Dépistage : le paradigme britannique
Le journal du sida
Le Journal du sida a abordé la course médicale contre le VIH, les problématiques rencontrées par les personnes vivant avec le VIH, leurs proches, soignants et accompagnants au fil de presque trente ans d’épidémie. Depuis 2018, ses archives – 227 numéros publiés de 1988 à 2013 – sont disponibles en ligne, sous format PDF, pour un usage gratuit et non commercial, sur journaldusida.org. En outre, le site propose sept dossiers thématiques composés d’une sélection d’articles qui retracent l’histoire de la lutte contre le sida, telle que l’ont abordée au fil des ans les auteurs du Journal du sida (journalistes, médecins, chercheurs, psychologues, sociologues, etc.), ainsi qu’une infographie retraçant les dates clés de l’épidémie.
Dépistage : le paradigme britannique
La conception et la pratique du dépistage témoignent d’une logique de santé publique différente en France et en Grande-Bretagne. Dans le modèle britannique, le dépistage s’inscrit de manière consensuelle comme une étape de la prise en charge globale, qui va de l’éducation-prévention à l’accès aux soins. Le counseling, visant à aider la personne quel que soit le résultat du test, occupe donc une place primordiale.
L’introduction du test de dépistage des anticorps anti-VIH en Grande-Bretagne présente avec la France de fortes similitudes chronologiques et légales qui inclineraient à accorder un poids déterminant aux contraintes de l’épidémie et aux possibilités de la technique biomédicale. Mais, quand on analyse l’élaboration et la mise en œuvre de la politique publique de dépistage dans ce pays, force est de constater que la ressemblance reste réduite aux apparences. Les différences l’emportent largement, ce qui pose la question des fondements sur lesquels reposent les choix effectués dans les deux pays.
La force d’uniformisation d’une maladie qui ignore les frontières apparaît donc insuffisante pour entraîner des réponses identiques partout. Les réponses sont, elles, socialement organisées en fonction de mécanismes spécifiques et de conditions particulières à chaque contexte national. Il s’agit donc, à partir des pratiques observées, de retrouver la logique des choix retenus dans ce pays voisin. Celles-ci apparaissent comme le résultat de conceptions et de conditions organisationnelles nationales, en liaison avec des objectifs visés. Le dépistage, en cherchant à répondre aux principales questions posées par ce phénomène social, médical et politique, correspond donc à une politique publique spécifique en relation avec celle de lutte contre la propagation de l’épidémie. Il est important de rappeler ces questions qui découlent de l’impossibilité de raisonner par analogie avec une maladie ordinaire (curable, non transmissible, non stigmatisante) : à quoi sert le test ? À qui s’adresse-t-il ? Comment le pratiquer, c’est-à-dire selon quelles modalités ? Ces questions représentent de vrais enjeux, tandis que les réponses qui leur sont données constituent le corps de la politique de dépistage et servent de révélateur à la conception qui la structure.
Le test de dépistage des anticorps anti-VIH a été introduit dans tout le Royaume-Uni le 1er octobre 1985, simultanément dans les dons du sang, où il est systématiquement pratiqué, et dans l’ensemble du système de santé curatif, c’est-à-dire chez les General Practitioners (GPs), dans les Sexual Transmitted Diseases (STDs) Clinics, les services de Genito-Urinary Medicine (GUM) et les hôpitaux. Cette simultanéité traduit la conscience aiguë des effets pervers d’une introduction du test dans la seule transfusion sanguine, où l’afflux de personnes à risque soucieuses de connaître leur statut sérologique représente un danger réel de contamination. Le choix des modalités s’inscrit, quant à lui, dans la continuité des conceptions qui organisent les relations entre le système de santé et la population, tout en l’adaptant aux conditions particulières du sida.
Souci de l’usager et pouvoir local
Le contexte national est donc important à préciser, dans la mesure où il implique un ensemble de contraintes et de ressources qui influent sur la mise en place d’une politique publique. Plusieurs caractéristiques du contexte britannique méritent une attention particulière, mais nous en retiendrons essentiellement trois : l’organisation du National Health Service [NHS], qui se présente comme un service public financé et administré par l’État, mais géré au niveau des régions (elles disposent d’un budget global qu’elles redistribuent au niveau local, le district) ; l’intérêt accordé aux maladies infectieuses, et spécialement aux maladies sexuellement transmissibles [1], avec une infrastructure spécifique (les STDs Clinics et les GUM) ; la place de plus en plus importante accordée au patient-client, qui est à la fois représenté institutionnellement au niveau local et considéré comme acteur du changement. Le modèle britannique qui se dégage de ces trois caractéristiques illustre une conception de la santé comme bien individuel et public, géré par l’ensemble des partenaires avec des ressources rares et limitées, qu’il s’agit de répartir en fonction de priorités préalablement débattues dans la recherche de la meilleure efficience.
Le modèle britannique illustre une conception de la santé comme bien individuel et public
Au cours des vingt dernières années, les réorganisations successives du NHS sont marquées par deux tendances : d’abord le souci de l’usager que traduit le slogan « patients first » et, ensuite, un renforcement du pouvoir décisionnel local au détriment du pouvoir central. Enfin, cette évolution s’est accompagnée d’une prise de conscience de l’importance du concept de maintenance of health, plus large que celui de prévention, en cherchant à favoriser une approche diversifiée de la santé, de façon à rendre opérationnelle la prise en charge de leur santé par les individus eux-mêmes [2]. C’est dans ce contexte qu’arrive le sida.
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[1] – Le rapport annuel du Chief Medical Officer de 1981 attire l’attention sur l’augmentation inquiétante des MST (plus de 500 000 nouveaux cas cette année-là).
[2] – Depuis 1974, l’organisation du NHS comprend une instance regroupant des représentants des organisations volontaires, des groupes d’intérêts et des usagers, les Community Health Councils.