Si l’infection par le VIH est bien contrôlée par les traitements, le risque de développer des comorbidités est bien présent chez les patients vieillissants, nécessitant une prise en charge adaptée. Hébergement, suivi médical et santé mentale… Des associations se sont réunies à l’occasion des Journées “Vieillir avec le VIH” organisées par Sidaction, les 15 et 16 septembre derniers, pour évoquer tous ces sujets.
“On aurait préféré vieillir sans, mais il faut déjà vivre avec.” À la Mairie du 10e arrondissement de Paris, ce 15 septembre, les discussions vont bon train dès l’ouverture du séminaire. Les participants , dont les principales associations d’accompagnement de personnes vivant avec le VIH débutent la journée avec le discours de Florence Thune, directrice générale de Sidaction. Elle introduit le sujet du jour : vieillir avec le VIH. L’évolution des traitements n’a pas permis d’éradiquer l’épidémie, mais elle a permis aux patients de vivre avec le virus et d’atteindre une espérance de vie similaire aux personnes séronégatives.
Malgré tout, le vieillissement des patients n’est pas simple, loin s’en faut, et nécessite de mener une réflexion commune pour assurer un accompagnement adapté aux personnes vivant avec le VIH qui vieillissent. « Il y a eu plusieurs journées thématiques et études« , rappelle Corinne Le Huitouze, référente à Sidaction sur le thème “Vieillir avec le VIH” et à l’initiative de ces journées. Celles-ci existent depuis décembre 2018. “Les personnes vivant avec le VIH de plus de 50 ans sont très diverses”, certaines vivent avec le virus depuis longtemps, d’autres ont été infectées sur le tard. “On a constaté une méconnaissance des besoins”, assure l’animatrice.
Vieillir avec le VIH, une double peine
Si l’infection par le VIH reste, près de 40 ans après le début de l’épidémie, une source de discrimination, l’âge constitue une autre difficulté. Fred Navarro le connaît bien. Ce “séropositif depuis 1986” et activiste militant chez Act up-Paris dont les nombreux pins accrochés à sa veste de cuir parlent pour lui de sa longue histoire contre le VIH/sida est invité à témoigner.
Lui, contrairement à son compagnon, a survécu aux années sida, et “cohabite” avec le virus depuis 36 années. “Quand on me parle de vieillir avec le VIH, moi, je n’ai pas de recettes. Ce que je sais, c’est que je ne me refuse rien, la frustration à mes yeux crée des nœuds.” Avec le temps, le militant a appris à appréhender le virus. “Mon infectiologue en qui j’ai confiance, est devenue ma médecin traitant (…) et je prends du CBD à défaut d’antidouleurs, d’antidépresseurs”, confie-t-il.
La confiance en le médecin est primordiale, car la stigmatisation s’infiltre également dans le milieu médical. Avec l’arrivée des problématiques liées à l’âge, les patients doivent s’orienter vers de nouveaux soignants qu’il faut sensibiliser sur la maladie. Sans parler des départs en retraite des professionnels de santé qui ont connu l’épidémie de VIH, poussant le patient à devoir trouver un nouveau référent doté de bonnes connaissances et dépourvu de jugement.
Une charge mentale qui s’ajoute, souvent, à celle de cacher sa maladie. Aude Belliard et Sarah Ivon ont travaillé sur le sujet. Leur étude qualitative en partenariat avec le COREVIH Île-de-France Nord, sur le VIH au long court s’est basée sur des entretiens de 32 personnes vivant avec le VIH – 21 hommes et 11 femmes dont 23 ayant eu un parcours migratoire. Si les personnes décident de ne pas parler à l’entourage, cette volonté peut être amenée à évoluer au moment de la retraite. Une patiente citée par Sarah Ivon expliquait avoir peur de perdre la mémoire et d’oublier de cacher son traitement.
Comorbidités et santé mentale
L’infection par le VIH s’accompagne de comorbidités dont les professionnels n’ont pas toujours connaissance. Cancers, problèmes cardiovasculaires… “Le VIH est un amplificateur des composantes vieillissantes”, explique David Friboulet, psychothérapeute et responsable d’une enquête menée auprès d’une vingtaine de participants à la Maison de Vie, sur le bien-être et la santé mentale des personnes vivant avec le VIH. Les co-pathologies sont fréquentes.
L’avancé dans l’âge n’aide pas. “La vieillesse pèse sur le physique sans toujours avoir un lien avec le VIH.” Elle est un poids aussi sur la santé mentale. Il faut anticiper la fin de vie. Les personnes se sentent angoissées, affaiblies, seules, abandonnées par les hôpitaux et les associations, partage David Friboulet. La sexualité est tue.
Il y a un manque de coordination thérapeutique, remarquent les associations. Elle est pourtant nécessaire en raison de ces co-pathologies, mais aussi des effets indésirables générés par les antirétroviraux. “Il faut développer des programmes dans les services hospitaliers et associatifs, inclure la psychologie, parler de sexualité aux patients et renforcer la recherche”, résume le spécialiste.
Pour Julie Langlois, pharmacienne au CH Sud Seine et Marne et à la Société Française de lutte contre le Sida (SFLS), cette coordination pourrait être possible grâce au pharmacien. “La pharmacie est une étape clef dans le parcours VIH, surtout pour les personnes vieillissantes.” C’est une structure “de proximité, sans rendez-vous et gratuite”.
Il y a un manque de coordination thérapeutique, remarquent les associations. Elle est pourtant nécessaire en raison de ces co-pathologies, mais aussi des effets indésirables générés par les antirétroviraux.
“Le pharmacien a une visibilité sur les traitements pris par le patient et peut agir en cas d’interactions médicamenteuses. Il est aussi bien placé pour faire le lien avec tous les autres acteurs du parcours de soin”, dont les associations. Pour elle, il faut les former et les sensibiliser aux problématiques liées au VIH et à l’âge, et les encourager à être acteur dans l’éducation à la santé. Des entretiens pharmacologiques existent, mais elles ne sont pas ouvertes (et rémunérées) pour les personnes séropositives. Seuls les patients âgés polymédiqués sont concernés.
Où vieillir ?
Les deux autres préoccupations des seniors sont l’hébergement et la qualité de la fin de vie. Les Ehpad et structures d’accueil ne sont adaptés, ni sensibilisés à ces problématiques. L’autre solution, enviée par la plupart des personnes âgées, est de rester vivre à domicile et d’adapter le logement. Mais à quel prix ? Pour la fondation Les Petits Frères des Pauvres, “la 3e voie” pourrait être les hébergements partagés, dit aussi logements regroupés inclusifs encadrés par la loi Aide à la vie partagée de 2020.
“Des personnes font le choix de vivre ensemble, décident de l’accompagnement médical et des activités. Cela coûte moins cher”, présente Gauthier Faivre, directeur de la fondation. “Chaque locataire paie en fonction de ses pensions sociales. En général, elles paient entre 10 et 20 euros, pour garder de quoi manger et avoir des activités. Elles signent un bail, et sont donc chez elles. L’idée n’est pas de les renfermer. La place des aidants dans ces hébergements est centrale.” Leur création nécessite une recherche de fonds, “cela peut prendre plusieurs années”, confesse-t-il. Mais cette alternative pourrait peut-être charmer les associations VIH.
Et l’Afrique ?
Tout cela ne s’applique pas à l’Afrique, déplore Christine Kafando, Présidente de l’association Espoir Pour Demain au Burkina Faso. “L’espérance de vie est de 52 ans. L’accès au soin est difficile pour les personnes âgées. Vieillir coûte cher et beaucoup de personnes séropositives ne meurent pas du VIH, mais des comorbidités” qu’elles n’ont pas pu traiter, raconte-t-elle. Il faut payer le prix des médicaments des autres pathologies et les examens.
Elle raconte : “J’ai été dépistée de mon cancer en France grâce à mes amis. Si je ne les avais pas eu, je serais morte.” Pour Sidaction comme pour beaucoup d’associations, l’action en Afrique est primordiale. Florence Thune l’avoue : “On s’est battu pour que les pays aient accès aux génériques des antirétroviraux, mais on s’est reposé sur nos lauriers par la suite.” Tout est dit. Se battre pour nos aïeuls en France comme en Afrique n’est plus l’enjeu de demain, mais d’aujourd’hui.
Transversal : Le 15 et 16 septembre dernier Sidaction organisait les secondes journées « Vieillir avec », consacrées au vieillissement des personnes qui vivent avec le VIH. Pourquoi cette nouvelle édition ?
Corinne Le Huitouze : Ces journées sont particulières, elles permettent à des associatifs, des personnes qui vivent avec le VIH (PVVIH), des institutionnels, issus des Corevih par exemple, et des médecins de se réunir pour faire le point sur les besoins des patients qui vieillissent – de plus en plus nombreux – et de réfléchir ensemble aux réponses que l’on peut leur apporter. Nous avions prévu d’organiser d’autres journées plus tôt, mais l’épidémie de Covid nous en a empêché. Sur la liste de diffusion qui a été mise en place à la suite de la première journée, il est apparu, au cours de nos échanges, qu’il était important pour les participants de se retrouver « physiquement » pour faire de nouveau le point sur la situation des personnes qui vieillissent, sur les évolutions, mais aussi pour relancer une dynamique de travail commun.
T. : Le thème du secret était le fils rouge de cette seconde édition. Comment s’est-il imposé ?
CLH : Le VIH n’est pas une pathologie chronique comme les autres : le stigma qui y est lié est toujours très important. Beaucoup de personnes ne révèlent jamais leur statut et préfèrent en garder le secret. Ceci pose plusieurs problèmes lorsqu’elles vieillissent. Que faire quand une personne devient plus dépendante ? Peut-elle le confier à sa famille, par exemple. Comment celle-ci réagira ? C’est une source d’angoisse pour les personnes qui vivent avec le VIH. Vieillir est également souvent concomitant avec l’apparition de différentes comorbidités, en lien ou non avec les traitements. Elle complexifie le parcours de soin des personnes, avec le recours à de nouveaux professionnels de santé. Là encore, faut-il le dire aux médecins ou non ? Ne pas le dire aura un impact sur qualité des soins, la prise d’ARV n’étant pas conseillée avec certains autres médicaments par exemple. Le dire peut également générer, on le sait, à cause de l’image qui colle encore au VIH, une moins bonne prise en charge par les praticiens ou, même parfois, des refus de soins. On le voit le secret un élément central à considérer chez ceux qui vieillissent avec le VIH, parce il affecte négativement la santé mentale, la qualité des soins et, donc, la qualité de vie des personnes.
T. : Que pourrait-on faire pour mieux accompagner les PVVIH qui vieillissent ?
CLH : En premier lieu, on constate qu’il manque « un chef d’orchestre » pour coordonner les parcours de soins des personnes qui avancent en âge. Ce dernier pourrait notamment transmettre toutes les informations médicales nécessaires et faire le lien avec les autres professionnels de santé. C’est un moyen de lever la charge mentale de PVVIH. Par ailleurs, on manque cruellement d’espace où les personnes qui vivent avec le VIH pourraient se confier entre pairs : il faudrait multiplier des groupes de paroles dédiés aux PVVIH plus âgées. On manque également de témoignages publics de personnes âgés qui vivent avec le VIH : c’est dommage parce que ces témoignages seraient un bon moyen de lutter contre le stigma, de donner une autre image du VIH et surtout, parce qu’elles pourraient se reconnaître dans ces témoignages, de libérer la parole des personnes qui vieillissent.
T. : Un des problèmes évoqués lors de la première journée concernait l’hébergement des PVVIH dépendantes, l’inaccessibilité des EHPAD en particulier. La situation a-t-elle évoluée ?
CLH : Les choses ont bougé positivement. Plusieurs associations et des Corevih ont mis en place des formations à destination des EPHADs pour lever les a priori de ces établissements et accompagner l’accueil des PVVIH. Ce n’est pourtant qu’une première étape : il faut désormais les faire connaître. Notamment parce qu’il faudra former beaucoup et régulièrement, le turn-over des personnels dans les EHPADs étant souvent important. Autre progrès, deux décisions ont été prise par les autorités de santé pour faciliter l’hébergement des personnes dépendantes. Une dérogation a été mise en place pour autoriser les personnes qui vivent avec le VIH à entrer plus tôt dans les EHPADs, ce qui est une bonne chose considérant le phénomène de vieillissement accéléré lié au VIH. Par ailleurs, les appartements de coordination thérapeutique (ACT) et les maisons d’accueil spécialisées (MAS) sont désormais autorisés à garder les PVVIH après 60 ans, ce qui n’était pas le cas précédemment. En somme, on avance sur le sujet de l’hébergement, même si beaucoup reste à faire.