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Au regard de la carte européenne des droits des personnes LGBTQ+, la France est en recul par rapport à d’autres pays, notamment en ce qui concerne la transidentité. Il faut s’inquiéter de la recrudescence des discours et des violences LGBTphobes.
Le mois des fiertés LGBTQ+, qui se déroule du 1er au 30 juin, s’est ouvert au lendemain de l’adoption au Sénat, par 180 voix contre 136, d’une proposition de loi des Républicains relative à la transidentité des mineurs. Le texte propose d’interdire aux mineurs « les traitements hormonaux et des actes chirurgicaux de réassignation de genre ». Et vise à encadrer « la prescription des bloqueurs de puberté […] dans le respect d’un délai minimal de deux ans après la première consultation et la vérification par l’équipe médicale de l’absence de contre-indication comme de la capacité de discernement du patient ».
Pour Julia Torlet, porte-parole de l’association SOS homophobie, contrer cette loi – qui n’a pas le soutien du gouvernement – est une des priorités pour les droits des personnes LGBTQ+ : « Il ne s’agit pas d’obtenir plus de droits, mais de protéger les droits existants que cette proposition de loi menace. En l’occurrence, l’important est donc de ne pas faire reculer les droits. »
La France en retard sur l’autodétermination du genre
Le 12 mars 2024, plusieurs associations, dont Stop Homophobie, saisissaient le Conseil d’État afin d’annuler les circulaires de 2017 relatives au changement de prénom et de la mention du sexe à l’état civil. « Nous demandons l’autodétermination du genre. L’État n’a pas à être le tenancier des identités et des expressions de genre. Il n’a pas à déterminer le destin social des individus sur des bases biologiques. Il n’a pas à être le juge de ce que doit être une femme ou un homme. Il n’a pas à délégitimer les identités de genre ne s’inscrivant pas dans le cadre femme/homme, argumentait Nathan Kuentz, juriste de Stop Homophobie. D’autres pays ont pleinement adopté le modèle autodéclaratif dans ce domaine sans que le ciel s’effondre. Il est l’heure pour la France de faire partie de cette avant-garde de pays ouvrant la voie sur ce sujet. »
Au Sénat toujours, une proposition de loi, portée par l’écologiste Mélanie Vogel, veut remplacer le dispositif actuel – passer devant un juge après une procédure parfois longue et coûteuse – par une simple déclaration, gratuite, auprès d’un officier de l’état civil. Il ne s’agit donc pas d’introduire le genre neutre dans l’état civil – comme l’ont fait l’Allemagne, les Pays-Bas et Malte – ni de faire disparaître toute notion de genre dans l’état civil ; ce qui serait « un aboutissement, un idéal pour les personnes LGBT+, estime Julia Torlet, mais je pense que c’est voir très loin ».
GPA et PMA
« Il est également temps de mettre sur la table la question de la GPA [gestation pour autrui, ndlr] éthique, poursuit Julia Torlet. Actuellement, rien n’existe pour que les deux parents puissent être légalement reconnus après une GPA. Il n’est pas normal qu’il faille partir au bout du monde pour y avoir accès. » Les militants et les associations plaident pour la mise en place d’une GPA éthique, qui signifierait que ni la mère porteuse ni les éventuelles intermédiaires ne recevraient d’argent. Elle est interdite en France et dans d’autres pays européens, mais autorisée au Danemark, aux Pays-Bas, en Grèce, au Canada et dans certains états américains. En 2023, le comité consultatif de bioéthique de Belgique a recommandé de légaliser la GPA.
Par ailleurs, si l’accès à la PMA pour les femmes seules et les couples de femmes est autorisé depuis 2021, quid des hommes trans disposant d’un utérus ? Le Groupe d’information et d’action sur les questions procréatives et sexuelles (GIAPS) avait saisi le Conseil constitutionnel, estimant qu’exclure les hommes était contraire aux principes d’égalité. Dans une décision rendue en juillet 2022, les Sages ont donné raison aux législateurs : « [Celui-ci] a estimé, dans l’exercice de sa compétence, que la différence de situation entre les hommes et les femmes, au regard des règles de l’état civil, pouvait justifier une différence de traitement, en rapport avec l’objet de la loi, quant aux conditions d’accès à l’assistance médicale à la procréation. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, d’une telle différence de situation. »
« Se pose aussi la question de la conservation des gamètes et de la liberté d’accès à ses propres gamètes pour les hommes trans, ajoute Julia Torlet. Ils peuvent les faire congeler, mais pas toujours les récupérer : un homme trans qui voudrait avoir accès à une GPA n’en a pas le droit. »
Des discours et violences LGBTphobes qui progressent
Le Rainbow Map, publié chaque année par ILGA-Europe, ONG européenne pour les droits LGBT+, établit un score pour chaque pays européen selon plusieurs critères répartis en sept catégories : égalité et non-discrimination, famille, lutte contre les discours et crimes de haine, reconnaissance juridique du genre, intégrité corporelle des personnes intersexes, place accordée dans la société civile et droit d’asile.
En 2024, la France perd trois places et se retrouve en 13e position, contre la 10e place en 2023. Et son score a reculé d’un point (passant de 63,31 à 62,31). En cause, les crimes et les discours LGBTphobes toujours très présents. « Le climat est de plus en plus hostile aux personnes LGBT et plus particulièrement envers les personnes trans, regrette la porte-parole de SOS homophobie. On observe une fracture entre une partie de la population qui vit dans la suite du mariage pour tous et qui a intégré la question de l’égalité LGBT, et une autre partie de la population qui s’arcboute sur des positions réactionnaires et conservatrices, nourries par des discours très médiatisés, des paroles de haine, qui infusent dans la société. » Ainsi, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, les crimes et les délits anti-LGBT+, les infractions les plus graves, ont augmenté de 19 % en 2023, soit une hausse encore plus élevée que celle déjà observée en 2022 (+13 %).
Selon une étude de Santé publique France publiée en 2021, « les lesbiennes, les gays et les bisexuel·les sont deux à trois fois plus souvent exposé·e·s à des violences psychologiques, verbales, physiques ou sexuelles que les personnes hétérosexuelles ; le phénomène est encore plus fréquent pour les personnes trans ». École, travail, recherche d’un logement, milieu médical…, les traitements inégalitaires se manifestent dans tous les domaines. Par exemple, selon plusieurs études, par crainte de discrimination, les lesbiennes consulteraient moins leur gynécologue que le reste des femmes ; une situation qui nuit à leur santé sexuelle.
« Des indicateurs de santé mentale et sexuelle dégradés »
Autre phénomène inquiétant, les guets-apens homophobes qui se multiplient partout en France ces dernières années. Une enquête de Mediapart, en 2023, a dénombré près de 300 victimes tombées dans un piège homophobe en cinq ans. Un chiffre auquel s’ajoutent toutes les autres victimes passées sous les radars. « La question des violences et notamment celles des guets-apens est une urgence, notamment pour les hommes gays et bisexuels qui en sont les premières victimes », souligne Julia Torlet.
Idées suicidaires, dépression… « Les discriminations et les violences subies ont des répercussions délétères et durables sur la santé des personnes, affirme Santé publique France. Elles se traduisent par des indicateurs de santé mentale et de santé sexuelle dégradés, et des phénomènes de renoncements aux soins. »
L’Agence sanitaire estime que « les politiques publiques visant à réduire structurellement les discriminations et les violences à l’encontre des LGBT ont un impact significatif sur la santé mentale et le bien-être de ces populations ».
Pourtant, les associations dénoncent des politiques publiques qui ne sont pas à la hauteur de l’enjeu. « Si l’on fait le bilan, aucune annonce en matière de lutte contre les violences anti-LGBTI ou pour les droits des personnes LGBTI n’a été faite, ni lors du discours de politique générale de Gabriel Attal ni par la ministre chargée de la Lutte contre les discriminations, Aurore Bergé, qui n’a jamais, depuis sa nomination, et à l’heure où nous rédigeons ces lignes, pris la parole pour condamner une agression homophobe ou transphobe ainsi que pour s’exprimer sur les sujets d’égalité LGBTI », lit-on en ouverture du rapport 2024 sur les LGBTphobies de SOS homophobie.