du cycle de réplication du VIH : lors du désassemblage, précédant l’entrée dans le noyau de la cellule hôte, puis lors du réassemblage pour créer un nouveau virus mature, prêt à aller infecter d’autres cellules. Cette molécule fait également partie de la catégorie des traitements à long terme, c’est-à-dire un traitement injectable à renouveler à intervalles longs. Dans le cas du GS-6207, Gilead annonçait une prise pouvant être espacée jusqu’à six mois.
L’essai de phase 1 a déjà permis de démontrer la sécurité de la molécule. La phase 2 de l’essai clinique a débuté en novembre 2019 et permettra de tester son efficacité sur un groupe de 175 volontaires. Les injections tous les six mois sont pour le moment accompagnées d’une prise quotidienne d’une autre molécule par voie orale, à faible dose cependant. L’espoir sur le long terme étant que les injections se suffisent à elles-mêmes, ce qui serait une avancée majeure et une option de plus afin de mieux répondre à l’amélioration de la qualité de vie des personnes vivant avec le VIH.
Limiter la formation des réservoirs viraux
Les ARV sont aujourd’hui absolument indispensables pour maintenir le virus indétectable dans le sang. Un arrêt du traitement se traduit dans la majorité des cas par un rebond viral. Car, bien que maintenu indétectable dans le sang, le VIH a la capacité de former des réservoirs dans les lymphocytes CD4 dormants, se protégeant ainsi des traitements.
Les réservoirs s’établissent rapidement après l’infection, d’où l’importance de démarrer le traitement le plus tôt possible pour en limiter la formation et l’impact du virus sur le système immunitaire. Un enjeu qui se heurte à des contraintes à la fois techniques et sociales. Une contrainte technique, car cela nécessite d’améliorer le diagnostic, en particulier dans les pays d’Afrique où l’accès est encore restreint. Et une contrainte sociale lorsqu’il faut faire adhérer à un traitement au plus vite une personne ayant tout juste découvert sa séropositivité, souvent confrontée à la crainte de la maladie et à la stigmatisation qui pourrait l’accompagner.
Des recherches sont menées sur les deux fronts afin de faciliter la mise en place rapide des traitements. L’enjeu est d’autant plus important quand on sait que certaines personnes ayant reçu un traitement précoce ont pu, plus tard, contrôler naturellement le virus suite à l’arrêt du traitement. Cela n’est malheureusement pas le cas de tous et les raisons ne sont pas totalement comprises, même si des facteurs génétiques pourraient bien en être la cause.
Un contexte particulier de guérison
Le Graal dans la recherche contre le sida est de trouver une thérapie qui permettrait de supprimer totalement et de façon définitive le virus de l’organisme. Deux patients, connus sous les noms de patient de Berlin [2] et patient de Londres, sont à ce jour déclarés « guéris » du VIH. Cette guérison a été obtenue dans un contexte très particulier de greffe de moelle osseuse, suite à un cancer, ayant permis de reconstruire leur système immunitaire avec des cellules déficientes pour la molécule CCR5, le co-récepteur du VIH. Cette stratégie n’étant pas applicable à grande échelle, les chercheurs se concentrent sur d’autres méthodes d’immunothérapies, c’est-à-dire stimuler le système immunitaire du patient pour combattre le virus.
Stimuler les cellules immunitaires
Une équipe américaine a récemment publié une étude démontrant le potentiel des cellules dendritiques pour détruire le VIH logé dans les cellules dormantes [3]. Les cellules dendritiques sont les sentinelles du système immunitaire, elles capturent les corps étrangers pour les présenter aux autres cellules immunitaires, permettant une activation générale de la réponse immune. Dans cette étude, les chercheurs ont isolé les cellules dendritiques de personnes vivant avec le VIH. Ils ont montré qu’en les stimulant avec des morceaux du virus, elles sont ensuite capables de réveiller et de détruire le VIH dans les cellules dormantes. Cette capacité a été démontrée in vitro pour le moment, mais les scientifiques espèrent pouvoir isoler les cellules dendritiques des patients, les stimuler, puis leur réinjecter ces cellules. Celles-ci pourront alors communiquer avec les autres cellules immunitaires afin de se coordonner pour déloger et supprimer le VIH.
Le potentiel des anticorps à large spectre
Un autre volet de la recherche s’intéresse à l’utilisation d’anticorps en thérapie. Depuis de nombreuses années, les scientifiques ont compris que certains anticorps, découverts dans le sang de personnes vivant avec le VIH, ont un potentiel incroyable à reconnaître un large spectre de souches du VIH et à les neutraliser (on les appelle les « bNAbs » : « broadly neutralizing antibodies » pour « anticorps à large spectre » en français). Les bNAbs sont souvent dirigés contre des zones que le VIH mute peu, les rendant ainsi plus vulnérables. La production de ces anticorps est parfois liée au contrôle naturel de l’infection par le VIH.
Tandis que les recherches pour développer un vaccin tentent de comprendre le mécanisme de production des bNAbs afin de le reproduire (voir l’article sur les vaccins), dans le contexte thérapeutique, il s’agit plutôt de découvrir le bNAbs le plus puissant pour pouvoir l’administrer directement aux patients. La liste des candidats est longue et ne cesse de s’allonger. Dernier en date, l’anticorps 1-18 dirigé contre le site de fixation au co-récepteur cellulaire CD4, une des rares régions vulnérables du virus [4]. Comme souvent, cet anticorps a été isolé chez une personne vivant avec le VIH, connu pour produire des anticorps à très fort potentiel neutralisant : on appelle ces patients les « contrôleurs d’élite ». L’anticorps 1-18 a surpassé le potentiel d’autres candidats testés auparavant (1-46 et 1-2).
La combinaison ARV et anticorps
Bien que ces anticorps aient un potentiel incroyable, des stratégies thérapeutiques tentent de les coupler à des molécules antirétrovirales injectables et actives sur le long terme. Annoncée en janvier dernier, la phase 2 de l’essai clinique A5357 propose la combinaison d’un inhibiteur de l’intégrase (le cabotégravir) et l’anticorps VRC07-523LS [5]. Le cabotégravir a déjà fait l’objet d’un essai de phase 3 en combinaison avec le rilpivirine. Les résultats ont été satisfaisants, mais les scientifiques sont toujours à la recherche de la solution la plus efficace et se doivent donc de tester différentes options. Ici, l’association d’un ARV à un anticorps permet d’allier deux mécanismes différents contre le VIH. Tandis que le cabotégravir s’attaque à la réplication du virus dans la cellule, l’anticorps empêche l’entrée même du virus dans la cellule. Un duo qui pourrait s’avérer gagnant. L’essai A5357 est déployé dans 18 sites des États-Unis et Puerto Rico avec un total de 74 participants.
[1] https://www.gilead.com/news-and-press/press-room/press-releases/2019/11/gilead-presents-data-on-investigational-hiv-1-capsid-inhibitor-gs-6207-as-a-potential-component-of-long-acting-hiv-therapy
[2] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4287108/
[3] https://www.thelancet.com/journals/ebiom/article/PIIS2352-3964(19)30222-1/fulltext
[4] https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S009286742030057X
[5] https://aidsinfo.nih.gov/news/2757/niaid-launches-first-clinical-trial-to-test-antibody-drug-combination-for-long-acting-hiv-treatment