Entretien avec Philippe Duneton, directeur exécutif adjoint d’Unitaid
« Nous
devons
tout
faire
pour
que
le
bénéfice
des
nouveaux traitements
soit
étendu
aux
peuples
démunis
d’Afrique
et
du reste
du
monde » : il y a 20 ans, Jacques Chirac appelait, lors de son discours d’ouverture de la 10eme conférence de l’ICASA1 à la création d’un « Fonds
de
Solidarité
Thérapeutique ». En 2005, la France, le Brésil et trois autres pays fondateurs s’engageaient à prélever une taxe sur les billets d’avion pour financer un organisme international, Unitaid2.
Depuis sa création en 2006, Unitaid a investi près de 2 milliards de dollars dans des produits de santé innovants. Quelles sont les dernières innovations ? Quelles sont celles attendues ? Les réponses du Dr Philippe Duneton, directeur exécutif adjoint d’Unitaid.
Quels sont les grandes innovations des dernières années dans la lutte contre le sida dans les pays du Sud, en matière de prévention ?
D’abord, le « test and treat », c’est-à-dire traiter les gens dès que le test se révèle positif. C’est important en termes de prévention car on sait que sous traitement, les personnes vivant avec le VIH préservent leur capital santé et ne sont plus « contaminantes ». Deuxième élément : le traitement en prévention. On sait que ça marche. Unitaid soutient des projets au Pérou, au Brésil et au Mexique avec des personnes transgenres ou encore en Afrique du sud avec les adolescentes. Les choses sont en train de bouger.
Et en matière de dépistage ?
Ces dernières années, on a constaté que les tests professionnels, le dépistage dans les centres de santé, ont tendance à toucher toujours les mêmes populations. En revanche, on a du mal à aller au contact des personnes les plus à risque d’être infectées. C’est tout l’intérêt de leur proposer des auto-tests. Au départ, beaucoup pensaient que ces autotests seraient mal utilisés, que les gens ne sauraient pas quoi faire, etc. On a lancé il y a presque 4 ans les autotests au Malawi, au Zimbabwe et en Zambie, avec des agents communautaires qui vont à la rencontre de ceux qui ne fréquentent pas forcément les systèmes de soins, en particulier les hommes, et qui expliquent, qui proposent. Résultats : 60 % des personnes qui ont effectué un autotest dans les communautés rurales n’avaient jamais fait de test auparavant et plus de 50% des personnes diagnostiquées séropositives ont accepté d’être orientées vers des services de soins et de traitement. Nous avons un accord en Afrique du Sud pour développer l’accès aux autotests et nous allons conclure un accord avec Solthis pour l’Afrique de l’Ouest.
Les pays à ressources limitées ont-ils accès aux traitements innovants disponibles au Nord?
C’est une autre innovation sur laquelle Unitaid a travaillé avec ses partenaires : le dolutegravir. Il a fallu financer des études pour montrer l’intérêt au sud de cette nouvelle molécule qui avait a un effet puissant, rapide, qui est mieux tolérée, plus tolérante à l’inobservance et présente moins de risques de résistance. En plus, c’est un traitement moins cher. L’objectif était de rendre disponible le dolutegravir en Afrique 3 ans après le Nord, alors que ça avait pris 10 ans pour les traitements combinés Tenofovir/Efavirenz.
Quelles sont les conditions pour que l’innovation soit véritablement utile et accessible, en particulier dans les pays du Sud ?
Toute l’histoire de la lutte contre le sida, est une histoire d’innovations. Mais il faut toujours poser deux questions : comment rendre les choses les plus simples possibles ? Comment adapter les systèmes aux besoins des patients ?
Au Nord comme au Sud, les personnes ont d’abord besoin d’informations ; de soutien communautaire ; d’accès à des produits de qualité et d’un accès simple au système de santé. Ce sont des exemples dont je viens de parler : un traitement antirétroviral avec un comprimé par jour ; les autotests ; simplifier l’accès aux traitements comme avec le dolutegravir qui peut conduire à réduire la fréquence de consultations médicales et donc diminuer la pression sur le système de santé. Faute d’un nombre suffisant de médecins en Afrique, il faut que les tâches puissent être déléguées. Ce n’est pas simplement le renforcement du système, pas simplement en construisant des hôpitaux qu’on va avoir une amélioration : il faut vraiment se poser la question de quoi les gens ont besoin ! La simplicité de l’accès au dépistage et de l’accès aux traitements est une des conditions indispensables de cette simplification.
Sur quoi devront porter les innovations à venir en matière de lutte contre le sida?
L’enjeu majeur porte sur deux types d’innovation. Tout d’abord, le développement et l’accès à des technologies permettant la délivrance de traitements et de prévention de longue durée d’action, ce qui facilitera l’observance thérapeutique. Les premiers traitements sont attendus d’ici 2019.
Le second type d’innovation est relatif à l’intégration des efforts en matière de lutte contre le sida aux autres besoins en santé, tels la santé sexuelle et reproductive ou encore les co-infections et notamment aux hépatites.