« Omicron est-il né d’une rencontre désastreuse entre le VIH et le Covid-19 ? », comme le titrait le magazine Slate le 2 décembre dernier. Emise par le chercheur qui le premier à identifié le nouveau variant du SARS-CoV-2, cette hypothèse a déjà largement circulé dans les média. Rien, pourtant, n’est moins vrai. Pour mieux comprendre comment évolue le virus, Transversal a interrogé Olivier Schwartz, directeur de l’unité virus et immunités à l’Institut Pasteur.
Transversal : Existe-t-il, comme on l’a entendu dernièrement, un lien entre l’émergence de variants du Covid-19 en Afrique du sud et le fait que ce pays soit le premier foyer du VIH dans le monde ?
Olivier Schwartz : Pour répondre à cette question il faut commencer par rappeler les mécanismes facilitant le développement de variants. Rappelons tout d’abord que les variants découlent de l’accumulation de mutations au sein d’une même population. Ceux-ci se développent plus facilement dans des régions où il y a une forte circulation du SARS-CoV-2 comme c’est le cas actuellement en Afrique du Sud. Ce phénomène est renforcé par le très faible taux de vaccination dans cette partie du monde (ndlr : environ 8 % de gens sont vaccinés sur le continent africain et 26 % dans la seule Afrique du Sud [i]). En effet, plus le virus a d’occasions de passer d’un individu à l’autre plus il aura de chance de générer des mutations qui vont elles-mêmes se multiplier puis donner naissance à des variants.
Ces derniers peuvent également se développer chez un même individu immunodéprimé, comme une personne vivant avec le VIH, particulièrement si elle n’est pas traitée. Et effectivement l’Afrique du sud est un pays qui compte beaucoup de personnes séropositives [ii], dont beaucoup ne sont pas soignées (5,1 millions ont une charge virale indétectable [iii]). Cela dit, les personnes vivant avec le VIH qui ne sont pas sous-traitements ne sont pas les seules personnes susceptibles d’être immunodéprimées. Cela concerne aussi des personnes sous chimiothérapie, certains greffés, des transplantés rénaux, des personnes qui prennent certains traitements immunosuppresseurs. Il y a même des personnes qui sont naturellement immunodéprimées même si c’est assez rare. Il ne faut donc pas stigmatiser les PVVIH !
Une troisième hypothèse suggère que le variant Omicron ait pu passer dans un autre réservoir animal où il aurait muté avant de repasser chez l’homme.
T. : Comment réagit le Covid-19 chez une personne immunodéprimée ?
O.S. : Chez les personnes immunodéprimés infectées par le Covid-19 le système immunitaire réagit moins efficacement. Il ne crée pas assez d’anticorps. C’est un peu comme si on donnait, pour une infection bactérienne, une dose sub-optimale d’antibiotique : c’est le meilleur moyen pour générer des résistances. Il s’agit ici du même mécanisme. Dans cette configuration, le virus s’adapte rapidement en mutant et peut subsister plus longtemps dans le corps. Lorsqu’une personne en bonne santé est infectée par le coronavirus, celui-ci est éliminé dans l’immense majorité des cas en une ou deux semaines, mais chez une personne immunodéprimée le Covid-19 peut se maintenir à bas bruit de longs mois, comme cela a été montré dans la littérature scientifique [iv].
T. : Sommes-nous vraiment sûrs que les variants Bêta et Omicron aient véritablement émergé en Afrique du sud ? Ou ont-il seulement été repérés là-bas, parce que le pays dispose d’une infrastructure de séquençage génomique plus avancée que dans les pays limitrophes ?
O.S. : C’est effectivement le cas. C’est pour cela que l’on ne dit pas qu’un virus a « émergé » dans un pays mais qu’il a été pour la première fois « identifié » dans un pays, ce qui n’est pas la même chose ! Malgré tout, il y a quand même des arguments faisant penser que c’est en Afrique du Sud ou du moins dans un pays limitrophe que le variant Omicron a commencé à se propager à fort niveau même si on n’a pas retrouvé à ma connaissance le patient zéro [v].
T. : Quelle est l’efficacité des vaccins contre le Covid-19 chez les personnes immunodéprimées ?
O.S. : Les vaccins contre le Covid-19 sont clairement moins performants chez ces personnes parce que leur système immunitaire n’est pas capable de répondre efficacement. En France, le problème se pose notamment pour les personnes qui ont le VIH sans le savoir. Encore 30 % de personnes ont été diagnostiquées à un stade avancé de l’infection en 2020, certains même à un stade sida. Leur système immunitaire est alors très dégradé. En les mettant sous trithérapies, on peut faire remontrer leur taux de lymphocytes CD4 mais souvent ce taux reste bas ou tarde à remonter.
Ils peuvent aussi, après plusieurs mois ou années de traitement, même avec une charge virale indétectable, rester immunodéprimés car leur système immunitaire n’est pas complètement rétabli et leur taux de lymphocyte CD4 reste encore bas, même si cela remonte progressivement. C’est pour cela qu’il faudrait absolument intensifier la surveillance épidémiologique de l’infection VIH en Afrique comme dans les pays développés. Malheureusement c’est l’inverse qui se produit. Depuis le début de la crise sanitaire les dépistages du VIH ont baissé partout dans le monde.
T. : Quand atteindrons-nous l’immunité collective ?
O.S. : Nous ignorons quel taux de vaccination sera nécessaire pour l’atteindre. Cela évolue et dépend du variant mais nous sommes encore loin du compte et nous devrons probablement aussi vacciner les enfants chez qui le variant Omicron se transmet beaucoup [vi]. Ce qu’il faut souligner, c’est qu’il ne suffit pas de vacciner en masse dans les pays développés. Il faut le faire partout dans le monde. Le slogan « No one is safe until everbody is safe » (En français : personne n’est en sécurité tant que tout le monde n’est pas en sécurité) est très juste. Nous ne serons pas tranquilles tant que la situation n’aura pas été traitée au niveau mondial. Il faut donc absolument accentuer la vaccination dans les pays à faibles revenus.
[i] Source : https://ourworldindata.org/covid-vaccinations (25,96 % personnes complètement vaccinées au 16 décembre 2021. 31,03 % en rajoutant les personnes partiellement vaccinées).
[ii] Environ 7,8 millions (5,2-10 millions) en 2020 pour 57 millions d’habitant.
[iii] Source : Unaids pour 2020.
[iv] Cela a notamment été observée chez une sud-africaine de 36 ans vivant et traitée pour VIH testée positive au SARS-coV-2 pendant 216 jours, chez qui on a relevé 13 mutations. Cas rapporté le 4 juin 2021 sur le site de prépublication medRxiv par l’équipe d’Alex Sigal et Tulio de Oliveira (université du KwaZulu-Natal), et relayé notamment par un article du Monde. Les principaux cas ont cependant été relevés chez des individus ayant une hémopathie maligne (lymphome, leucémie, myélome multiple) ou recevant un traitement immunosuppresseur suite à une transplantation d’organe ou une pathologie chronique.
[v] Quatre cas ont été testés positifs dès le 14 novembre au Bostwana, soit 10 jours avant l’Afrique du Sud. Les Pays-Bas ont annoncé deux prélèvements positifs au variant Omicron le 19 et 23 novembre. En Suède le premier cas repéré date du 19 novembre. En Israël le 20 novembre et au Royaume-Uni le 23 novembre laissant présager une propagation internationale de ce variant autour de la fin octobre selon un article de l’Express.
[vi] Actuellement 56,8 % de la population mondiale a reçu au moins une dose d’un vaccin du Covid-19 selon Our world in Data.