vih Travail du sexe : la pénalisation du client devant la Cour européenne des droits de l’homme

03.11.21
Romain Loury
5 min
Visuel Travail du sexe : la
pénalisation du client devant la Cour européenne des droits de l’homme

Cinq ans après la loi de 2016, dite de « pénalisation des clients », les faits parlent d’eux-mêmes : les travailleur.se.s du sexe subissent précarisation, violences et rapports non protégés. Après avoir échoué avec la justice française, elles se tournent vers la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

« Nous avons été délinquantes sous Sarkozy, maintenant nous ne sommes plus rien », résume Chloé, prostituée au bois de Vincennes. En cause, la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées : si elle a mis fin au délit de racolage en vigueur depuis mars 2003, elle punit les clients d’amendes de 1.500 euros, voire 3.750 euros en cas de récidive. L’Etat ne bannit donc pas le travail du sexe, mais il interdit d’en être client.

Egalement en vigueur en Suède, la pénalisation du client a fortement précarisé les travailleur.se.s du sexe. Selon Chloé, « les choses ont changé du jour au lendemain, avec une clientèle qui a été divisée par deux. La clientèle mariée a eu peur, et s’est reportée sur internet ». Les effets sont très variables d’une personne à l’autre : celles ayant une clientèle bien établie ont mieux résisté que celles aux clients irréguliers ou occasionnels.

Malgré un impact variable, la loi les a mises en position de faiblesse : « dans la rue, dès qu’un client voit qu’une femme ne travaille pas, il négocie le prix, exige de le faire sans capote. Ce genre de négociation est devenu une pratique très courante, qui n’existait pas avant la loi. C’est du grand n’importe quoi ! », explique Chloé. En grande difficulté financière, des prostitué.e.s sont obligées d’accepter des tarifs très bas : « au bois de Boulogne, il y a en a qui doivent accepter cinq euros sans capote ».

Baisse des revenus chez 78% des personnes

Pression accrue pour avoir des rapports non protégés, précarité compromettant l’accès aux soins, surexposition aux violences, aux dépressions et au risque suicidaire… autant d’effets démontrés par une étude menée en 2018 auprès de 583 prostitué.e.s : du fait de la loi, 38 % d’entre elles rencontrent plus de difficultés à imposer le port du préservatif, 78 % sont confrontées à une baisse de leurs revenus, 42 % sont plus exposées aux violences. Trois ans plus tard, « les effets sont toujours aussi catastrophiques », note Sarah-Marie Maffesoli, référente travail du sexe chez Médecins du monde.

« Il y a eu le Covid-19 par-dessus, qui est intervenu sur une population déjà très précarisée. Il est désormais difficile de faire la part des choses entre la crise sanitaire et la pénalisation des clients. Les conséquences sont exactement les mêmes : une surexposition des travailleur.se.s du sexe aux risques de santé et de sécurité », ajoute-t-elle. Mené sous l’égide de Médecins du monde, le programme Jasmine, qui vise à lutter contre les violences envers les travailleur.se.s du sexe, relève une moyenne de 2,5 cas par jour, et de 1 par jour pendant le confinement du printemps 2020 – malgré un arrêt de travail de la majorité des travailleur.se.s.

La CEDH appelée à trancher

En juin 2017, cinq travailleur.se.s du sexe et neuf associations, dont Sidaction, exigeaient le retrait de la loi auprès du Conseil de l’Etat, estimant qu’elle portait atteinte à la liberté des personnes, méconnaissant leur droit au respect de la vie privée, à l’autonomie personnelle, à la liberté sexuelle et à la liberté d’entreprendre. Malgré la justesse de leurs arguments, le Conseil constitutionnel concluait en février 2019 à la conformité de ces mesures.

Les voies de recours étant épuisées en France, 264 travailleur.se.s du sexe, épaulées par les mêmes associations, ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), invoquant non seulement le droit au respect de la droit privée, mais aussi le « grave péril » que fait peser la loi sur l’intégrité physique et psychique et la santé des personnes. Mi-avril, la cour a jugé que ces requêtes étaient recevables.

Selon Isabelle Denise, présidente des Amis du bus des femmes, association parisienne qui apporte un soutien sanitaire et social aux travailleur.se.s du sexe, « c’est inédit, jamais la juridiction européenne n’a eu à se prononcer sur cette problématique. La cour devra choisir entre le respect des choix étatiques et celui des droits conventionnels », inscrits dans la Convention européenne des droits de l’homme. Des « choix étatiques » qui, selon elle, s’expliquent moins par une « pensée politique » que par « une réaction aux échéances électorales » : face à la prostitution de rue, « le pénal est la solution de facilité, c’est un outil qui fonctionne tout de suite ».

Qui fonctionne, mais parfois dans le mauvais sens. Car si la loi visait à mettre fin à la traite des personnes, elle semble au contraire l’avoir favorisé : selon une étude rendue publique mi-octobre par le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), les procédures pour traite et exploitation d’êtres humains, dont plus de la moitié ont trait au proxénétisme, sont passées de 710 à 933 entre 2016 et 2019, soit une hausse de +33 %. Une hausse tout juste ralentie par la crise du Covid-19, avec 772 procédures enregistrées en 2020.

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