vih Vieillir avec le VIH

18.12.19
Cecile Josselin
12 min
Visuel Vieillir avec le VIH

« Durant leur vie professionnelle, beaucoup ont dû cacher leur maladie et cela générait un stress dont elles se sentent soulagées à la retraite »

« Quand mon médecin m’a appris que j’étais séropositif, il ne me donnait guère plus de trois mois à vivre. Ce n’est qu’avec l’arrivée des trithérapies, en 1996, que la possibilité d’un avenir s’est entrouverte pour moi. Il m’a ensuite fallu dix ans pour être vraiment rassuré par l’efficacité des trithérapies », nous confie Christophe Mathias, qui milite au sein de l’association Les ActupienNEs.Et c’est vrai que le sujet du vieillissement avec le VIH a longtemps semblé illusoire, à tel point qu’aujourd’hui les seniors concernés abordent leur retraite dans une relative, voire une totale, impréparation, avec des états de santé contrastés, quoique généralement bons.

D’une problématique parfaitement théorique il y a vingt-cinq ans, nous sommes passés en deux décennies et demie à un sujet parfaitement d’actualité puisqu’en 2015, on estimait déjà que la moitié des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) en France avait plus de 50 ans, 16 % plus de 60 ans, 5 % plus de 70 ans et 1,5 % plus de 75 ans. Des proportions qui ne cesseront de croître. Une étude néerlandaise estime en effet qu’en 2030, 39 % des PVVIH auront plus de 60 ans et 12 % plus de 70 ans. [1]

Des réalités différentes

Pour autant, cette situation recouvre des réalités très différentes, dont émergent deux grandes catégories. D’un côté, les personnes qui ont appris leur séropositivité avant l’arrivée des trithérapies et qui ont réchappé de justesse à la mort, avec parfois de graves séquelles ; de l’autre, des PVVIH dépistées après 1996 et qui ont pu être immédiatement prises en charge par des traitements efficaces. En 2013, selon l’étude ANRS Vespa-2, 41 % des PVVIH étaient dans la première catégorie et 59 % dans la seconde.

Au sein de ce deuxième groupe, nous pouvons également isoler un sous-ensemble constitué des personnes qui ont été dépistées récemment, suite à une contamination à un âge avancé. En 2016, 20 % des personnes dépistées avaient plus de 50 ans. Il s’agissait pour elles plus souvent d’un dépistage tardif, à un état plus avancé de l’infection. Ainsi, 20 % ont été pris en charge à un stade sida, contre 10 % parmi les 25-49 ans [2]. Il s’agit également d’une population sensiblement différente, constituée de moins d’hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) et de plus d’hommes hétérosexuels nés en France et pour lesquels le dépistage n’est pas une démarche naturelle. Les cent bougies récemment soufflées par le « patient de Lisbonne », dépisté séropositif à 84 ans, sont pourtant là pour nous prouver que le risque existe à tout âge !

Une contamination après 50 ans ne semble pas être un facteur de surrisque dans la progression de la maladie et des pathologies associées. La situation des personnes contaminées avant 1996 est a contrario plus problématique.

Les pathologies associées au VIH et dues à la toxicité des premiers traitements

Soumis au début de leur prise en charge à des traitements sous-optimaux et relativement toxiques, ces dernières ont pu passer par des phases de stade sida, parfois lourdes de conséquences. « On sait que la population VIH présente plus de troubles cognitifs qui peuvent résulter de séquelles d’infections opportunistes telles que la toxoplasmose ou la leucoencéphalopathie multifocale progressive (LEMP), rapporte Clotilde Allavena, infectiologue au CHU de Nantes, qui coordonne l’étude SeptaVIH sur les fragilités des PVVIH de 70 ans et plus. Nous pensons également que subsiste une toxicité résiduelle du virus sur le cerveau, mais cela n’est pas clairement établi. Nous avons un temps craint une épidémie de maladie d’Alzheimer au sein de cette population, mais cette hypothèse ne s’est pour l’instant pas vérifiée. »

Plus inquiétante peut-être est l’exposition des PVVIH à plus de comorbidités que le reste de la population. Parmi les plus fréquentes, citons les maladies cardiovasculaires, le diabète, les maladies rénales et les tumeurs malignes.

Certaines comorbidités sont dues au virus lui-même, d’autres à la toxicité des premiers traitements, comme le diabète ou la lipodystrophie. Néanmoins, grâce au progrès de la médecine, les nouveaux traitements ont de moins en moins d’effets secondaires. « Le problème aujourd’hui concerne plus la polymédication. Les gens souffrant de plus en plus de pathologies différentes en vieillissant, ils prennent de plus en plus de médicaments dont nous mesurons encore mal les interactions », prévient Laurence Meyer, professeure à l’université Paris-Sud.

En termes de maladies associées, les PVVIH sont plus sujettes à développer certains cancers viro-induits, tels que le cancer du col de l’utérus, le cancer du canal anal, le cancer du foie et les cancers hépatiques liés à la coïnfection avec le VHC. « Les PVVIH n’ont par contre pas plus de risque que le reste de la population de contracter un cancer du sein, un cancer de la prostate ou un cancer colorectal », assure Clotilde Allavena.

Un regard sur la maladie toujours dure à porter

« Psychologiquement, les PVVIH abordent assez bien leur passage à la retraite », note Maks Banens, démographe, auteur du livre Vieillir avec le VIH [3]. « Durant leur vie professionnelle, beaucoup ont dû cacher leur maladie et cela générait un stress dont elles se sentent soulagées à la retraite. »En vieillissant, le VIH passe aussi progressivement au second plan, voire se dissout dans les autres problèmes de santé.« De nombreux seniors nous ont dit qu’ils ne pensaient plus à leur traitement contre le VIH, car ils en ont d’autres pour le cœur, le diabète ou le cholestérol… Ces pathologies associées les font paradoxalement rentrer dans une certaine “normalité” », estime Maks Banens. Ce en quoi Ingrid [4], dépistée séropositive en 1994, ne le démentira pas :« À 64 ans, malgré vingt-neuf ans avec la maladie, je me sens en pleine forme et je préfère avoir le VIH qu’un cancer ou même le diabète. »

Mais au moment d’entrer dans un Ehpad, c’est le retour de balancier. « Leur admission est toujours compliquée. La direction craint le surcoût qu’occasionnerait leur intégration à cause des prises en charge médicales globales. Et les équipes soignantes demeurent réticentes par manque de formation à cause des représentations négatives qui restent liées au VIH », indique Vincent Bertrand, directeur de l’association Les Petits Bonheurs. Un constat confirmé par une étude conduite en région PACA [5]. Même si le problème de la dépendance des PVVIH est encore très prématuré (la Direction générale de la santé estimait en 2012 leur nombre à une centaine tout au plus dans ces établissements), l’étude montre que près d’un tiers du personnel des Ehpad émet des réserves sur leur admission. Pas étonnant donc que pour les sept personnes dépendantes, soutenues par Les Petits Bonheurs et âgées de 63 à 79 ans, leur entrée dans ces établissements ait marqué un retour au silence, seule manière de parer à toute discrimination. « Pour elles qui avaient réussi à accepter leur séropositivité, qui se sont battues pour la faire accepter et qui y sont parvenues, c’est une vraie souffrance de retourner dans l’anonymat », ajoute Vincent Bertrand.

Pour d’autres, l’anonymat est au contraire vivement recherché. Clotilde Allavenase souvient ainsi d’un vieux monsieur qui était presque ravi le jour où on lui a diagnostiqué un cancer de la prostate, car il pouvait dès lors donner une autre raison que son VIH à sa prise en charge à 100 %.

Une population qui se fragilise plus encore avec l’âge

La précarité économique des PVVIH, déjà plus élevée durant la vie active, s’accroît aussi mécaniquement lors du passage à la retraite.Les personnes diagnostiquées avant 1996 ont souvent eu du fait de graves problèmes de santé une carrière professionnelle hachée, quand celle-ci n’a pas été complètement interrompue, voire n’a jamais vraiment commencé, comme ce fut le cas pour Christophe Mathias. Sous traitement depuis 1990, il perçoit, comme 17,5 % des PVVIH en 2011 [6], une allocation adulte handicapé (AAH). Il se prépare aujourd’hui à percevoir dans quelques années le minimum vieillesse, dans un logement social qu’il se félicite d’avoir trouvé, car, comme nombre de PVVIH, il n’a pas pu accéder à la propriété. Du fait de leur difficulté à se projeter, de problèmes économiques et/ou de difficultés d’accès au crédit, beaucoup, notamment parmi celles qui ont été contaminées avant 1996, n’ont pas du tout anticipé leur retraite. Elles n’ont pas mis d’argent de côté et resteront indéfiniment locataires, ce qui constitue un facteur supplémentaire de fragilité.

Aujourd’hui, nous sommes encore au milieu du chemin. Nous commençons à bien connaître la situation des cinquantenaires et des septuagénaires, mais nous manquons de recul concernant la question de la dépendance, qui surviendra à un âge plus avancé. « Ce sera une autre problématique, mais il n’est pas du tout avéré qu’ils vieilliront plus vite ou plus mal que les autres », assure Laurence Meyer.

Les stigmates d’un VIH contracté à 53 ans au Cameroun

Si on ne meurt plus du VIH grâce aux trithérapies, l’annonce de la séropositivité reste à 20 comme à 56 ans un terrible traumatisme. Par peur de la stigmatisation, la mort semble même parfois préférable, comme ce fut le cas pour Ernestine*.

« J’ai été dépistée séropositive en 2010, alors que j’avais 56 ans. J’étais venue en France voir ma fille qui venait d’accoucher. J’en ai profité pour faire un bilan de santé, car je me sentais de plus en plus fatiguée.

Le médecin que je suis allée voir m’a envoyée dans un hôpital faire des examens de sang. C’est là qu’ils ont découvert ma séropositivité. Quand le médecin me l’a annoncée, je me suis réfugiée dans les toilettes où j’ai voulu me jeter par la fenêtre, puis m’empoisonner avec de l’eau de javel. Comme je restais prostrée à l’intérieur, ils ont appelé ma fille, qui est venue dans un taxi avec le bébé. Elle a frappé à la porte et m’a dit : “Tu es venue voir mon bébé. Alors, si tu veux mourir, je te donne le bébé et on se jette tous les trois par la fenêtre et on n’en parle plus.” Je lui ai ouvert la porte. Elle m’a tendu ma première petite-fille et j’ai compris en la voyant que je devais vivre.

Avec un psychologue, le médecin m’a expliqué que grâce aux nouveaux traitements, on ne mourrait plus du VIH. Mais je ne pouvais pas retourner dans mon pays. Si j’étais rentrée, tout le monde aurait su que j’avais le VIH. Je préférais plutôt mourir tout de suite. J’en ai parlé à mon mari qui a fait le test. Heureusement, il était négatif. En 2007, j’ai été victime d’un braquage dans l’agence de voyages que je tenais au Cameroun. J’ai été blessée par balle et trois hommes m’ont violée à tour de rôle. C’est comme ça que j’ai été contaminée.

Quand on a découvert ma séropositivité, j’avais presque 500 CD4. Du jour au lendemain, j’ai arrêté de manger. Je pleurais tout le temps. J’ai été tellement choquée que j’en ai perdu la vue. Après deux mois de traitement, je suis devenue indétectable, mais psychologiquement, je restais terrassée.

Au bout de quelque temps, une association m’a aidée à faire les démarches pour bénéficier de l’AAH et d’un appartement thérapeutique. J’ai acquis la nationalité française et mon mari m’a rejointe grâce au regroupement familial.

Aujourd’hui encore, je vis au jour le jour. Je me sens seule, car mes enfants sont loin et j’ai peur de l’avenir. Ce n’est pas ainsi que j’avais imaginé ma retraite, mais j’ai sept adorables petits-enfants et quand je les entends me dire : “Mamie, tu es la plus belle ! Mamie, quand viens-tu nous voir ?”, je me dis qu’il faut que je vive. Je dis souvent à ma première petite-fille : “Tu sais, tu m’as sauvé la vie”, car sans elle je n’aurai pas été dépistée en France. Et au Cameroun, je n’aurais jamais eu la force d’affronter le regard des autres. Même mon viol, je n’ai pas voulu en parler aux gendarmes à l’époque. Alors je remercie la France et je dis : “Le baobab** ne doit pas tomber”. Je dois vivre et même, si Dieu le veut, jusqu’à 100 ans.

* Son prénom a été modifié pour préserver son anonymat.

** Métaphore pour parler des ainés en Afrique. 

Notes

[1] M. Smit et al, Future challenges for clinical care of an ageing population infected with HIV: a modelling study, Lancet Infect Dis., juin 2015.

[2] Thi-Chiên Tran et al., « Découvertes de séropositivité VIH chez les seniors en France, 2008-2016 », Santé publique France, BEH n° 40-41, novembre 2018.

[3] Éditions L’Harmattan, 2018.

[4] Son prénom a été modifié pour préserver son anonymat.

[5] D. Naudet et al., « Le devenir des sujets âgés séropositifs : la question de l’admission en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes », La Revue de médecine interne, juin 2015. Une autre étude menée auprès de 599 Ehpad des Pays de la Loire montrait sensiblement la même chose.

[6] BEH n° 26-27, juillet 2013 : http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2013/27/pdf/2013_26-27.pdf

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