Toute personne qui prend régulièrement un traitement le sait : les médicaments ne sont pas dépourvus d’effets secondaires. Si beaucoup de progrès ont été réalisés et que les ARV disponibles aujourd’hui présentent peu d’effets indésirables, il semblerait néanmoins, à suivre les études, qu’ils favorisent une prise de poids. Transversal fait le point.
Au gré des conférences, un sujet s’impose : la prise de poids des personnes suivant un traitement antirétroviral (ARV). Longtemps peu ou pas étudiée, la prise de poids des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) ne semblait pas, jusqu’à peu, préoccuper particulièrement les chercheurs. Pourquoi ? Comme l’explique Jennifer Gorwood, doctorante à l’Inserm et travaillant sur le sujet, à Transversal : « Progressivement, depuis qu’a été trouvée une solution thérapeutique viable, les médecins se sont moins inquiétés du virus en soi, que de la manière de bien vivre avec. Nécessairement, on s’est de plus en plus intéressé aux comorbidités qui affectent les PVVIH, notamment celles qui vieillissent : la prise de poids, et ses conséquences sur la santé, en est une. »
Les ARV, un accélérateur ?
À première vue, que les PVVIH grossissent n’est pas une surprise : la prévalence de l’obésité et du surpoids augmente généralement. En cause, la sédentarité, l’activité physique insuffisante, l’alimentation transformée et trop sucrée jouent une grande part dans le prise de poids de la population mondiale.
Cependant, les études récentes qui se sont penchées sur le sujet concordent : désormais, les ARV sont soupçonnés de faire augmenter la masse corporelle. Les personnes vivant avec le VIH et qui reçoivent un traitement ARV prendraient plus facilement du poids que les personnes séronégatives, et ce quel que soit leur poids initial.
Entre 1998 et 2010, des chercheurs aux États-unis et au Canada ont monitoré la prise de poids des personnes séropositives qui débutaient un traitement ARV. Les conclusions sont saisissantes : la proportion de personnes obèses avant le début du traitement avait doublé, passant de 9 % en 1998 à 18 % en 2010. En moyenne, après trois ans de traitements, 22 % des PVVIH qui avaient un poids normal au début de l’étude étaient désormais en situation de surpoids [i].
Présentés lors de la conférence internationale AIDS 2020, les résultats d’une autre grande étude viennent confirmer cette suspicion. Menée par le docteur Michael Silverberg et ses confrères du consortium de soin américain Kaiser Permanente Northern California, cette étude de cohorte, impliquant 138 222 personnes parmi lesquelles 8 256 vivaient avec le VIH, pointe que les taux de prise de poids apparaissent significativement plus élevés chez les PVVIH que chez les personnes séronégatives.
Au début de l’étude, si les personnes séropositives avaient un indice de masse corporelle (IMC) moyen inférieure à celle des personnes séronégatives, elles ont néanmoins pris trois fois plus rapidement du poids que les autres. Et le docteur Silverberg de souligner que « l’indice de masse corporelle augmente plus rapidement au fil du temps pour les personnes vivant avec le VIH », notamment après le début du traitement antirétroviral [ii].
« Toutes les études menées sur le sujet montrent que les traitements antirétroviraux favorisent une prise de poids, précise également Jennifer Gorwood, il peut s’agir, en premier lieu, d’un phénomène normal, lié au ‘retour à la santé’ du patient traité tardivement. Néanmoins, cette prise de poids s’observe chez tous les patients, même ceux qui sont traités tôt. On a également constaté que certains antirétroviraux sont liés à des prises de poids plus importantes : c’est le cas des inhibiteurs de l’intégrase. »
Le dolutégravir dans le viseur
Depuis plusieurs années, des cas d’augmentation de la masse corporelle ont particulièrement été signalés chez des personnes utilisant des inhibiteurs de l’intégrase. Parmi les ARV incriminés, le dolutégravir. Recommandé depuis 2019 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en tant que traitement de première ligne, le dolutégravir a déjà été identifié par deux études réalisées en Afrique – les essais ADVANCE et NAMSAL – comme un facteur, chez les femmes notamment, d’une importante prise de poids.
Une récente étude, l’étude AFRICOS également présentée lors de la conférence AIDS 2020 [iii], enfonce le clou. Basée sur l’analyse des données issues d’une cohorte de 3514 personnes provenant de 12 sites en Afrique, AFRICOS a étudié l’évolution de 742 patients qui amorçaient une trithérapie comprenant du dolutégravir à celle de 1212 personnes ayant débuté un traitement sans dolutégravir ou ne prenant pas d’ARV.
L’étude précise ainsi que, parmi les personnes prenant du dolutégravir, 451 étaient devenus obèses ou en situation de surpoids. Au total, l’incidence du surpoids ou de l’obésité calculé pour tous les participants était de 72 cas pour 1000 personnes, mais de 98 cas pour 1000 chez les participants qui recevaient du dolutégravir. Et ces derniers présentaient un taux de surpoids ou d’obésité 85 % plus élevé que les personnes suivant un traitement sans dolutégravir. Des résultats inquiétants.
[i] Koethe JR, Jenkins CA, Lau B, et al. Rising obesity prevalence and weight gain among adults starting antiretroviral therapy in the United States and Canada. AIDS Research and Human Retroviruses. 2016 Jan;32(1):50-58.
[ii] Michael Silverberg et al., Changes in body mass index over time in persons with and without HIV, Kaiser Permanente Northern California. 23rd International AIDS Conference, Abstract OAB0603, 2020
[iii] Ake J et al. Weight gain and hyperglycemia during the dolutegravir transition in Africa. 23rd International AIDS Conference, abstract 3328, 2020.