Après avoir éprouvé de vives inquiétudes lors de l’arrivée au pouvoir du président américain, les acteurs de la lutte contre le sida se félicitent que les financements internationaux aient été maintenus grâce au soutien du Congrès.
C’était au mois de juin dernier, un jour où Donald Trump était sans doute de bonne heure et désireux de rendre hommage aux scientifiques de son pays engagés dans la lutte contre le coronavirus. « J’ai un grand respect pour leur esprit et ils ont trouvé des choses. Ils ont proposé de nombreux autres traitements et thérapies au fil des ans. Ce sont les… meilleurs, les plus intelligents, les plus brillants du monde ». Du lyrisme à la Trump qui a ensuite enchaîné sur sa lancée. « Ils ont mis au point le vaccin contre le sida ».
« C’est une chose incroyable »
Un vaccin existe rait donc contre le VIH ? Se rendant compte peut-être de son erreur, le président américain s’est alors mis à bafouiller. « Le sida… Comme vous le savez, il y a différentes choses et maintenant diverses sociétés sont impliquées… Mais la thérapie du sida… le sida était une condamnation à mort, et maintenant les gens vivent une vie avec une pilule. C’est une chose incroyable ».
On s’en doutait : le futur-ex locataire de la Maison Blanche n’a jamais été un expert du VIH. Pas plus que du coronavirus d’ailleurs. Mais au-delà de cette anecdote, force est de constater sa politique a bien failli mettre sérieusement en péril la lutte contre le sida au niveau mondial. « On a eu beaucoup d’inquiétudes au départ mais heureusement le Congrès américain a limité les dégâts », estime Jean Pasteur, chargé du plaidoyer à l’association Aides. « On peut se dire qu’on a évité le pire », renchérit Estelle Tiphonnet, directrice des partenariats à Coalition Plus
La démission de six experts
A son arrivée aux affaires, en janvier 2017, Donald Trump et son administration ont très vite suscité la consternation d’un grand nombre d’acteurs de la lutte contre le sida. Il n’a pas fallu attendre plus de six mois pour que six membres d’un comité, ayant pour mission d’éclairer le président sur la lutte contre le VIH, annoncent leur démission en juin 2017. « Nous avons consacré notre vie à la lutte contre le sida et nous ne nous sentons pas capables de le faire efficacement au sein d’un comité chargé de conseiller un président qui ne s’en soucie guère », avait alors déclaré un des expert, Scott Schoettes dans une lettre ouverte mise en ligne sur le site de Newsweek.
Cet expert ajoutait que le gouvernement du président américain « n’a aucune stratégie de lutte contre l’épidémie actuelle de VIH » et « défend des lois qui vont nuire aux personnes atteintes du VIH et vont interrompre ou revenir en arrière sur des progrès importants réalisés dans la lutte contre la maladie ».
Cette inquiétude s’est renforcée avec l’instauration de la règle du « baillon », également connue sous le nom de « politique de Mexico ». « Il s’agit d’un texte qui interdit aux Etats-Unis de financer des programmes permettant un accès à l’avortement et une promotion du droit des femmes en matière de santé sexuelle et reproductive », indique explique Estelle Tiphonet. « Cette règle constitue un recul pour la santé mondiale, y compris dans le domaine du VIH. Car elle peut aboutir, en particulier en Afrique, à l’émergence de grossesses non désirées pouvant donner lieu, dans un contexte de vulnérabilité, à des transmissions du VIH de la mère à l’enfant ».
L’appel de Paris
Très vite, des inquiétudes ont aussi émergé sur la continuité des financements américains pour la lutte contre le VIH. Lors de la conférence de l’International Aids Society (IAS), en juillet 2017 à Paris, un appel a ainsi été lancé pour demander au gouvernement américain de ne pas faire de coupes dans les budgets. « Les Américains représentent un financement essentiel dans ce domaine et nous avons besoin qu’ils restent engagés. Dans le cas contraire, cela se traduirait par des morts et des nouvelles contaminations supplémentaires », a alors averti Linda-Gail Bekker, la présidente de l’IAS.
Cette conférence a aussi permis de situer les enjeux cruciaux autour de l’engagement des Etats-Unis, regroupant à eux seuls plus des deux tiers des financements gouvernementaux au mondial. En 2016, année de l’élection de Trump, le pays avait consacré 4,9 milliards de dollars (4,2 milliards d’euros) à des programmes anti-VIH loin devant le Royaume-Uni (645,6 millions) et la France (242,4 millions).
A l’époque, la crainte était que l’administration agisse à deux niveaux : en réduisant d’abord d’un milliard de dollars, comme elle l’avait annoncé, le financement à PEPFAR, le programme américain de lutte contre le sida, qui joue un rôle majeur dans l’accès aux médicaments. Grâce à ce programme, 14 millions de personnes dans 53 pays bénéficient ainsi d’un traitement. « Et la directrice de PEPFAR, Deborah Birx, s’est mobilisée avec une certaine efficacité pour ne pas que soit réduit l’engagement financier sur le sida », souligne Estelle Tiphonet. « Durant ces quatre années, on a même vu PEPFAR délivrer des financements à des pays africains francophones, comme le Mali ou le Burkina Faso. Ce qui est assez nouveau. Car PEPFAR soutient principalement les pays africains anglophones qui sont ceux les plus touchés par l’épidémie », ajoute-elle.
Une contribution augmentée de 15% pour le Fonds mondial
L’autre inquiétude concernait bien sûr le financement du Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose. L’administration Trump, au départ, avait annoncé son souhait de baisser sa contribution de 425 millions de dollars. Les Américains étaient clairement attendus au tournant lors de la conférence organisée en octobre 2019 à Lyon pour la reconstitution des financements du Fonds mondial. Et finalement, ils ont été au rendez-vous en annonçant une augmentation de 15% de leur contribution, la faisant passer à 1,56 milliard de dollars par an. Soit 33% des ressources du Fonds mondial. « En fait, ce qui a été décisif, c’est l’action et la persévérance du Congrès américain qui, malgré les pressions de l’administration Trump a maintenu le cap. Et on peut aussi se féliciter du combat mené par les activistes et la société civile américaine pour leurs actions de sensibilisation auprès des membres du Congrès », souligne Jean Pasteur.
Si le « pire » a évité, c’est aussi à la diplomatie américaine US. « Les diplomates américains à Genève sont toujours restés discrets et silencieux face à la défiance parfois tonitruante manifesté par Trump, envers les grandes institutions internationales, telle que l’OMS », analyse le professeur Michel Kazatchkine, conseiller spécial de l’Onusida pour les pays d’Europe de l’Est et d’Asie centrale. En fin connaisseur des coulisses de la lutte internationale contre le VIH, notamment grâce à ses cinq années (2007-2012) passées à la tête du Fonds mondial, il précise : « En fait, pendant ces années Trump, on a vu la diplomatie sanitaire américaine, emmenée par Deborah Birx se rapprocher du Fonds mondial et de l’Onusida dans une sorte de coalition visant à être le plus efficace possible pour faire passer des messages sur la nécessité de maintenir l’engagement international contre le VIH, indique le professeur Kazatchkine. Deborah Birx, savait que ce message risquait d’être contré ou censuré par l’administration Trump s’il venait de Washington. C’est la raison pour laquelle elle s’est appuyée sur l’Onusida pour faire entendre ce type de plaidoyer ».
La politique des « montagnes russes »
En fait, dans le domaine du sida comme du reste, Donald Trump a toujours été un adepte des « montagnes russes ». Après avoir quasiment toujours soufflé le froid, il a de manière surprenante opté pour le chaud en février 2019, lors de son discours annuel devant le Congrès. Le président américain a alors annoncé mardi vouloir mettre fin à l’épidémie de sida aux États-Unis dans la prochaine décennie. « Mon budget demandera aux démocrates et aux républicains de dégager les moyens nécessaires pour éliminer l’épidémie de VIH aux États-Unis d’ici 10 ans. Ensemble, nous vaincrons le sida en Amérique et au-delà », a-t-il annoncé.
Une annonce accueillie avec beaucoup de prudence par la revue Nature, qui constatait alors que « les déclarations et la politique de Trump ont largement miné la confiance et rendu l’accès aux soins plus difficile parmi ceux qui, dans certaines communautés, ont un risque plus important de contracter le VIH, notamment les personnes de couleur, les usagers de drogues, les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, les personnes transgenres et les personnes pauvres ».
Difficile de mesurer l’impact de cette annonce spectaculaire, également faite durant la campagne présidentielle. En janvier prochain, Donald Trump va quitter la Maison Blanche. Et il est encore un peu tôt pour savoir quel sera l’investissement de Joe Biden dans le domaine du sida. « Classiquement, les démocrates sont davantage engagés pour la défense du bien commun, l’accès aux soins ou la défense des droits de l’homme. Mais on peut rappeler que c’est sous Georges Bush qu’a été créé Pepfar en 2003 », indique le professeur Kazatchkine.