Dans le champ du VIH/sida, c’est en 2010 que l’Onusida a lancé son mot d’ordre ambitieux « zéro nouvelle infection, zéro discrimination et zéro décès dû au sida », un objectif qui prenait appui sur une décennie de baisse de l’incidence du VIH et sur les débuts, très tardifs mais engageants, de l’expansion de la couverture en antirétroviraux (ARV) à l’échelle internationale. Les années qui ont suivi ont été marquées par des avancées scientifiques majeures qui venaient conforter cette ambition : les premiers résultats encourageants relatifs à l’usage de microbicides étaient présentés en 2010 [1], suivis des résultats, également prometteurs, de la prophylaxie préexposition (PrEP) [2] et, l’année suivante, des résultats de l’essai HPTN 052 [3], qualifiés d’« avancée majeure de l’année » par la revue Science [4], démontrant qu’un traitement antirétroviral efficace prévenait la transmission du VIH au sein de couples sérodifférents.
La vision du « sans sida » à nuancer
À plus large échelle, les données disponibles venaient également conforter cette vision d’un « monde sans sida » : la croissance du nombre de personnes bénéficiant d’un traitement antirétroviral (8 millions en 2010, soit 25 % des personnes vivant avec le VIH, et plus de 21 millions en 2017, soit près de 60 %) s’est accompagnée, logiquement, de la décroissance des courbes des décès et des nouvelles infections. Dans ce paysage, la vision d’un monde sans sida est venue s’imposer, se déclinant en différents mots d’ordre et slogans. Le fonds américain Pepfar (President’s Emergency Plan for AIDS Relief) concevait, en 2012, une « AIDS free generation ». Un an après, l’ONU appelait à un « futur sans sida », puis l’IAS (International AIDS Society) s’associait à IAPAC (International Association of Providers of AIDS Care) pour envisager la « fin du sida » à l’horizon 2030.
Toutefois, ce mot d’ordre fédérateur s’est vu teinté de différentes connotations restrictives quand il a fallu préciser quels étaient les objectifs à atteindre, les stratégies à mettre en œuvre et les moyens à déployer. On parle désormais plus volontiers de « transition épidémique » [5], du « contrôle de l’épidémie » ou encore de la fin du sida « en tant que menace pour la santé publique », voire on convient d’élaborer des notions et des mesures suffisamment nuancées pour qu’elles puissent s’appliquer aux différents contextes et aux populations au sein desquelles l’épidémie évolue [6].
Un contexte peu favorable à la fin des hépatites
Plus récemment, la même rhétorique s’est développée dans le champ des hépatites virales, et c’est en 2016 que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a lancé l’initiative Towards ending viral hepatitis. Cette stratégie prend place dans un environnement où l’on dispose de moyens encore absents du champ du VIH/sida. La vaccination contre le virus de l’hépatite B est disponible depuis les années 1980, mais c’est au cours des années 2000 qu’elle a connu une forte croissance pour atteindre 84 % chez les enfants en 2017 [7]. La guérison de l’hépatite C est, elle, rendue possible dans 90 % des cas grâce à l’action des antiviraux directs [8] mis sur le marché au cours de la deuxième moitié des années 2010. À ces moyens s’ajoute la possibilité d’éliminer les transmissions en milieu de soins, par le recours aux seringues à usage unique et à la sécurisation des transfusions sanguines, ainsi que l’arsenal des mesures de réduction des risques liés à l’usage de drogues. Mais c’est dans un paysage globalement peu favorable que l’initiative de l’OMS prend place [9]. La mortalité liée aux hépatites reste en effet en croissance, les taux de dépistage très faibles (9% des personnes porteuses du VHB et 20% des personnes porteuses du VHC connaissent leur statut), l’accès aux traitements encore très limité (respectivement 8% et 7,4% des personnes dépistées). En outre, les injections en milieu médical conduisent encore à près de deux millions d’infections par les virus des hépatites B et C, et la couverture globale en programmes de réduction des risques à l’attention des usagers de drogues est estimée à moins de 10%.
La « quatrième épidémie »
Qu’il s’agisse du VIH [10] ou encore du VHB [11], des modélisations épidémiologiques sont venues soutenir la vision de l’élimination de ces épidémies. Mais au-delà de la performance des outils à disposition et de l’impact attendu de leur « passage à l’échelle », c’est aussi la qualité de leur déploiement qui est en jeu. Dans le champ du VIH, on constate déjà que les situations de résistance aux ARV les plus communément prescrits sont loin d’être anecdotiques [12]. Elles signalent que nous sommes face à ce qui a été appelé récemment la « quatrième épidémie » [13], celle des échecs thérapeutiques, qui affecte majoritairement les pays à ressources limitées, et dont les causes sont multiples : difficultés d’adhésion au traitement, usage d’ARV à faible barrière génétique, difficultés d’accès aux médicaments de deuxième et de troisième ligne, aux tests de résistance, et, plus généralement, fragilité des systèmes de soins.
Le dernier rapport de l’Onusida [14] met à juste titre l’accent sur le dépistage, mais pas un seul des facteurs de succès de la prévention et de la prise en charge ne doit être négligé si l’on veut faire en sorte que les appels à la « fin » des épidémies, du VIH comme des hépatites virales, ne constituent pas moins qu’une déclinaison de slogans creux.
[1] Abdool Karim Q et al, “Effectiveness and safety of tenofovir gel, an antiretroviral microbicide, for the prevention of HIV infection in women”, Science, 2010.
[2] Grant RM et al, “Preexposure chemoprophylaxis for HIV prevention in men who have sex with men”, N Engl J Med, 2010.
[3] Cohen MS et al, “Prevention of HIV-1 infection with early antiretroviral therapy”, N Engl J Med, 2011.
[4] Cohen J, “HIV Treatment as Prevention”, Science, 2011.
[5] Ghys PD et al, “Epidemiological metrics and benchmarks for a transition in the HIV epidemic”, Plos Medicine, 2018.
[6] Making the end of AIDS real : Consensus building around what we mean by “Epidemic control”, Unaids, 2017.
[7] Vaccination trois doses. Voir Global and regional immunization profile, OMS, 2018.
[8] Pawlotsky JM, “New hepatitis C therapies: the toolbox, strategies, and challenges”, Gastroenterology, 2014.
[9] Sur ces données, voir Global health sector strategy on viral hepatitis 2016-2021, OMS, 2016.
[10] Granich RM et al, “Universal voluntary HIV testing with immediate antiretroviral therapy as a strategy for elimination of HIV transmission: a mathematical model”, The Lancet, 2008.
[11] Nayagam S et al, “Requirements for global elimination of hepatitis B: a modelling study”, The Lancet Infectious disease, 2016.
[12] Gupta RK et al, “HIV-1 drug resistance before initiation or re-initiation of first-line antiretroviral therapy in low-income and middle-income countries: a systematic review and meta-regression analysis”, The Lancet Infectious Diseases, 2017. Les auteurs mettent en avant que les résistances prétraitement aux inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse sont supérieures à 10 % dans les régions d’Afrique australe et d’Afrique de l’Est.
[13] Laborde-Balen G et al, “The fourth HIV epidemic”, The Lancet Infectious Diseases, 2018.
[14] Savoir, c’est pouvoir, Onusida, 2018.