vih Un an après son arrivée en France, quel bilan pour l’autotest VIH?

10.01.17
Cécile Josselin
13 min

Cela faisait 17 ans qu’on en parlait ! Proposé puis rejeté par le gouvernement français par deux fois, l’autotest VIH a finalement fait son entrée dans les pharmacies françaises le 15 septembre 2015. Quinze mois plus tard, il est temps d’en dresser un premier bilan.

« L’autotest de dépistage du VIH doit être gratuit et libre d’accès »
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Si en France le dépistage est largement accessible,20 % des personnes séropositives (25 000 environ) ignorent leur état (1).

Les bénéfices du dépistage sont pourtant indéniables autant sur le plan individuel que collectif. Traité précocement, le patient peut aujourd’hui espérer garder une espérance de vie quasi-normale. Pour la collectivité, le bénéfice est plus net encore car l’on sait aujourd’hui que, bien suivie, la trithérapie permet de réduire la charge virale de nombreux patients à un niveau indétectable, qui les rend non contaminants,réduisant de ce fait la transmission et donc le développement de l’épidémie (2).

Un des premiers leviers contre le développement du VIH est donc d’accroitre le dépistage, si possible en ciblant les populations les plus à risques : les HSH (Hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes), les usagers de drogues injectables, les migrants, les professionnels du sexe et les personnes qui ont de nombreux partenaires.

Certains refusent encore de se faire dépister de peur du résultat. Certains sont embarrassés à l’idée de parler de leur vie sexuelle, d’autres agacés à l’idée d’attendre. Quand ils se décident finalement, ils le font à un moment où ils s’en sentent le courage. S’ils n’ont pas la possibilité de le faire à ce moment là (car le Centre de dépistage gratuit est fermé, la file d’attente trop longue, qu’ils y aperçoivent quelqu’un dont ils ne veulent pas être reconnus…), certains renoncent… Quand il s’agira d’aller chercher les résultats une semaine plus tard, 22% auront renoncé à s’y rendre (29 % des résultats positifs) selon une étude au CDAG de l’hôpital Saint Antoine de Paris en 2010. D’où l’intérêt de permettre un test anonyme, disponible tout le temps, partout, à tous avec un résultat immédiat.

En termes de santé publique, le principal inconvénient de cet outil est qu’il faut attendre trois mois après la dernière prise de risque pour que son résultat soit aussi fiable qu’un test ELISA (fiable dès six semaines). Il est donc moins à même de repérer les primo-infections (durant lesquelles le virus est le plus contaminant). Il n’est donc pas souhaitable qu’il se substitue au dépistage classique. L’enjeu est plus d’en faire une alternative pour ceux qui rejettent les méthodes traditionnelles.

Lancé en pharmacie le 15 septembre 2015, le produit semble avoir trouvé son public. « 107 800 autotests ont été vendus en un an, à 90-95 % en officines de villes (3) et de 5 à 10 % en ligne. », nous indiquait récemment Fabien Larue, directeur de AAZ, le laboratoire qui fournit le premier autotest sur le marché en France.

Selon les premières enquêtes, une part importante des utilisateurs ne s’étaient jamais fait dépister. L’étude Illicopharma, montre en effet que c’était le cas de 40 % des acheteurs en ligne. Mieux : parmi ces derniers, 55 % déclaraient qu’ils ne se seraient pas rendus dans un centre de dépistage sans l’autotest. Selon la première enquête de la SFLS menée cette fois auprès de pharmaciens distribuant des autotests, 66,7 % d’entre eux déclaraient que la majorité des acheteurs n’avaient jamais été dépistée. De nouveau, la cible principale serait donc bien atteinte !

Néanmoins, deux grands freins subsistent pour leur plus large diffusion : son prix jugé trop élevé et sa quasi invisibilité dans les pharmacies. Vendu en moyenne à 27-28 € en officine (4) et à partir de 19 € sur internet (hors frais de livraison), « il peut se révéler cher pour toute une partie de la population, les personnes précaires, les jeunes, les migrants, souligne Tim Greacen, directeur du laboratoire de recherche de l’Établissement public de santé Maison Blanche. Il faudrait qu’il puisse être remboursé par la sécurité sociale au moins pour les personnes les plus à risque. En maintenant ces prix élevés, on risque de toucher essentiellement des gens qui s’occupent déjà bien de leur santé, et qui sont donc moins à risque, comme cela a été le cas aux États-Unis avec le Home Test(5) », note-t-il.

Les ventes en pharmacie

En maintenant ces prix élevés, on risque de toucher essentiellement des gens qui s’occupent déjà bien de leur santé, et qui sont donc moins à risque.

Pour contrer ce phénomène, plusieurs mesures ont été prises. La TVA initialement fixée à 20 % tombera en 2017 à 5,5 %, ce qui, si la baisse est réellement répercutée pour le consommateur final (6), devrait se traduire par une réduction de 3 à 4 € par kit. La demande s’intensifiant (7), la société AAZ pense en outre pouvoir maintenant augmenter la production. « Si on arrive à baisser le coût de production, on répercutera une partie de l’économie ainsi réalisée sur le prix de vente global. On espère pouvoir faire une annonce en ce sens au plus tard dans quelques mois », nous assure ainsi Fabien Larue.

L’arrivée de concurrents devrait enfin logiquement conduire à une baisse des prix, même si celle-ci n’est pas encore au rendez-vous. Le deuxième autotest qui vient d’être autorisé en France le 8 novembre 2016, l’INSTI HIV Self Test, distribué par le laboratoire canadien BioLytical étant actuellement proposé à 27,95 € (prix conseillé)

Deuxième handicap du produit : l’obligation pour le client de le demander au pharmacien. « Aujourd’hui, les autotests doivent rester derrière le comptoir : c’est le dernier frein à lever absolument ! selon Fabien Larue. On espère que la réglementation évoluera, car aujourd’hui il reste invisible du client. » Des pharmaciens prennent pourtant déjà l’initiative de défier ce règlement, comme nous le confirmeJean Félix Albrecht, pharmacien assistant qui a fait sa thèse sur la mise en place des autotests de dépistage du VIH en officine : « Beaucoup de pharmacies que nous avons interrogées nous ont précisé en commentaire qu’elles s’étaient permis de les proposer en accès libre, souvent dans le rayon préservatif. Je pense que c’est une très bonne chose, déclare-t-il,avant d’ajouter : j’ai vu des gens qui voulaient un condensé d’information dans un temps très court, voire aucune information afin que leur achat soit le plus rapide et le plus anonyme possible. D’autres avaient au contraire beaucoup de questions. »

Les autotests VIH bientôt distribués gratuitement aux plus exposé.e.s
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Pour atteindre les publics les plus précaires, les plus exposés aux risques comme ceux qui refusent les autres formes de dépistage, des associations devraient dès janvier 2017 pouvoir en distribuer 15 000 gratuitement. « Nous le proposerons probablement à des gens qui viennent régulièrement se faire dépister par TROD car elles sont dans des prises de risques continues, et ne veulent pas recevoir à chaque fois un entretien de counseling, nous confieGrégory Braz, chargé de mission auprès des populations vulnérables chez Aides. On espère aussi viser ceux pour qui le prix peut être un frein à l’utilisation de l’autotest, comme les migrants. Pour toucher les publics qui ne souhaitent pas parler de leur sexualité (car ils cachent leur homosexualité à leur entourage ou ont un vie extra-conjugale), on pense proposer des envois postaux suite à un entretien téléphonique ou une discussion en ligne (via tchat, skype…) à partir de sites de rencontres. »

La grande question qui reste encore en suspens est le nombre de personnes qui ont été dépistés positifs grâce à l’autotest. Très optimiste, le Conseil National du Sida avait estimé en 2013 que son introduction en France pourrait permettre de découvrir 4 000 nouveaux cas. Étant donné la diffusion actuelle, tabler sur 204 à 830 découvertes du VIH par ce biais pour la première année semble plus réaliste, ce chiffre correspondant aux pourcentages de découvertes de la maladie en France via les méthodes actuelles. En tout état de cause il faudra vraisemblablement attendre décembre 2017 pour avoir une première idée, les autotests ayant été ajoutés à la déclaration obligatoire courant 2016.

La distribution par les associations

Désigné comme premier interlocuteur des usagers qui le souhaitent, Sida Info Service répond 24h sur 24 et 7 jours sur 7 aux questions des utilisateurs de manière confidentielle, anonyme et gratuite.

Trois mois et demi après l’arrivée sur le marché français de l’autotest, l’association avait reçu 1 235 appels et chats relatifs aux autotests VIH.

« En cas de résultat positif, nous les orientons prioritairement vers les hôpitaux qui nous ont signalé pouvoir les recevoir très vite, nous indique Radia Djebbar,coordinatrice scientifique de Sida Info service, avant de reconnaître que très peu de personnes les ont pour le moment appelé pour cela.

Beaucoup ne connaissent pas encore le produit. Son existence est donc souvent évoquée par l’écoutant lorsqu’il récapitule les différentes formes de dépistages disponibles.

« Les huit premiers mois, nous n’avons recensé que 600 appels provenant de personnes qui venaient d’acheter un autotest. En extrapolant, cela doit faire environ 900 sur une année, même si on a fort bien pu en recevoir davantage que nous n’avons pas eu le temps de noter », nous confie Christophe, écoutant référent à Sida info service. « Seuls 56 personnes ont demandé à être accompagnés pendant leur test. Nous nous attendions à plus », reconnaît-il.

Quant aux appels suite à un résultat positif, il nous confirme qu’ils sont rares. « Nous en avons référencé une dizaine au total. Je pense que nous en avons reçu davantage, peut-être 40 ou 50, mais sans doute pas plus, estime-t-il. Personnellement, j’en ai reçu deux. La première avait fait un test en laboratoire comme elle le fait habituellement mais quand elle s’est présentée pour le chercher, on lui a dit que les résultats avaient été transmis directement à son médecin traitant. Comme elle ne pouvait le voir que le lendemain et qu’elle voulait être fixée tout de suite craignant un résultat positif, elle a acheté un autotest qui s’est effectivement révélé positif. »

Contrairement à ce qui a longtemps été craint pas les autorités, la première réaction des personnes qui découvrent leur séropositivité ainsi est une forme de sidération : « Nous avons remarqué avec mes collègues que les gens qui appellent dans l’immédiat sont encore un peu sous le choc. Aucun ne m’a parlé de personne qui pleurait au téléphone. Ils ne réalisent pas encore complètement. Ils veulent surtout savoir ce qu’ils doivent faire ensuite. »

L’écoute par Sida info service

Gilles Pialoux, chef de service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Tenon a fait le même constat. Il n’a comptabilisé que deux cas dans son hôpital parisien du 20e arrondissement, dontle deuxième est arrivé avec son autotest à la main. « Dans les deux cas, ils avaient fait l’autotest car ils étaient dans un contexte de prise de risque et avaient un doute sur la sérologie de leur partenaire. Ils avaient tous les deux étaient infectés récemment et ont étés très rapidement mis sous traitement », résume-t-il.

Conscient de la nécessité d’accueillir ces personnes rapidement, il a très vitecommuniqué un numéro de téléphone dédié à Sida info service. « Une secrétaire spécialement formée à la question peut ainsi leur donner un rendez-vous à très court terme. Nous avons pour ce faire une consultation d’urgence qui est assurée tous les matins par un senior. Le test de confirmation est alors fait dans la demi-journée, l’idéal étant de commencer le traitement le plus vite possible », précise-t-il.

Longtemps invoqué pour s’opposer à l’autorisation des autotests sur le marché français, les risques de réaction suicidaire de l’usager (8) à la découverte d’un résultat positif ou le danger de coercition semblent plus faible que prévu, aucun cas n’ayant semble-t-il été rapporté. Le produit a par contre prouvé qu’il correspondait à une vraie attente d’une partie réduite, mais bien réelle, de la population.

L’entrée en traitement

1. Selon une modélisation mathématique réalisée par Virginie Supervie de l’unité « Épidémiologie, stratégies thérapeutiques et virologie clinique dans l’infection à VIH » U943 de l’Inserm et Université Pierre et Marie Curie, dirigée par le Dr Dominique Costagliola. « Délai entre infection et diagnostic et épidémie cachée du VIH en France ». Séminaire ANRS, Paris 25-26 avril 2013.

2. 12 000 sur les 22 000 que compte la France.

3. Des tarifs entre 23 et 39,90 € ont été observés. Des prix qui restent inférieurs aux prix pratiqués aux États-Unis et en Grande-Bretagne, les deux premiers pays où il a été officiellement autorisé. Il est vendu sur internet 40 $ aux États-Unis (soit 38,34 €) et 30 £ (soit 35,60 €) en Grande Bretagne (livraison gratuite dans ces pays). Une étude en Espagne estimait son prix acceptable par la population autour de 20 €.

4. Le « Home-test » est un dispositif de dépistage intermédiaire entre l’autotest et le test en laboratoire qui n’existe pas en France. Institué aux États-Unis dès 1996, il permet aux gens d’acheter le test dans une pharmacie, de le faire chez eux, puis d’envoyer leur test quelque part pour qu’ils soient analysés. Ils doivent ensuite téléphoner au numéro qui leur a été indiqué pour recevoir le résultat par téléphone.

5. Depuis son démarrage en France et en Angleterre, la société AAZ a démarré les ventes en pharmacies en Belgique (10 000 diffusés dans la moitié des pharmacies du pays dès les 10 premiers jours), en Italie (25 000 distribués pour le lancement) et en Estonie. Dès 2017 de nouveaux pays devraient s’y joindre. L’entreprise française a récemment créée une plateforme en ligne afin de vendre (uniquement en ligne cette fois) son autotest dans sept pays européens (Allemagne, Autriche, Portugal, République tchèque, Pologne, Hollande et Irlande)

6. Ceci n’est pas garanti si on se réfère au précédent de la baisse de la TVA sur les tampons et protections féminines, dont les consommatrices n’ont pas bénéficiée, les distributeurs ayant profité de cette baisse pour augmenter leurs marges.

7. L’étude Webstest montrait déjà que les personnes déprimées, qui étaient les plus susceptibles d’avoir des idées suicidaires ne s’occupant pas (ou peu) de leur santé, n’auraient absolument pas l’idée de faire un autotest.

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