Comment l’épidémie de VIH a-t-elle évolué depuis le début des années 1980 ? Quelles réponses y ont apportées la science, les pouvoirs publics et les acteurs communautaires ? Comment est-elle perçue, depuis son identification à aujourd’hui ?
www.journaldusida.org met à disposition du public les archives du Journal du sida sous forme de PDF (un pour chaque numéro, du n° 0 au n° 227), et de dossiers thématiques composés d’une sélection des articles parus dans le magazine de 1988 à 2013. Le site comprend également une infographie retraçant les dates clés de l’épidémie de VIH depuis son apparition et publie depuis septembre 2018 des articles d’actualité, à rythme mensuel.
Dans les années 2000, la communauté internationale se mobilise pour lutter contre les inégalités Nord-Sud face au sida. Avec vingt ans de retard. Aujourd’hui, le contexte économique menace leur engagement.
En 1981, lorsque les pays riches auscultent leurs premières victimes du sida, la maladie hante depuis longtemps l’Afrique. Une chercheuse a estimé que l’ancêtre du VIH-1 serait apparu dès 1931, après la transmission du virus par des chimpanzés. Quand l’Occident est soudain pris de panique face au soi-disant « cancer gay », des millions de personnes sont déjà infectées autour de la Zambie et du Zimbabwe. À la fin des années 1990, lorsque les malades d’Europe et d’Amérique du Nord peuvent enfin revivre grâce aux multithérapies, les Africains, privés de traitements, meurent en masse. Les 2,8 millions de morts de 1999 étaient à presque 80 % des Subsahariens, selon l’Onusida. Là aussi, les injustices entre Sud et Nord ont atteint l’insupportable…
Avec les années 2000, la communauté internationale s’est enfin mobilisée pour combler ce fossé. Enrayer la propagation du VIH/sida d’ici à 2015 a été déclaré « l’un des objectifs du millénaire pour le développement ». Et avec le Fonds mondial contre le sida, l’initiative 3 by 5 ou Unitaid, les efforts ont payé. « Dans le monde en développement, on est passé de 0 % de couverture avec les traitements à 45 % en 2011, et la mortalité a reculé de 25 % depuis cinq ans », souligne Michel Kazatchkine, directeur exécutif du Fonds. Avec la crise financière, malheureusement, cette mobilisation se relâche. D’après la fondation Kaiser et l’Onusida, les financements des pays donateurs ont chuté de 10 % en 2010. Mais, plaide Michel Kazatchkine, il est encore temps que le monde assume sa responsabilité.
Droit aux soins
Maintenir l’effort international
« Une responsabilité citoyenne mondiale »
Michel Kazatchkine, directeur exécutif du Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose.
Trente ans de lutte, et pourtant l’épidémie flambe encore dans de nombreux pays pauvres. Quels sont les obstacles persistants, les nouveaux ? Peut-on encore espérer un accès universel aux traitements ?
Je voudrais d’abord rappeler que c’est seulement vingt ans après la reconnaissance de l’épidémie que l’on a assisté au tournant d’une prise de conscience mondiale. Les Nations Unies et les pays donateurs se sont engagés à un effort sans précédent dans l’histoire de la santé publique, donnant naissance au Fonds mondial en 2001-2002 et au programme Pepfar aux États-Unis. Dès lors, la conjonction entre leadership politique, mobilisation sociale, progrès scientifiques et ressources financières a permis de faire des progrès que beaucoup d’entre nous n’anticipions pas. Mon sentiment est que si l’on maintient ces quatre ingrédients du succès, alors oui, d’ici à 2015, on pourrait arriver pratiquement à l’accès universel pour tous les malades en dessous du seuil de 350 CD4. Ceci dit, il y a des obstacles persistants. La plupart des personnes séropositives ne connaissent toujours pas leur statut et n’ont pas accès à un suivi médical anticipateur. Les discriminations sévissent encore et le déni sociétal et politique, comme dans certains pays de l’ex-Union soviétique, empêchent les gens d’accéder à la prévention et aux traitements. Les obstacles nouveaux ? Les contraintes budgétaires extrêmes des pays donateurs dans le contexte économique et financier actuel, et les coupes dans l’aide au développement. Les pays riches comme les pays pauvres ont de plus en plus de difficultés à maintenir leurs investissements dans le secteur social. Le financement du Fonds dans les deux ou trois prochaines années est en question et donc, l’avenir et la vie de très nombreuses personnes.
L’argent manque. Quels outils innovants peut-on explorer pour maintenir la mobilisation financière ?
Investir contre le sida et le paludisme est le plus « coût efficace » dans l’aide au développement en santé. L’impact économique et humain de l’accès aux traitements et à la prévention à large échelle a été démontré. On ne peut donc pas évacuer la question des financements publics sous prétexte de crise financière. Les financements innovants tels que la taxe sur les billets d’avion proposée par Unitaid, le programme « dette contre la santé » du Fonds mondial ou encore la taxe sur les transactions financières sont des outils additionnels, des financements complémentaires de l’aide publique au développement. En Grande-Bretagne, le gouvernement Cameron a décidé d’accroître le budget d’aide au développement alors qu’il s’est engagé dans une politique d’austérité sans précédent. C’est un geste politique extrêmement fort qui renvoie au type de mondialisation que l’on veut atteindre, non pas dictée par la loi des marchés, mais par une démarche proactive pour construire la solidarité. Le monde politique doit rester mobilisé sur cette question. Les grandes économies émergentes comme la Chine, le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud ou le Mexique, même si elles sont encore, pour certaines, récipiendaires du Fonds mondial, doivent prendre leur part de responsabilité et devenir donatrices dans cet effort de solidarité globale.
Propos recueillis par Marjolaine Moreau
La suite de l’interview et le dossier du JDS « 30 ans de VIH, et après ? » à lire sur :
http://www.journaldusida.org/dossiers/lutte-contre-le-vih/figures-de-la-lutte/30-ans-de-vih-et-apres.html