Il existe aujourd’hui une large gamme d’antirétroviraux (ARV) pour traiter l’infection par le VIH. Pour autant, bien qu’approuvés par les autorités de santé, ceux-ci ne sont pas forcément adaptés en cas de grossesse. L’étude observationnelle Impact P1026s[1], réalisée chez une trentaine de femmes américaines enceintes vivant avec le VIH, a mis en lumière les limites de ce traitement. Cette étude évaluait les propriétés pharmacocinétiques[2] de l’elvitégravir/cobicistat[3] contenu dans ces ARV, au cours de la grossesse. Le suivi pharmacologique a révélé une diminution importante de la concentration plasmatique des deux composés au cours de la grossesse ; allant jusqu’à 89 % pour l’elvitégravir et 76 % pour le cobicistat au troisième trimestre. À l’accouchement, seulement 76 % des femmes sous traitement avaient une charge virale indétectable. Afin d’éviter un possible échec virologique chez les mères et la transmission du virus à l’enfant, de nouvelles recommandations ont été établies dans plusieurs pays, dont la France et le Royaume-Uni[4].
Réponse différente au traitement durant la grossesse
Les changements physiologiques apparaissant lors de la grossesse impactent la pharmacocinétique des traitements. Les nausées et les vomissements peuvent altérer l’absorption des médicaments. L’augmentation de la masse corporelle et du volume sanguin a un effet de dilution sur le médicament. Les changements hormonaux affectent aussi la distribution et la métabolisation[5] des composés. Ces modifications entraînent majoritairement une diminution de la concentration en médicament, comme cela est le cas pour l’elvitégravir. Pour pallier ces problèmes, certains dosages médicamenteux sont revus à la hausse, d’autres sont contre-indiqués. En plus des changements physiologiques, il faut également prêter attention aux possibles interactions médicamenteuses (utilisation de vitamines prénatales, supplémentation en fer) qui peuvent influencer l’assimilation du médicament.
Balance fine entre bienfait pour la santé de la mère et risque pour l’enfant à venir
65 % des femmes âgées de plus de 15 ans et 80 % des femmes enceintes vivant avec le VIH ont accès à un traitement ARV[6]. L’implantation de ces traitements permet d’améliorer leur santé et de prévenir le risque de transmission à l’enfant. Pour autant, ils ne sont pas exempts de tous risques. Les femmes enceintes sous ARV sont en effet plus sujettes à développer des complications lors de leur grossesse (prématuré, faible poids à la naissance) que les femmes non infectées[7]. Six études récentes ont également rapporté une association entre initiation du traitement lors de la conception et naissance prématurée[8]. Le problème majeur est le manque de données cliniques pouvant mener à des recommandations spécifiques pour cette population. L’intervalle entre l’autorisation de mise sur le marché d’un nouveau médicament et les premières données pharmacocinétiques et de sécurité d’emploi pendant la grossesse est d’environ six ans[9]. Pour l’elvitégravir, commercialisé en 2012, il a fallu attendre 2018 pour identifier les risques associés à sa prise chez les femmes enceintes. Durant ce laps de temps, de nombreuses femmes enceintes étaient sous traitement sans connaitre les dangers. Comment alors améliorer la mise en place des recommandations des thérapeutiques pour les femmes enceintes ?
Inclure les femmes enceintes dans les essais cliniques
Même si dernièrement la tendance tend à évoluer, les femmes sont peu représentées dans les essais évaluant les nouveaux traitements. Quand cela est le cas, elles doivent être sous contraceptif afin d’éviter toute grossesse durant l’essai. Les études menées chez les femmes enceintes ou allaitant sont réalisées une fois le médicament disponible sur le marché, et les données qui en ressortent ne sont accessibles que plusieurs années après. Les femmes sont ainsi exposées sur de longues périodes à des traitements en absence de données pharmacologiques et de sureté spécifiques à leur condition.
D’un point de vue éthique, l’inclusion de femmes enceintes dans des essais n’est pas possible. Cependant, le contraire semble aussi valable, selon les propos du Dr Colbers[10]. Une fois le médicament mis sur le marché, c’est une plus grande proportion de personnes qui y a accès, exposant ainsi un plus grand nombre de femmes enceintes ou allaitant à des risques pour elles et leur futur enfant. Les autorités de santé américaines et européennes incitent depuis quelques années les compagnies pharmaceutiques à inclure plus de femmes (enceintes ou non) dans leurs essais. Ils ont développé des recommandations préconisant une approche informée de la collecte de données sur l’utilisation de médicaments pendant la grossesse. L’OMS a établi en 2018 un guide à l’intention des industries pharmaceutiques afin d’accélérer le développement des traitements adaptés aux enfants, femmes enceintes et allaitant. Ce guide fournit des recommandations pour évaluer efficacement tous les aspects de la pharmacologie clinique requis pour un traitement sûr et efficace des femmes vivant avec le VIH et de leur(s) enfant(s).
[1] Également appelée « étude de phase 4 », elle est menée une fois qu’un traitement a reçu l’autorisation de mise sur le marché (AMM) par l’ANSM. Ce type d’études vise à poursuivre l’évaluation des effets secondaires à long terme et de vérifier l’exactitude des observations expérimentales dans la vraie vie.
[2] Étude du devenir du médicament dans l’organisme. Il se compose de quatre phases : l’absorption du composé, sa distribution dans l’organisme, sa métabolisation et son élimination.
[3] L’elvitégravir est un inhibiteur d’intégrase. Il est utilisé en combinaison avec le cobicistat qui permettra d’augmenter l’exposition de l’elvitégravir dans l’organisme.
[4] https://www.gov.uk/drug-safety-update/elvitégravir-boosted-with-cobicistat-avoid-use-in-pregnancy-due-to-risk-of-treatment-failure-and-maternal-to-child-transmission-of-hiv-1
[5] Transformation par une réaction enzymatique d’un médicament en un ou plusieurs autres composés actifs ou inactifs sur le plan pharmacologique. Le principal site de biotransformation est situé au niveau du foie où les hépatocytes contiennent un grand nombre d’enzymes impliquées dans la transformation des médicaments.
[6] unaids.org/en/resources/fact-sheet
[7] Zash R, “Comparative Safety of Antiretroviral Treatment Regimens in Pregnancy”, JAMA Pediatrics, 2017.
[8] Ramokolo, OpenForum Infect Dis, 2017; Favarato, AIDS, 2018; Rough, NEJM, 2018; Snijdewind, PlosOne, 2018; Zash, JPIDS, 2018; Stringer, PlosOne, 2018.
[9] Colbers A, “Importance of Prospective Studies in Pregnant and Breastfeeding Women Living With Human Immunodeficiency Virus”, CID, 2019.
[10] Colbers A, “Importance of Prospective Studies in Pregnant and Breastfeeding Women Living With Human Immunodeficiency Virus”, CID, 2019.