vih Troubles cognitifs : un aspect oublié de l’infection par le VIH

15.06.20
Angeline Rouers
11 min
Visuel Troubles cognitifs : un aspect oublié de l’infection par le VIH

Au début de l’épidémie, dans les années 80, l’infection par le VIH évoluait rapidement vers la phase sida avec le développement fréquent de maladies opportunistes et le décès prématuré des patients. Dans ce contexte, des troubles neurologiques sévères étaient observés chez les patients, donnant naissance au terme de NeuroVIH.

Avec le développement de traitements efficaces, le domaine du NeuroVIH s’est transformé, devenant par la même occasion un aspect quelque peu oublié de l’infection VIH : « Aujourd’hui, au moins 85% des PVVIH en France reçoivent un traitement ARV virologiquement efficace ce qui les protège de ce qu’on appelait au siècle dernier la démence associée au VIH. Ces tableaux sont devenus très rares et ne concernent qu’une petite minorité de personnes ayant échappés au dépistage ou ayant renoncés à une bonne observance des traitements.» explique Jacques Gasnault, médecin à l’Unité des maladies neurovirales de l’hôpital Bicêtre.

Les traitements ARV permettent aux PVVIH de vivre plus longtemps. En 2016, UNAIDS estimait que le nombre de PVVIH de plus de 50 ans allait augmenter de 47% d’ici 2020 dans les pays à faibles et moyens revenus et ainsi atteindre un chiffre de 6.9 millions(2). L’allongement de la durée de vie des PVVIH n’est pas sans conséquence. Les personnes âgées – et d’autant plus les PVVIH – présentent des comorbidités (maladies cardio-vasculaires, diabète…) qui peuvent jouer un rôle dans l’apparition de troubles cognitifs.

Le vieillissement des PVVIH est un nouveau défi qui incite désormais les autorités de santé à adapter la prise en charge et le suivi. Le rapport 2016 d’UNAIDS(3) sur le sujet insistait notamment sur l’importance de renforcer le suivi médical des personnes âgées et de promouvoir les recherches sur le vieillissement avec le VIH.

Le virus : une cause des troubles neuro-cognitifs ?

A l’époque, avant le succès des traitements ARV, les atteintes neurologiques les plus graves étaient souvent dues aux maladies opportunistes, en lien avec l’immunodéficience des PVVIH. Parmi celles-ci, la LEMP (leucoencéphalopathie multifocale progressive), une encéphalite due au virus opportuniste vJC. Bien que plus rare, cette maladie se rencontre toujours et est particulièrement destructrice.

« En raison de l’absence de traitement spécifique, le taux de survie à un an pour ce type d’encéphalite est de ordre de 60% lorsque le déficit immunitaire sous-jacent est lié au VIH et la plupart des décès surviennent dans les 6 premiers mois. » souligne Jacques Gasnault.    

Ensuite, le VIH lui-même peut avoir un rôle dans l’apparition de troubles cognitifs par sa capacité à atteindre le cerveau. Il entraîne une activation cellulaire et une réaction inflammatoire locale, deux phénomènes potentiellement délétères pour les fonctions cognitives du cerveau.

La présence du VIH dans les macrophages du cerveau est connue depuis de nombreuses années(4). La molécule CD4, principale porte d’entrée du VIH dans les cellules-cibles, doit généralement être présente en large quantité à leur surface pour permettre l’infection. En 2013, des chercheurs américains ont montré que le VIH est capable de s’adapter à l’environnement cellulaire du cerveau en infectant des cellules avec une densité de CD4 beaucoup plus faible, tels que les macrophages(5).

Aussi, bien que l’on sache depuis longtemps que le virus est capable d’envahir le cerveau dès la primo-infection, une récente découverte a permis de montrer que certaines souches de VIH peuvent s’y répliquer de façon autonome, constituant ainsi un réservoir difficile d’accès pour les ARV.

Des comorbidités à surveiller

Dans de nombreux cas, cependant, l’émergence de troubles cognitifs est davantage dûe à un impact indirect du VIH, notamment le vieillissement de la population comme souligné précédemment. D’après le Dr. Jacques Gasnault :

« Les troubles cognitifs observés actuellement sont d’abord liés aux comorbidités – notamment celles liées au risque vasculaire – et au vieillissement de la population des PVVIH. Il faut savoir que la médiane d’âge dans la cohorte française excède 50 ans et qu’il est maintenant démontré que les PVVIH, au-delà de cet âge, ont plus de comorbidités que la population générale. Enfin, il ne faut pas oublier le retentissement sur la cognition des troubles psycho-affectifs (anxiété, dépression) fréquents chez les PVVIH. »

La question du vieillissement des PVVIH et son lien avec les troubles cognitifs est d’ailleurs explorée dans des études ANRS telles que HAND ou SEPTAVIH. L’une et l’autre cherchent à déterminer les éventuelles spécificités des troubles cognitifs chez les PVVIH de 55 ans et plus.

L’implication de certains traitements ARV dans l’altération du fonctionnement cognitif est aussi discutée, en particulier celle des inhibiteurs d’intégrase. Les résultats présentés en 2019 à la CROI (Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections) sont cependant assez divergents(6) pour conclure à une éventuelle neurotoxicité de cette classe thérapeutique.

Inversement, l’efavirenz (un inhibiteur de la transcriptase inverse) est une molécule connue pour ses potentiels effets délétères sur les fonctions neurosensorielles et la cognition(7). Elle est cependant de moins en moins prescrite aux PVVIH mais constitue tout de même un point important pour les PVVIH les plus âgées qui ont reçu ce traitement pendant plusieurs années. 

Les chercheurs s’accordent en tout cas sur le fait qu’une initiation précoce du traitement, quel qu’il soit, permet de limiter les troubles cognitifs, alors même que les ARV accèdent difficilement au cerveau. Ce dernier est en effet entouré d’une barrière protectrice qui limite la diffusion des ARV dans le tissu cérébral. Instaurer le plus tôt possible, un traitement virologiquement efficace permettra de réduire la quantité de virus diffusant dans le cerveau.

D’un point de vue clinique, les troubles cognitifs peuvent se manifester par des déficits attentionnels, un ralentissement idéomoteur*, un dysfonctionnement exécutif ou encore des troubles de la mémoire. Leur dépistage repose avant tout sur des outils cliniques sensibles comme des tests neuropsychologiques et l’évaluation du niveau d’autonomie au quotidien. La mise en œuvre du dépistage est cependant limitée dans les centres médicaux prenant en charge des PVVIH par les difficultés de disposer des moyens humains nécessaires, notamment du temps de neuropsychologues.

Une fois le déficit cognitif confirmé, reste à en déterminer la cause. S’en suivront alors des examens complémentaires classiques, avec au premier plan l’IRM cérébrale puis éventuellement divers examens biologiques tels que une évaluation cardiovasculaire détaillée, des dosages hormonaux, ou une étude du liquide cérébro-spinal par ponction lombaire.

« Les troubles cognitifs se traduisent par une grande vulnérabilité » 

Les troubles cognitifs – quelle que soit leur gravité – ont un impact social conséquent pour les PVVIH, comme en témoigne Frédérique Pernot, responsable projets et qualité pour l’association Les Petits Bonheurs : « Pour certaines des personnes que nous suivons aux Petits Bonheurs, les troubles cognitifs se traduisent par une perte d’autonomie précoce, une désocialisation, des difficultés dans la gestion du quotidien, une grande vulnérabilité et des situations de grande précarité. »

Concrètement, certaines actions du quotidien deviennent compliquées à exécuter. Les troubles temporo-spaciaux vont par exemple affecter la capacité à prendre les transports en commun ou de simplement se balader en ville, au risque de se perdre.

« Nous faisons aussi face à des personnes ayant des difficultés à gérer leur budget, leur logement ou encore leur hygiène corporelle. Certains de ces aspects obligent à mettre en place des mesures de protection judiciaire – comme une mise sous curatelle ou sous tutelle – ce qui est souvent mal vécu par la personne et renforce la dévalorisation ainsi que la perte de liberté.» ajoute Frédérique Pernot.

Les répercussions peuvent même atteindre l’observance du traitement ARV. En effet, les troubles cognitifs provoquent parfois des difficultés à comprendre ce traitement (intérêt, posologie), ce qui entraine les problèmes d’observance et donc des charges virales mal contrôlées pouvant devenir élevées avec des risques d’évoluer rapidement vers le stade sida.

Les troubles cognitifs sont souvent considérés comme un handicap « invisible”, menant à de l’incompréhension et une perception faussée pour la personne qui est en face, ce qui aboutit à des difficultés dans les échanges et la vie sociale.

L’aspect “invisible” s’applique aussi aux personnes elles même. Les troubles – lorsque qu’ils ne sont pas trop sévères – sont souvent banalisés, mis sur le compte d’une fatigue extrême, ou parfois déniés. Pour d’autres, ils contribuent à une dévalorisation, une perte de l’estime de soi : « je ne suis même plus capable de… ».

Les consultations dédiées à la mémoire trop peu proposées

Dans ce contexte, un suivi psychologique est souvent bénéfique. C’est par exemple ce que propose Nalen Perumal, psychologue à l’association Envie : « La prise en charge que nous proposons se fait de plusieurs façons. Il peut s’agir d’une prise en charge psychothérapeutique et somatothérapeutique (à médiation corporelle) des PPVIH. Nous proposons également des lieux d’accueil et de vie pour être au plus proche des PVVIH dans leur quotidien de façon à leur apporter un soutien quant aux effets des troubles cognitifs. Une aide au repérage et à l’orientation vers la réalisation de bilans neuropsychologique est par ailleurs apportée. »

Le bilan neuropsychologique est particulièrement important comme en témoigne Hélène Meunier, médiatrice santé à Envie: « Ces bilans peuvent apporter des éléments d’information voire rassurer les personnes. Car parfois, les troubles ressentis relèvent du vieillissement normal du cerveau, et la personne a surtout besoin de pouvoir être écoutée, informée et apaisée. Ces bilans ouvrent également la voie à une exploration plus approfondie pour une prise en charge précoce des troubles cognitifs qui le nécessiteraient. Malheureusement, ces dispositifs’consultation mémoire’ restent encore trop peu développés, peu connus et donc trop peu accessibles pour les personnes. »

Le support apporté par les associations ne s’arrête pas là. Le milieu associatif collabore étroitement avec les équipes médicales en mettant par exemple en place des séances avec des ergothérapeutes, orthophonistes, kinésithérapeutes, auxiliaires de vie, aides ménagères…

Les associations répondent aussi à un besoin de loisirs, de plaisir et de socialisation qui sont malheureusement très souvent placés au second plan. C’est par exemple le cas aux Petit Bonheurs :« Nos interventions cherchent à revaloriser la personnes par exemple en mettant en avant les capacités restantes. A la stimuler en lui proposant des sorties selon ses goûts et ses envies. A l’aider à trouver des repères en faisant un tour dans le quartier et en réinvestissant les transports en commun. Réfléchir ensemble à la mise en place de petites techniques propres à chacun pour palier certains troubles, comme les petits post-it, les agendas… » explique Frédérique Pernot.

Enfin, l’apparition du COVID-19 est venue raviver les angoisses passées d’un virus tueur qui pouvait atteindre n’importe quel individu dans le monde, tout comme le VIH à l’époque. Un contexte particulier dont Yves Dupont, directeur de l’association Envie, nous fait part :« Cette répétition a un impact psychologique très fort dans la vie des personnes que nous accompagnons sans parler de nous accompagnant-e-s. Cela se traduit par des suivis téléphoniques beaucoup plus répétés, exprimant une montée des angoisses, des prises d’antidépresseurs augmentées parfois sous la forme d’auto-médication inquiétante pouvant troubler très fortement les personnes avec des idées mortifères. Le confinement a isolé brutalement certaines personnes et le déconfinement – qui s’accompagne des mesures de distanciation sociale – rappelle des événements du passé liés au fait d’être une personne à risque dont il faut s’éloigner. »

Le rôle des associations dans le contexte du NeuroVIH actuel est donc crucial. Au contact direct avec les PVVIH, elles ont permis de tirer la sonnette d’alarme et de remettre en avant les troubles cognitifs et leurs répercussions. Jusqu’alors invisibles et largement ignorés, la gestion des troubles cognitifs se révèle maintenant incontournable pour maintenir certaines personnes dans leur parcours de soin.

Le ralentissement idéomoteur se caractérise par une ralentissement des fonctions à la fois physiques et psychiques en lien avec un ralentissement global du traitement des informations.

Notes

1) https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5533849/

2) https://www.unaids.org/sites/default/files/media_asset/Get-on-the-Fast-Track_en.pdf

3) https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6607932/

4) https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/24307580/

5) https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4374811/

6) https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6550359/#R14

7) https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1517/14740338.2013.823396

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