Reportage le temps d’une soirée particulière dans les cuisines de Basiliade, à l’occasion de la 8e édition des Chefs solidaires de Sidaction.
La porte à peine poussée, les bonnes odeurs envahissent la pièce. C’est jour de fête chez Basiliade. L’association, qui accueille au quotidien des PVVIH en situation de précarité, reçoit aujourd’hui quatre invités bien particuliers. « Toute l’année, 5 jours sur 7, nous organisons des dîners gratuits pour les familiers (1), explique Didier Arthaud, fondateur de Basiliade. Mais ce soir, nous avons l’honneur d’accueillir quatre grandes figures des métiers de bouche pour cuisiner avec nous. »
Ce mardi 4 octobre, dans le cadre de l’opération Chefs Solidaires de Sidaction, Marie Sauce (présidente des Toques françaises), Gilles Angoulvent (ancien chef triplement étoilé), Carlos Marsal (chef de cuisine de la Préfecture de police de Paris) et Vincent Piette (membre des Toques françaises) sont venus préparer le dîner dans des conditions bien éloignées de celles des grands restaurants. « Il n’y a même pas de balance », s’amuse Carlos Marsal. Peu importe. Cela ne l’empêchera pas de se lancer dans la confection de beignets aux pommes bien dorés.
Alors que les quatre chefs s’affairent à tailler les légumes sur l’unique table plantée au milieu de la petite cuisine, Hervé et Bernard, deux familiers, enfilent un tablier et des gants. Ce n’est pas tous les jours qu’ils peuvent cuisiner avec des professionnels, alors autant en profiter.
Pendant que les petits plats mijotent, d’autres familiers arrivent. « Lui, c’est Jean-Claude (2) », chuchote Brigitte, bénévole chez Basiliade depuis son ouverture en 1993. « D’habitude il vient mais ne dîne pas car il trouve que ce n’est pas bon. Mais il est pas fou ! Ce soir, il a réservé sa place autour de la table. »
« Comme dans une vraie famille »
« Chacun doit mettre la main à la pâte ! »
Et Jean-Claude n’est pas le seul à jouer les difficiles. « D’autres familiers viennent mais emportent leur repas car ils vivent en décalé et dînent autour de 2 heures du matin, raconte Brigitte. Ici les règles sont strictes : le dîner est servi de 19 à 22 heures, pas une minute de plus. Et chacun doit mettre la main à la pâte ! » explique la bénévole, une feuille et un stylo à la main. Comme tous les soirs, elle va faire le tour des familiers présents pour savoir qui souhaite aider en cuisine, faire la vaisselle ou débarrasser. « Au moment de la répartition des tâches, beaucoup adoptent un comportement enfantin, confie Didier Arthaud. Entre ceux qui ne veulent rien faire et ceux qui râlent parce que c’est toujours les mêmes qui font tout, ça gueule pas mal ! Comme dans une vraie famille ! Il y a aussi ceux qui ne sont jamais contents du menu et qui aimeraient manger des patates tous les soirs. Notre but est bien évidemment de réunir les gens pour qu’ils se sentent moins seuls, mais aussi de les rééduquer pour qu’ils apprennent à mieux se nourrir », explique le fondateur de Basiliade.
Régulièrement, l’association organise des ateliers avec des nutritionnistes. « Le dernier atelier était sur les intestins, car les personnes atteintes du VIH sont très sensibles au niveau de la flore intestinale », confie Didier Arthaud. « Le nutritionniste leur a expliqué pourquoi il était important de manger des fibres et depuis, les familiers râlent moins quand on leur sert des brocolis », ajoute-t-il en souriant.
Une nouvelle qui rassure les chefs aux fourneaux, qui ont prévu un velouté de potimarron et du poulet mariné au curry servi avec des petits légumes. « Pour des personnes comme nous, qui n’avons pas les moyens d’aller au restaurant, cette soirée a une dimension féérique », assure Cyril, des étoiles plein les yeux. Cela fait cinq ans que ce jeune homme à l’allure élancée vient chez Basiliade. « Au début je venais dîner presque tous les soirs et puis au fil du temps, j’ai retrouvé une situation plus stable grâce à l’association », raconte le familier. Outre ces dîners partagés en « famille », Basiliade propose en effet un accompagnement aux soins et aide ces personnes à retrouver un travail et un logement. « Mais c’est un endroit attachant où l’on sent de bonnes ondes, alors j’essaye de revenir autant que je peux. »
Une soirée « féérique »
« J’ai retrouvé une situation plus stable grâce à l’association »
Cyril explique d’ailleurs que l’association fonctionne selon le principe de démocratie. « J’ai suggéré il y a quelques temps la mise en place du recyclage pour qu’on trie nos déchets après les repas, et ça a été accepté. D’autres ont émis l’idée de servir des repas végétariens et la proposition est à l’étude. On se sent vraiment écouté. »
Il est désormais 20h passé et les choses s’agitent en cuisine. On épluche, on rigole mais surtout, on partage. « L’essence même de mon métier, c’est la transmission », assure Vincent Piette, qui prodigue de précieux conseils à Bernard. Ce dernier semble d’ailleurs fasciné par les filets de poulet qui mijotent depuis de nombreuses minutes dans un mélange de curry, d’oignons et de sauce soja. Si le familier n’est pas bavard, son regard en dit long sur l’impatience qu’il éprouve à l’idée de se mettre à table. Mais le dîner est encore loin d’être servi. Derrière lui, Hervé fait d’ailleurs tout ce qu’il peut pour aider les chefs à accélérer le mouvement. « J’ai monté les blancs en neige et coupé les oignons », confie-t-il fièrement, alors qu’il détaille le beurre en petits dés. « Je suis content qu’il y ait du poulet au curry au menu, j’adore les épices ! »
A la bonne franquette
« L’essence même de mon métier, c’est la transmission »
Un enthousiasme qui ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd puisque Gilles Angoulvent s’empresse de lui tendre une cuillère pour qu’il puisse goûter la sauce du plat principal. « Je relèverais un peu plus », ose Hervé, un peu timide. Idem pour la soupe, qui manque un peu de persil, d’ail et de sel. Qu’à cela ne tienne, le chef rectifie les assaisonnements. « Moi je suis là pour leur faire plaisir, c’est à la bonne franquette ! Tout ce que je souhaite c’est que tout le monde passe un bon moment. »
20h30, le couvert est mis. Ce soir, comme presque tous les soirs, la tablée sera exclusivement masculine. « Les femmes qui viennent nous voir en journée ont souvent des enfants et ne ressortent pas le soir, explique le fondateur de Basiliade. Et il faut bien avouer que beaucoup de conversations sont situées en-dessous de la ceinture alors les femmes désertent », s’amuse-t-il. C’est pourtant une femme, Marie Sauce, qui donnera le coup d’envoi de ce dîner tant attendu des familiers, habitués à manger plus tôt. « Notre métier est un métier d’amour et de partage, alors nous espérons vous régaler ce soir. Bon appétit ! »
Jeudi 6 octobre, l’école Ferrandi a également tenu à apporter sa pierre à l’édifice en organisant un dîner d’exception pour 60 personnes dans le cadre de l’opération Chefs Solidaires. Toute la journée, des élèves de 3e année se sont affairés en cuisine pour préparer un repas digne d’un grand restaurant. « L’école a déjà participé à de nombreux repas caritatifs pour le Téléthon. Il nous semblait normal de répondre également présents pour les Chefs Solidaires », assure Laurent Desvard, responsable du Bachelor de l’école Ferrandi. Les bénéfices de ce menu, vendu 230 euros par personne, ont été intégralement reversés à Sidaction.
- Familier : nom donné aux personnes suivies par Basiliade.
- Tous les prénoms des familiers ont été changés.