Vaccins, anticorps neutralisants à large spectre, traitements à longue durée d’action, médicaments curatifs… Pour enfin éradiquer l’épidémie de VIH, la recherche suit plusieurs pistes. État des lieux.
Près de quarante ans après la découverte du VIH, la recherche persiste. « Elle reste aussi efficace qu’à ses débuts », assure Yazdan Yazdanpanah, directeur de l’ANRS Maladies infectieuses émergentes, l’agence qui coordonne cette recherche contre le VIH.
Les vaccins
Une des grandes priorités reste le développement d’un vaccin. « Même si les traitements antirétroviraux (ARV) permettent aux personnes vivant avec le VIH (PVVIH) d’avoir une vie quasiment normale, aucun ne permet d’en guérir. Donc, un vaccin capable d’empêcher l’infection même est plus que jamais indispensable », plaide Michaela Müller-Trutwin, cheffe de l’unité VIH, inflammation et persistance à l’Institut Pasteur (Paris).
Techniquement, le développement d’un vaccin anti-VIH est plus complexe que celui contre la Covid-19 (développé en moins d’un an !). Et pour cause : « Le VIH est capable de muter beaucoup plus que d’autres virus et donc, d’échapper rapidement au système immunitaire, explique la virologiste. Il est alors plus difficile pour notre corps de produire des anticorps suffisamment efficaces pour le neutraliser… contrairement à ce qui se passe pour le virus de la Covid-19.»
En trente-huit ans, constate Michaela Müller-Trutwin, « seuls six candidats-vaccins ont atteint la dernière phase d’évaluation chez l’humain, soit l’essai clinique de phase III ; les résultats des autres candidats n’ayant pas été suffisamment encourageants ». Et, à ce jour, « un seul est encore en lice »: le produit ALVAC-HIV (vCP2438) + bivalent subtype C gp120/MF59, développé par l’industrie pharmaceutique Janssen, à base d’un assemblage de gènes issus de différentes souches du VIH, d’où son nom de « vaccin mosaïque ».
Une approche ambitieuse
Toutefois, ajoute Michaela Müller-Trutwin, « les efforts pour développer d’autres candidats-vaccins continuent ». En témoignent les dizaines d’autres produits actuellement en essais cliniques de phase I et/ou II.
L’un de ces produits a particulièrement marqué l’actualité de ces derniers mois. Il se base sur une des approches les plus ambitieuses testées à ce jour : l’injection d’anticorps capables de neutraliser non pas une mais plusieurs souches de virus. Il s’agit des anticorps neutralisants à large spectre ou bNAbs [i]. « Produits naturellement par seulement 1 % des PVVIH, mais ne conférant pas alors une protection suffisante, car ils sont souvent produits seulement jusqu’à deux ans après l’infection, ces bNAbs peuvent être développés en laboratoire », précise Michaela Müller-Trutwin. Or voilà que lors du congrès HIVR4P [ii], qui s’est tenu en ligne du 27 janvier au 4 février 2021, des chercheurs soutenus par l’institut américain NIAID [iii] ont annoncé des résultats qui apportent la preuve de concept de la faisabilité de cette stratégie.
En effet, lors d’études cliniques internationales dites AMP [iv], 4 623 volontaires ont reçu une fois tous les deux mois pendant plus d’un an et demi une injection d’un bNAb baptisé « VRC01 ». À lui seul, cet anticorps a neutralisé 30 % des souches de VIH ciblées. « Reste à trouver des combinaisons de bNAbs plus puissantes et un moyen de les produire en grande quantité ou, mieux, de les faire fabriquer par notre corps », commente Michaela Müller-Trutwin.
Le second candidat-vaccin en phase précoce d’évaluation chez l’humain à avoir fait l’actualité est le produit CD40.HIVRI.Env, développé par l’Institut de recherche vaccinale (VRI) [v]. Il repose sur une approche inédite : l’injection d’anticorps monoclonaux (produits en laboratoire) qui ciblent spécifiquement des cellules clés pour le déclenchement de la réponse immunitaire, les cellules dendritiques. En mars 2021, le VRI a lancé une campagne pour recruter 72 volontaires en Île-de-France susceptibles de participer pendant un an à un essai de phase I. Le but est d’évaluer la tolérance et la réponse immunitaire à ce vaccin [vi].
La prévention
La recherche anti-VIH continue à plancher sur un autre type de traitement qui vise également à empêcher l’infection par le VIH : la prophylaxie préexposition (PrEP). Recommandée aux personnes à risque d’infection, cette approche repose sur un traitement médicamenteux qui combine deux ARV (ténofovir + emtricitabine [Truvada®], et ses génériques) à prendre tous les jours. De quoi nuire à son acceptabilité. « Il est urgent de développer de nouvelles stratégies de PrEP plus discrètes et accessibles », insiste Serawit Bruck-Landais, directrice des programmes scientifiques et médicaux de Sidaction.
Une solution explorée est celle des ARV injectables à durée d’action prolongée ou « long acting ». Des résultats présentés au HIVR4P 2021 ont montré que l’injection bimestrielle d’une molécule de ce type, le cabotégravir,est plus efficace qu’une prise quotidienne de Truvada®, avec un taux d’infection de 0,38 %, contre 1,21 %, soit trois fois moins.
D’autres résultats récents, présentés à la CROI 2021 [vi], qui s’est tenue virtuellement du 6 au 10 mars 2021, ont montré que des implants sous-cutanés contenant un nouvel antirétroviral à longue durée d’action, l’islatravir (ISL ou MK-8591), sont bien tolérés et permettent une libération de médicament susceptible de suffire pendant au moins un an.
Les traitements
Côté traitements, plusieurs pistes sont explorées. La plus « simple » a pour but d’alléger le traitement des patients pour lesquels la trithérapie actuelle est efficace. En réduisant, par exemple, le nombre de prises médicamenteuses à quatre par semaine au lieu de sept. C’est l’approche testée par l’essai ANRS 170 Quatuor, mené en France auprès de 647 PVVIH. « Présentés à la CROI 2021, les derniers résultats de cette étude, obtenus à deux ans de suivi, confirment la non-infériorité de ce traitement », se réjouit Yazdan Yazdanpanah.
Une autre piste pour alléger les thérapies actuelles vise à se passer de traitement pendant plusieurs semaines, voire quelques mois. C’est le domaine des médicaments injectables à action prolongée –comme ceux à l’étude pour la PrEP, décrits précédemment. En fin 2020, l’Agence européenne des médicaments a approuvé le premier traitement de ce type : le cabotégravir, en association avec la rilpivirine, disponible pour l’instant uniquement sous autorisation temporaire d’utilisation (ATU), pour par exemple les PVVIH qui ont du mal à prendre leur traitement à la fréquence nécessaire (observance). « Une troisième molécule de ce type devrait bientôt arriver sur le marché : le lénacapavir », signale Yazdan Yazdanpanah. De nouveaux résultats dévoilés lors de la CROI 2021 confirment l’efficacité de cette molécule quand elle est injectée tous les six mois.
La « cure »
Reste que la piste de recherche la plus ambitieuse dans le domaine des traitements anti-VIH est celle qui vise à développer des traitements permettant non pas de « seulement » empêcher la réplication du virus – comme le font les ARV actuels –, mais de supprimer complètement le VIH du corps. Autrement dit, de guérir du VIH. C’est la recherche « cure » (« guérison », en français). Le défi est de réussir à éradiquer les cellules (notamment des lymphocytes T) où le VIH reste endormi, à l’abri des ARV et d’où il peut à nouveau se répliquer en cas d’arrêt du traitement.
« Pour tenter d’éliminer ces réservoirs viraux, un axe suivi consiste à agir sur le virus lui-même, en essayant de le faire sortir des lymphocytes T pour l’exposer aux ARV (c’est l’approche “kick and kill” [“déloger et tuer”]) en introduisant dans les cellules réservoirs des gènes qui les poussent au suicide, développe Michaela Müller-Trutwin. Un second axe a pour but de stimuler la capacité des cellules immunitaires à éliminer elles-mêmes les réservoirs. » Michaela Müller-Trutwin a copublié en février 2021 [viii] des travaux de recherche fondamentale qui suggèrent qu’il est possible de concevoir une immunothérapie pour pousser les cellules immunitaires dites natural killers ou tueuses naturelles (NK) à détruire les réservoirs viraux.
Dans son unité, à l’Institut Pasteur, l’équipe d’Asier Sáez-Cirión s’apprête à lancer un essai clinique de phase I/II prometteur pour la recherche « cure » : l’étude ANRS Rhiviera 02. « L’objectif est de déterminer si l’injection d’une combinaison de deux anticorps neutralisants à large spectre, développés par l’équipe de Hugo Mouquet, de l’Institut Pasteur, en collaboration avec des chercheurs américains de l’université Rockefeller, peut aider à diminuer les réservoirs viraux chez des personnes nouvellement infectées », explique Michaela Müller-Trutwin.
Ainsi, loin de faiblir, la recherche anti-VIH reste plus que jamais active. Certes, si la crise sanitaire liée à la Covid-19 – qui mobilise, à juste titre, énormément de moyens financiers et humains –, l’a quelque peu ralentie, elle continue cependant sur sa lancée. Plus doucement et plus discrètement que la recherche anti-Covid. Mais sûrement.
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[i] Pour Broadly neutralizing antibodies.
[ii] HIV Research for prevention (Recherche sur le VIH pour la prévention).
[iii] National Institute of Allergy and Infectious Diseases (Institut national des allergies et des maladies infectieuses).
[iv] Antibody Mediated Prevention (prévention par les anticorps). Études HVTN 704/HPTN 085 et HVTN 703/HPTN 081. En savoir plus : ampstudy.org/about.
[v] Vaccine Research Institute, créé par l’ANRS-Inserm et l’université́ Paris-Est Créteil (Upec) afin d’accélérer le développement de vaccins efficaces contre le VIH/sida et les maladies infectieuses (ré)-émergentes.
[vi] En savoir plus : https://volontaires.vaccine-research-institute.fr/.
[vii] Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections (Conférence sur les rétrovirus et les maladies opportunistes).
[viii] N. Huot et al., Nature Communication, 24 février 2021 ; doi: 10.1038/s41467-021-21402-1.