vih Vaccin contre le VIH : l’ARN messager peut-il changer la donne ?

21.10.21
Kheira Bettayeb
7 min
Visuel Vaccin contre le VIH : l’ARN messager peut-il changer la donne ?

Récemment, le laboratoire Moderna a annoncé lancer un essai clinique pour tester un vaccin anti-VIH, basé sur l’ARN messager. Cette technologie est-elle la solution qui permettra de enfin un sérum efficace ? Eléments de réponse.

Totalement inconnu du grand public il y a encore deux ans, l’ARN messager, dit aussi « acide ribonucléique messager »ou « ARNm », s’est illustré dans le cadre de la pandémie de Covid-19 : grâce aux recherches menées depuis 30 ans sur cette technologie, et aux moyens humains et financiers colossaux engagés pour faire face au nouveau virus, il a permis la mise au point rapide – en moins d’un an – des deux premiers vaccins anti-Covid autorisés en Europe, ceux deModerna et Pfizer/BioNTech.

« Le lancement de l’essai clinique de Moderna visant à tester cette technique contre le VIH chez l’humain, est une très bonne nouvelle. L’ARNm pourrait permettre de tester plus rapidement de nouvelles approches complexes et donc aider à accélérer la recherche ici », se réjouit Michaela Müller-Trutwin, cheffe de l’unité « VIH, Inflammation et Persistance » à l’Institut Pasteur de Paris. « Cependant, tempère aussitôt l’immunologiste, tout n’est pas gagné pour autant… » 

En effet, si le VIH a été découvert en 1983, il n’existe encore aucun vaccin efficace. Plusieurs centaines de « candidats-vaccins » ont été développés et certains testés chez l’humain… Mais à ce jour, aucun n’a mené à des résultats satisfaisants. Et pour cause : « développer un vaccin anti-VIH est beaucoup plus difficile que concevoir un vaccin anti-Covid, explique Michaela Müller-Trutwin. En effet, « le VIH mute beaucoup plus que d’autres virus, tels que le virus de la grippe ou l’agent de la Covid, le SARS-CoV-2 ».

Une nouvelle approche vaccinale

L’ARNm est une petite molécule biologique qui contient le « plan de fabrication » d’une protéine donnée ou de morceaux de cette protéine. Administré sous forme de vaccin, il permet de donner des instructions aux cellules de notre corps pour qu’elles fabriquent elles-mêmes les « antigènes », à savoir une molécule du virus ciblé ou une partie de cette molécule ; lesquelles vont ensuite apprendre aux cellules immunitaires à reconnaître et à attaquer l’agent infectieux si elles le rencontrent ultérieurement. Dès lors, il n’y a plus besoin d’administrer des protéines produites laborieusement en laboratoire ou des agents infectieux atténués ou inactivés, comme c’est le cas pour les vaccins « traditionnels ».

La piste de recherche qui donne le plus d’espoir ici actuellement, vise àinduire la production d’anticorps particuliers dits « neutralisants à large spectre » ou bNAbs (de l’anglais « broadly neutralizing antibodies ») ; lesquels sont capables de neutraliser plusieurs souches de virus et non une seule, contrairement aux anticorps « normaux ».

C’est justement l’approche suivie par Moderna : comme le précise la fiche de son essai clinique, publiée sur ClinicalTrials (le registre d’essais cliniques en ligne des Instituts de recherche médicale américains), cette étude clinique de phase I, prévue sur 56 adultes non contaminés par le VIH, vise à tester – entre autres – la capacité de deux candidats vaccins à ARNm (codant pour deux protéines du VIH : eOD-GT8 60mer et Core-g28v2 60mer) à induire des anticorps bNAbs.

Un problème subsiste néanmoins : alors que la vaccination classique nécessite seulement une à trois injections avec le même vaccin, les chercheurs pensent que l’induction de bNAbs nécessitera plusieurs doses contenant chacune un antigène à chaque fois un peu modifié. Ce qui signifie qu’il faudra fabriquer plusieurs candidats vaccins légèrement différents, adaptées aux différents variants du VIH pouvant apparaître au fil du temps.

Malgré tout, l’ARNm présente plusieurs avantages. Avec les techniques vaccinales classiques, à base de protéines ou de virus atténués ou inactivés produits en laboratoires, la conception d’une telle série de vaccins promet d’être très laborieuse et coûteuse… Mais pas avec l’ARNm : en effet, « l’ARNm présente plusieurs atouts le rendant plus adapté ici : il est plus simple et plus rapide à produire, et du coup moins coûteux », développe Michaela Müller-Trutwin.

Elle ajoute par ailleurs que « les vaccins à base d’ARNm ne nécessitent pas l’ajout d’adjuvants, ces produits destinés à renforcer l’action du vaccin ; ce qui facilite d’autant leur administration ». De quoi donner un coup d’accélérateur à la recherche d’un vaccin anti-VIH efficace et sûr.

Pas de solution miracle en vue

Malheureusement : « à ce jour rien ne garantit que la technologie de l’ARNm sera plus efficace que les autres approches testées jusqu’à présent ou encore testées actuellement pour induire des anticorps bNAbs : injection directe de tels anticorps fabriqués en laboratoire (approche d’ « immunisation passive ») ; administration de vecteurs viraux (virus inoffensifs) transportant des gènes codant pour des bNAbs ; etc. », poursuit la chercheuse. Et de rappeler que « jusqu’ici, plus de 400 candidats vaccins contre le VIH ont été testés dans des essais cliniques de phase I. Or la plupart se sont arrêté à cette étape, faut d’être assez concluants. Seuls 6 candidats vaccins ont atteint la dernière phase d’évaluation chez l’humain, les essais cliniques de phase III. Et pas un seul n’a dépassé les tests cliniques de phase III». 

Ensuite, si l’ARNm s’avérait finalement aussi efficace dans le cas du VIH qu’il l’a été contre le Covid, « nous n’aurons sans doute jamais un vaccin anti-VIH aussi rapidement, en moins d’un an », estime l’immunologiste.

Certes, la crise du Covid-19 a eu pour effet d’accélérer la maturation et l’utilisation en population générale de la technologie à ARNm. Cependant, « Le fort taux de mutation du VIH, fait qu’il faudra plus de temps pour arriver à un vaccin anti-VIH, qu’à un vaccin anti-Covid. Par ailleurs, l’essai actuel est le tout premier d’une série de 3 nécessaires pour le développement d’un vaccin (essais de phase I, III et III) ; il sert à vérifier que cette approche pourra bien induire des bNabs ; ce qui reste donc à être démontrée. »

Et la chercheuse de poursuivre : « De plus, même si cela s’avère être le cas, il n’est pas sûr qu’il sera possible de diminuer le nombre d’injections nécessaires, à seulement 1, 2 ou 3 comme pour une vaccination classique. Enfin, il est peu probable qu’autant de moyens humains et financiers soient mis à disposition afin d’écourter le processus de développement d’un vaccin grâce à la réalisation en parallèle – et non successive – des essais de phase I, II et III, comme cela a été fait pour les vaccins anti-Covid ».

Pour revenir à l’essai de phase I de Moderna, sa fiche sur ClinicalTrials annonce sa fin courant 2023, soit dans près de 2 ans. Si ses résultats sont concluants, il sera élargi à plusieurs centaines de personnes (essai de phases II) puis à des milliers (essai de phase III). Ce qui devrait nécessiter, au total, entre 5 à 10 ans. 

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