La guerre en Ukraine risque de réduire à néant la lutte contre le VIH/sida dans le pays. La menace est forte pour la santé des personnes vivant avec le VIH, ainsi que pour les droits et l’accès aux soins des usagers de drogues et des LGBT.
C’est une situation d’urgence sanitaire comme l’Europe n’en a pas connue depuis longtemps : depuis le 24 février, la guerre fait rage en Ukraine, envahie par l’armée russe. Au-delà des morts et des blessés, c’est tout un pays dont les citoyens sont obligés de fuir les combats, pour se réfugier plus à l’ouest, voire dans d’autres pays prêts à les accueillir.
Quelles conséquences pour la lutte contre le VIH/sida en Ukraine ? Malgré les incertitudes qui règnent sur l’issue de la situation, elles ne sont guère réjouissantes. Dans la région Europe de l’est/Asie centrale, l’Ukraine fait figure d’exemple en matière de lutte contre l’épidémie. Selon l’Onusida, le pays compte 260.000 personnes vivant avec le VIH, dont 152.000 sous traitement.
Les efforts pour enrayer l’épidémie de VIH risquent d’être réduits à néant par le conflit en cours. « Les personnes vivant avec le VIH en Ukraine n’ont plus que quelques semaines de traitement anti-VIH avec elles, et leur vie est en jeu sans accès permanent à ces médicaments », déclarait fin février la directrice exécutive de l’Onusida, Winnie Byanyima, qui réclame le maintien des services de soins, de prévention et de dépistage.La lutte contre le VIH/sida a déjà été mise à mal par la crise Covid-19, qui a entraîné une baisse d’un quart du nombre de tests VIH. Avant même le début des hostilités, les experts craignaient un rebond de l’épidémie.
Ancien envoyé spécial de l’Onusida pour la région Europe de l’est/Asie centrale, Michel Kazatchkine dit craindre le pire : « alors que le système de santé s’effondre, que l’offre de traitement et de prévention est interrompue, la mortalité liée au VIH, à la tuberculose, à la tuberculose multirésistante et au Covid-19 va augmenter en Ukraine. Des centaines de milliers de personnes sont déplacées au sein de leur pays, et des villes comme Lviv seront à court de médicaments ».
Secourir les personnes sous traitement
La situation devient en effet critique pour les personnes vivant avec le VIH, en particulier celles résidant dans les zones de combat. S’il est encore possible d’obtenir des antirétroviraux à Kyiv et dans l’ouest du pays, la situation devient très incertaine dans les régions de l’est, notamment dans la ville de Marioupol, sans eau et électricité depuis plusieurs jours. Plus grand réseau de personnes vivant avec le VIH en Ukraine, l’association 100% Life œuvre à l’évacuation et à l’hébergement des familles affectées par le VIH, ainsi que des personnes appartenant aux groupes les plus exposés.
En dehors de l’Ukraine, l’aide s’organise dans les pays voisins. Notamment en Roumanie, où la principale association de lutte contre le VIH/sida, ARAS, fournit nourriture, logement, traitements de substitution aux opiacés (TSO), traitements anti-VIH et antituberculeux aux réfugiés. En partenariat avec la mairie de Bucarest, l’association Carusel a quant à elle mis en place un centre d’hébergement temporaire pour les réfugiés. Son directeur exécutif, Marian Ursan, reconnaît ne pas avoir « une image claire de la situation », tant le chaos règne en Ukraine. « Les gens qui arrivent n’ont pas envie de parler, ils ne souhaitent que se reposer, se nourrir », constate-t-il. Quant à la continuité des traitements anti-VIH chez les personnes demeurées en Ukraine, « c’est une question qui ne se pose plus pour eux. Leur priorité est de survivre ».
Menace sur la réduction des risques
La situation est particulièrement critique pour les usagers de drogues injectables, qui seraient près de 320.000 en Ukraine, dont près de 17.000 sous TSO. Or, le pays, qui comme d’autres de la région présente une épidémie dominée par l’usage de drogues, est l’un des plus avancés en matière de réduction des risques, délivrant matériel d’injection et TSO. Afin d’éviter les déplacements à risque par temps de guerre, le ministère de la santé a recommandé fin février de fournir au moins 15 jours de TSO aux demandeurs, une durée depuis allongée à 30 jours.
Selon l’INPUD (International Network of People who Use Drugs), « la vente de substances dans les rues s’est interrompue, et les usagers, qu’ils soient restés en Ukraine ou qu’ils aient quitté le pays, ont plus que jamais besoin des traitements de substitution (…) Actuellement, des milliers d’Ukrainiens sont non seulement inquiets de l’agression russe, mais aussi de la façon dont elle va affecter l’accès à la méthadone et à la buprénorphine, et plus largement la réduction des risques, dans leur pays ».
Au-delà du risque de rupture d’approvisionnement, le passage de l’Ukraine sous tutelle russe fait craindre une précarisation forte des usagers de drogues, du fait de l’hostilité maintes fois déclarée de Vladimir Poutine à cette population. A la différence de l’Ukraine, les TSO demeurent interdits en Russie, et la délivrance de matériel d’injection y est principalement le fait des associations. Si les usagers ukrainiens craignent d’être privés de leurs droits, c’est parce qu’il existe un précédent : lors de l’annexion de la Crimée en 2014, 800 personnes bénéficiaires des programmes de distribution de méthadone en ont été exclus du jour au lendemain. Ce qui, selon l’INPUD, a entraîné le décès de 80 à 100 personnes, du fait d’overdoses ou de suicides.
Les LGBT inquiets de l’avancée russe
Autre population inquiète de l’avancée russe, les LGBT craignent l’avènement d’un régime homophobe, là aussi selon le modèle en vigueur dans le pays agresseur. Les craintes sont grandes de les voir devenir la cible de violences de la part de l’armée russe, puis d’être stigmatisées dans une Ukraine sous domination russe. Face à ces craintes, les initiatives se multiplient pour venir en aide aux LGBT ukrainiens. Outre les appels à accueillir des réfugiés, des cagnottes ont été lancées sur internet afin de financer le déplacement et l’hébergement des LGBT hors d’Ukraine. L’association Outright International a ainsi lancé une collecte d’argent, destiné aux associations ukrainiennes afin de les aider à secourir les personnes fuyant Kyiv et l’est du pays.
En partance de la capitale, l’association Tochka Opory s’est elle-même installée à Lviv, ville de l’ouest qui constitue la principale base arrière de la résistance ukrainienne. Elle y a mis en place un centre d’hébergement pour des personnes LGBT fuyant les combats, leur fournissant nourriture et médicaments. Avec 15 personnes secourues à ce jour, le directeur de Tochka Opory, Tymur Levchuk, espère pouvoir en héberger 40 prochainement.