vih Une poussée anti-LGBT+ en Côte d’Ivoire

17.10.24
Hélène Ferrarini
6 min
Visuel Une poussée anti-LGBT+ en Côte d’Ivoire

En août dernier, la Côte d’Ivoire a connu un mouvement anti-LGBT+ inédit, sous la forme d’une campagne en ligne, suivie par plusieurs dizaines d’actes de violences. Un phénomène inquiétant dans un pays qui fait figure de refuge en Afrique de l’Ouest pour les minorités sexuelles et de genre.

© Régis Samba-Kounzi

En Côte d’Ivoire, l’homosexualité n’est pas pénalisée par la loi. Le fait est suffisamment rare dans la région, où la criminalisation des personnes LGBT+ va croissante, pour être souligné. La Côte d’Ivoire compte ainsi un réseau d’associations pro-LGBT+ ayant pignon sur rue : le Conseil national des droits de l’Homme ivoirien en a recensé 28 dans une récente « cartographie des LGBT en Côte d’Ivoire » . Ces organisations « sont régulièrement invitées par les ministères de la Santé ou de la Justice à participer à des ateliers ou séminaires gouvernementaux », souligne un rapport du secrétariat d’état aux migrations suisse sur la « situation des personnes LGBT en Côte d’Ivoire ». Depuis quatre ans se tient à Abidjan le festival Awawalé consacré à l’amélioration des droits et à la visibilité des personnes LGBT+.La Côte d’Ivoire a même lancé le premier magazine LGBT+ d’Afrique de l’Ouest. Autant d’éléments qui font que le pays de 28 millions d’habitants fait figure de société relativement tolérante à l’égard des minorités sexuelles et de genre. L’embrasement de ces dernières semaines n’en a été que plus marquant.

« C’est le premier mouvement social anti-LGBT+ que connaît le pays », souligne Brice Dibahi, fondateur de l’association ivoirienne Gromo qui défend les droits des minorités sexuelles. D’après le militant, c’est un cas de pédocriminalité présumée imputé à une personne homosexuelle qui a mis le feu aux poudres. Au début du mois d’août 2024, des influenceurs lancent une campagne en ligne « anti-woubis » – terme local désignant les homosexuels jugés efféminés – et des messages moqueurs, stigmatisants et haineux sont relayés vers des dizaines de milliers de followers. Le mouvement passe des réseaux sociaux à la rue : organisation de manifestations et agressions verbales et physiques s’ensuivent.

« Pas de protection pour les personnes LGBT+ »

Un groupe Whatsapp de plus de 450 personnes coordonné par l’association Gromo a collecté « 45 cas de violences basées sur le genre » au cours des quelques semaines où le campagne « anti-woubis » a agité le pays, relaie Brice Dibahi. Une centralisation des données communautaires sur les violences devrait être effectuée dans les semaines à venir. Le calme est désormais revenu dans les rues d’Abidjan, d’après l’activiste ivoirien. Début septembre, le Conseil national des droits de l’Homme a appelé la population « à renoncer à l’usage de la violence dans l’expression de son désaccord » ; des comptes TikTok ont été suspendus, une pétition en ligne « Stop Woubi » qui avait réuni plusieurs dizaines de milliers de signatures a été supprimée.

« Cela commence toujours par des violences verbales ! », insiste Brice Dibahi, pour qui ce qu’il vient de se passer marque un tournant inquiétant. La crispation de la société ivoirienne sur ces questions et l’expression publique de l’homophobie avaient toutefois commencé à émerger ces dernières années en Côte d’Ivoire.

En 2021, la mention de l’orientation sexuelle avait été retirée d’un projet de loi contre les discriminations déposé par le gouvernement, menant à « une situation floue, voire même un vide juridique », souligne le secrétariat aux migrations suisse. « En effet, s’il n’y pas de pénalisation de la sexualité des personnes LGBT, il n’y pas non plus de protection pour ces personnes. » Les précédentes éditions du festival Awawalé ont fait l’objet d’injures et de menaces en ligne. Et, la police n’a pas voulu protéger la dernière édition malgré des demandes répétées de la part des organisateurs. Le magazine pionnier destiné à visibiliser les personnes LGBT+ a été confronté à des freins administratifs et n’a pas pu perdurer après le numéro zéro.

En 2023,des leaders religieux – évêques, consistoire des protestants évangéliques, conseil supérieur des imams – dénonçaient tour à tour ce qu’ils considèrent comme l’influence croissante de l’homosexualité sur la société ivoirienne. « La visibilité que nous cherchons est mal interprétée », analyse Brice Dihabi, qui est désormais « inquiet » pour la prochaine édition du festival Awawalé.

Depuis longtemps, Ivoiriens et Ivoiriennes LGBT+ connaissent des situations tragiques du fait de leur orientation sexuelle. « Ces violences sont les plus souvent intrafamiliales », rappelle Aude Rieu, présidente de l’ARDHIS (Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et trans à l’immigration et au séjour). « Ce sont souvent des destins personnels, la situation bascule pour une personne dont la vie devient invivable dans son pays. » Les chiffres de l’ARDHIS sont éloquents : depuis 2005, l’association a accompagné 666 personnes originaires de Côte d’Ivoire. Seul le Sénégal la devance avec 786 dossiers. En 2023, la Côte d’Ivoire arrive en tête des pays d’origine des personnes accompagnées par l’association avec 32 cas, suivie par la République démocratique du Congo, le Sénégal, le Cameroun et l’Algérie [iii].

« On ne sait jamais comment les choses peuvent tourner »

Pour l’ARDHIS, il s’agit désormais de veiller « à ce que les instances de l’asile en France tiennent compte de ce qu’il se passe et que la Côte d’Ivoire ne soit pas vue comme une oasis pour les personnes LGBT+ en Afrique subsaharienne. » Et donc de lutter « contre la tentation de la Cour nationale du droit d’asile de considérer la Côte d’Ivoire comme un pays sûr. » D’autant plus qu’Aude Rieu ne serait « pas surprise que l’on voit dans les années à venir arriver des personnes marquées, effrayées par ce qu’il vient de se passer en Côte d’Ivoire ». Brice Dibahi confirme : « la santé mentale a pris un coup, on vit désormais dans l’inquiétude et la peur. Qui sait comment cela va ressortir ? »

Pour Christophe Broqua, chercheur au CNRS, spécialiste de l’homosexualité, des questions de genre et de masculinité en Afrique de l’ouest, « on ne sait jamais comment les choses peuvent tourner. Lors des prochaines élections, il faudra voir s’il y a une instrumentalisation de la question homosexuelle par les politiques, ce qui ne s’est jamais fait en Côte d’Ivoire. » L’élection présidentielle aura lieu en 2025. Brice Dibahi, lui, est « sûr et certain que les questions LGBT+ seront mises sur la table » : « certains partis vont s’en servir pour s’attirer la sympathie des électeurs », craint-il. Ce serait un signal alarmant, une bascule pour le pays. Selon un rapport du PNUD (programme des Nations unies pour le développement) publié en 2022, depuis l’indépendance en 1960, aucun chef d’état ivoirien n’a tenu de discours homophobe ou anti-LGBT+.

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