A l’occasion de la présentation du programme Grandir* à AIDS 2016, interview du Dr David Masson, pédiatre référent qui travaille depuis 10 ans à l’amélioration de la prise en charge pédiatrique VIH dans 11 pays d’Afrique centrale et de l’Ouest.
Quelle est la situation de l’épidémie de VIH chez les enfants en Afrique centrale et de l’Ouest ?
Actuellement, on y compte 66 000 nouvelles infections par an chez les enfants de moins de 15 ans. La situation progresse, puisque le nombre de nouvelles infections et de décès liés au VIH/sida a diminué ces dix dernières années de 30-40 %. Mais elle évolue très lentement, en particulier par rapport à l’Afrique australe et de l’Est où ces nombres ont été divisés au moins par trois sur la même période. Actuellement, les indicateurs sont similaires dans ces deux zones, mais ils sont en train de s’inverser : l’Afrique centrale et de l’Ouest va devenir la région du monde avec le plus grand nombre de nouvelles infections pédiatriques. Les principaux blocages sont la lente évolution du programme de prévention de la transmission mère-enfant et le manque d’accès au dépistage. Moins de 20 % des nourrissons ont accès à la PCR (test virologique de dépistage utilisé chez les nourrissons) dans les 8 semaines après leur naissance et parmi ceux qui sont dépistés séropositifs, la moitié seulement est efficacement référée vers les soins, et l’autre moitié meurt ou disparait avant même la mise sous traitement. Nous sommes donc face à un important retard au diagnostic doublé d’une prise en charge pédiatrique dont la qualité est très médiocre sur le long cours.
En quoi consiste donc le programme Grandir qui intervient dans cette région du monde ?
Le programme Grandir travaille sur l’amélioration de la prise en charge des enfants à travers 18 associations partenaires, dans 11 pays – Burkina, Mali, Côte d’Ivoire, Togo, Bénin, Cameroun, Congo, RDC, Burundi, Tchad et Djibouti. En dix ans, nous avons réussi à développer un ensemble cohérent d’interventions permettant de prendre en charge les enfants et de les mener à l’adolescence et à l’âge adulte. Nous avons deux types d’offre de soins : 13 des associations partenaires proposent une prise en charge complète des enfants infectés par le VIH (médicale, nutritionnelle et psychologique et sociale) et les cinq autres travaillent en coopération avec les hôpitaux publics pour offrir les services que ces derniers ne proposent pas, soit une prise en charge psychologique et sociale. Au total, 6000 enfants vivant avec le VIH sont pris en charge par Grandir.
Votre équipe a beaucoup travaillé autour de l’annonce du statut à l’enfant. Pourquoi ?
L’annonce du diagnostic reste une des difficultés majeures dans la prise en charge de l’enfant infecté par le VIH. A la différence des adultes, les enfants commencent à prendre un traitement sans savoir pourquoi, et un jour, il faut leur expliquer. Personne n’est vraiment à l’aise et très peu de professionnels ont été formés à cette démarche. La plupart des équipes soignantes demandent aux parents de le faire mais cela réveille en eux des traumatismes et la culpabilité d’avoir transmis le virus… Ce sont en fait les personnes les moins bien placées pour le faire. Très rapidement au début du programme, les équipes sur le terrain nous ont alerté sur leurs difficultés et leurs questionnements : ils ne savaient pas quoi dire, ni comment, ni quand. Depuis 2009, avec Fabienne Héjoaka, anthropologue française, et deux psychologues, Jean Marie Alley (Togo) et Julien Makaya (Congo), nous travaillons donc sur cette thématique formons des psychologues et des médecins à la mise en place d’un processus d’annonce un peu standardisé au sein de leurs programmes. Il y a trois acteurs à prendre en compte dans l’annonce : les soignants, les parents, qu’il va falloir convaincre et préparer, et l’enfant. Cette annonce est divisée en trois phases : la préparation, l’annonce, et le plus important peut-être, le suivi post-annonce. Celui-ci va lui-même comporter trois phases d’accompagnement : les réactions de l’enfant à court terme, à moyen terme et à long terme. Parmi les enfants de plus de 11 ans pris en charge par le programme, 79 % ont été informés de leur statut.
Comment ces enfants perçoivent-ils l’infection à VIH ?
En Afrique, on parle du VIH à l’école, à la télévision… Ils ont énormément d’informations. Dès 6-7 ans, les enfants connaissent le VIH, mais essentiellement sous ses aspects négatifs : c’est une maladie qui tue, qui provoque la maigreur, la fatigue, la diarrhée. Ils ont même conscience que c‘est une pathologie stigmatisante, même s’ils ne le disent pas comme ça. A partir du moment où ils sont régulièrement suivis dans un centre de prise en charge, il est donc capital de pas attendre trop longtemps pour les informer de leur statut car ils risquent de suspecter l’infection à VIH et de rester seuls face à des images de maladie et de mort qui les font souffrir. C’est pourquoi dans le processus d’annonce que nous avons mis en place, nous travaillons beaucoup sur les représentations pour donner une image plus positive de l’infection à VIH, celle d’une maladie pour laquelle il existe des traitements et qui n’empêche pas de grandir ni de se marier. On passe par une première phase dans laquelle on ne nomme pas le virus, mais où l’on explique à l’enfant qu’un microbe est dans son sang et qu’il doit prendre des médicaments pour l’endormir et ne pas avoir de problèmes de santé. Nous avons ensuite compris que la tranche d’âge adéquate pour nommer le VIH était entre 9 et 12 ans. A cet âge-là, l’enfant fait encore confiance aux adultes et est capable sur le plan cognitif de comprendre le fonctionnement basique du VIH et du traitement. Attendre l’adolescence, c’est prendre le risque que cela se passe mal puisque c’est une période de turbulence.
Quels sont les enjeux pour le programme Grandir ?
Quand on compare cette prise en charge pédiatrique cohérente, articulée et pluridisciplinaire à celle des hôpitaux publics, on voit bien qu’il existe deux standards. Nous aimerions pouvoir transmettre l’expertise que les associations ont acquise en dix ans de travail au niveau des programmes nationaux. La première étape va consister à valider scientifiquement les résultats du programme en termes de survie, de bien-être, d’évolution nutritionnelle, puis de capitaliser ces protocoles pour pouvoir les proposer aux référents nationaux de la prise en charge pédiatrique ; et essayer d’améliorer l’ensemble de la prise en charge des enfants qui vivent avec le VIH dans les pays d’intervention.
*Le programme Grandir est financé et mis en oeuvre par Sidaction et Initiative Développement (avec un co-financement complémentaire de l’AFD et de la mairie de Paris).