Au Nord comme au Sud, l’infection à VIH pèse, bien que différemment, sur la vies des femmes. Un point commun à leur expérience néanmoins, la stigmatisation et l’isolement qui les affectent durement.
Fatima* a appris sa séropositivité lorsqu’elle avait 15 ans. Aujourd’hui âgée de 23 ans, une question la traverse régulièrement. « Souvent, je me dis comment faire une annonce ? » raconte-t-elle depuis Bamako au Mali. « Comment la personne va-t-elle le prendre ? ». D’après elle, le fait d’ « annoncer son statut sérologique est plus difficile pour une femme, que si l’homme le fait . » Une différence qu’elle met sur le compte des inégalités de genre. « En tant que femme, nous sommes beaucoup plus exposées. Quand on est séropositive, on pense directement à une transmission sexuelle. Pour un homme, ce ne sera pas le même regard, car la société privilégie les hommes. Nous, on nous accuse directement. »
Une enquête communautaire menée à Djibouti en 2021 par l’association Santé féminine confirme les difficultés accrues que rencontrent les femmes vivant avec le virus. Il en ressort que le plus fort impact de la maladie est « la peur de la stigmatisation, la peur d’être reconnue », relate Dr Acina, fondatrice de l’association. « Pour prendre leurs médicaments, les patientes se voilent pour aller au centre de santé. Pour ne pas être reconnues, elles changent de voix, de gestuelle », décrit la pédiatre qui parle d’une véritable « obsession » occasionnant « beaucoup de fatigue ». « Le risque de divulgation du statut sérologique n’est pas un fantasme, c’est un risque réel », affirme-t-elle. « Parmi les personnels de santé, certains s’autorisent à divulguer le statut sérologique » décrit Dr Acina, évoquant des femmes obligées de déménager, de changer de pays.
Plus de la moitié des personnes vivant avec le VIH à travers le monde sont des femmes. Les dominations de genre accroissent leurs risques de contracter le virus. Elles ont moins accès à l’éducation, y compris l’éducation sexuelle, que les hommes ; elles sont plus précaires et dépendantes économiquement, plus exposées à des violences… Et lorsqu’elles vivent avec le virus, elles souffrent d’une stigmatisation accrue, d’un suivi inadapté, de carences d’informations.
Les inégalités liées au genre, un facteur aggravant d’exposition
Autant Fatima se trouve correctement accompagnée dans l’accès au traitement par la structure associative qui la suit depuis des années et dans laquelle elle est aujourd’hui personnellement engagée, autant elle regrette que « concernant la santé sexuelle et reproductive, on oublie les jeunes filles. Alors même que nous avons particulièrement besoin d’être conseillées. » A travers le monde, chaque semaine, environ 4 900 jeunes femmes âgées de 15 à 24 ans sont infectées par le VIH. D’après l’ONUSIDA, en Afrique subsaharienne, elles sont deux fois plus susceptibles de vivre avec le VIH que les jeunes hommes. Ainsi l’immense majorité des nouvelles infections chez les adolescents de 15 à 19 ans concerne des filles (six contaminations sur sept).
« On ne peut pas te donner des préservatifs sans t’expliquer comment on s’en sert », dénonce Fatima. Là encore, la stigmatisation et les préjugés de genre nuisent à l’information et à la communication sur ce sujet. Trop peu de jeunes femmes savent comment se protéger d’une infection et l’information sur la sexualité reste insuffisante. En Europe aussi, ces carences sont notables, et les jeunes filles, biologiquement plus susceptibles d’être contaminées, en pâtissent peut-être plus que les garçons.
Pour un homme, ce ne sera pas le même regard, car la société privilégie les hommes. Nous, on nous accuse directement.
Retour dans les années 1990. Christine Aubère est contaminée lors de son premier rapport sexuel. « Le monde s’écroulait », reconnaît celle qui se destinait à une carrière de sportive de haut niveau. « J’ai tout arrêté, la sexualité, par peur de contaminer l’autre » confie-t-elle. Puis, elle n’a eu de cesse de se rendre dans des établissements scolaires pour faire de la sensibilisation. Mais aujourd’hui, ces séances se tarissent, au grand dam de la militante. Pourtant, « être actrice de sa sexualité, savoir dire non » à un rapport non protégé, tout cela s’apprend, se transmet, se partage.
Elle souligne avec bon sens qu’elle ne peut tout simplement pas se comparer à un homme, ayant vécu avec le virus depuis sa situation de femme. Mais l’une des différences les plus évidentes est que les femmes ne participant pas ou très peu aux essais thérapeutiques, il n’y a pas eu de prise en compte des spécificités du corps féminin dans les traitements. Comme de nombreuses femmes, Christine Aubère a souffert du déplacement et de la fonte des graisses. « Mon corps ne m’appartenait plus » raconte-t-elle. « Les recherches et essais étaient alors orientées plus particulièrement en direction de la réduction de la transmission de la mère à l’enfant mais pas de la femme en tant que telle » rappelle-t-elle.
Les femmes, toujours un angle mort de la lutte contre le VIH
La prise en compte des femmes dans l’épidémie s’est faite de manière tardive en France, près de vingt ans après les premiers cas. Une première rencontre sur la thématique « Femme et VIH » s’est tenue en 1997, puis à partir de 2003, le Mouvement français pour le planning français s’est emparé du sujet avec la constitution d’un collectif interassociatif.
Mais l’absence de prise en compte spécifique des femmes perdure aujourd’hui. « Il n’y a pas d’accueil spécifique pour les femmes aujourd’hui. En tant que femme séropositive, où je vais ? » interroge Christine Aubère. Elle constate qu’avec les traitements, les personnes vivant avec le VIH ont moins fréquenté les associations, et que « aujourd’hui l’accueil ciblé existe moins ». Or le suivi gynécologique est très important. Et désormais une nouvelle question se pose : « comment vieillir avec le VIH quand on est une femme ? ».
Pascale Bastiani abonde dans ce sens. « Pour les femmes, il n’y a pas à franchement parler de communauté, d’espace où parler. » « Ca s’ouvre un peu avec les réseaux sociaux, qui ont permis de délier un peu les langues » Figure militante en Provence-Alpes Côte d’Azur, elle reçoit les confidences de femmes vivant avec le VIH qui lui glissent n’avoir jamais parlé de leur séropositivité à personne. Parfois, les enfants de ces femmes ignorent le statut sérologique de leur mère.
On estime que 40 000 femmes vivent avec le VIH en France. En 2020, les femmes représentaient 30 % des découvertes de séropositivité au VIH en France, lors d’une année marquée par une baisse notable des dépistages (-14 % entre 2019 et 2020). Dans l’immense majorité des cas (98 %), les femmes sont contaminées par des rapports hétérosexuels.
« On me met beaucoup en avant parce que peu de femmes s’expriment en public », explique Pascale Bastiani, qui a toujours témoigné à visage découvert depuis sa contamination survenue dans les années 1980. Avec les changements qu’ont subi les corps sous l’effet des traitements, de nombreuses personnes, en plus des lourds effets sur leur santé, se sont retrouvées complexées. « Il y a des femmes qui n’osent pas se montrer aussi pour ça », avance Pascale Bastiani, qui milite dans l’association AC SIDA. Christine Aubère aussi a toujours témoigné sous sa véritable identité. « Moi, je suis suivie, je suis dans le milieu militant, c’est plus simple d’avoir des informations, mais de nombreuses femmes vivant avec le VIH sont très isolées », prévient-elle. Son message d’alerte résonne au-delà des frontières.
* Le prénom a été modifié à la demande de la personne.