Le taux de prévalence du VIH est aujourd’hui inférieur à 1% au Burkina Faso, après une baisse initiée dans les années 2000. Le passage à une épidémie concentrée chez les populations clés soulève de nouveaux défis pour la lutte contre le VIH, auxquels s’ajoutent des difficultés liées à la crise politico-sécuritaire que traverse depuis une dizaine d’années ce pays du Sahel.
« Dans les années 2000, on sortait d’une période où le taux de prévalence était au plus fort, on parlait de plus de 7 % de la population générale vivant avec le VIH », se souvient la chercheuse Blandine Bila, qui a soutenu en 2011 une thèse d’anthropologie de la santé sur « Genre et médicament dans le contexte du sida au Burkina Faso ». Elle décrit « la peur » que suscitait le virus, « l’ampleur de la souffrance des PVVIH » et leur « épuisement financier » alors que le prix des traitements antirétroviraux (ARV) était très élevé.
L’accès progressif et gratuit aux traitements au cours des années 2010 a permis de faire chuter le taux de prévalence. De 7,17 % [i] en 1997, il est aujourd’hui de 0,6 % de la population générale, d’après l’ONUSIDA, soit environ 97 000 personnes vivant avec le VIH au Burkina Faso.
« C’est une évolution significative », souligne Victor Ghislain Somé, directeur exécutif de l’ONG REVS PLUS. « L’accès aux ARV qui était difficile auparavant est désormais gratuit. Les bonnes pratiques des structures communautaires se sont diffusées », résume-t-il. « Mais beaucoup d’efforts restent à faire auprès des populations clés », prévient-il. « Notre contexte est difficile. Le risque de rebond est très élevé au Burkina Faso ».
Une augmentation exponentielle du taux de prévalence chez les HSH
Victor Ghislain Somé a parfaitement en tête les résultats de la dernière « étude bio-comportementale sur le VIH » datant de 2022 [ii]. Elle a établi un taux de séropositivité de 6,8 % parmi les 1425 travailleuses du sexe ayant participé à l’enquête. Elle a aussi révélé l’augmentation exponentielle du taux de prévalence chez les HSH (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes), passé de 3,6 % en 2014 à 27,1 % en 2022.
Les résultats de cette étude menée auprès de 327 HSH à Ouagadougou et 185 HSH à Bobo-Dioulasso, les deux principales villes du pays, reflètent ce que le directeur de REVS PLUS observe au quotidien. Victor Ghislain Somé dit connaître une quinzaine de leaders communautaires HSH infectés en seulement quelques années. Le directeur associatif s’interroge : « est-ce qu’on ne doit pas revoir notre approche de sensibilisation ? Nos populations clés sont jeunes. Il faudrait développer des actions de sensibilisation visuelle adaptée, pour montrer que le VIH existe toujours. Et qu’il est donc crucial de renforcer les mesures de protection. » L’étude de 2022 constate entre autres « une régression dans l’utilisation du préservatif chez les HSH ».
« Ces dernières années, les financements des actions de prévention ont beaucoup baissé. C’est notre talon d’Achille au Burkina Faso. Les financements se sont surtout concentrés sur les 2e et 3e 95 [l’accès et l’efficacité des traitements, ndlr] », reconnaît Victor Ghislain Somé. « Il faut remettre le paquet sur la prévention avec des stratégies innovantes adaptées au contexte, notamment internet. » Il prône des campagnes en ligne « plus individualisées ».
Mais le contexte national pourrait compliquer ces démarches. Un projet de loi, adopté en conseil des ministres en juillet 2024, « consacre l’interdiction de l’homosexualité » . Il doit encore être examiné par l’Assemblée législative de transition pour entrer en vigueur. Il n’existe pour l’instant pas de législation pénalisant l’homosexualité au Burkina Faso.
Une environnement « complexe »
L’instrumentalisation de l’homophobie aurait même touché les relations que le pays entretient avec le Fonds mondial, qui traversent « un moment difficile », reconnaît une source proche du dossier. Sur fond de tensions inter-associatives autour de la réduction du nombre de structures bénéficiaires du Fonds mondial, le fait que des aides sont allouées à des actions destinées aux HSH aurait fait polémique et aurait suscité des accusations de promotion de l’homosexualité. « L’environnement est vraiment complexe », commente un autre acteur du secteur.
En 2022, la succession à quelques mois d’intervalle de deux coups d’état militaire ont porté au pouvoir le capitaine Ibrahim Traoré, sous l’autorité duquel les libertés publiques sont mises à mal. Le pays s’installe dans une « transition » à l’issue incertaine, les échéances électorales étant repoussées.
En ce qui concerne la lutte contre le VIH, « le contexte politique interne actuel n’empêche rien », affirme Blandine Bila. « Le système essaie d’assurer le suivi des patients. Le secrétariat permanent de lutte contre le VIH et les IST a toujours accès aux financements extérieurs, via le Fonds mondial. Ce sont surtout les structures communautaires mises en place avec des financements du Nord qui peuvent avoir certaines difficultés au vu du contexte politique », résume la chercheuse.
La suspension de l’aide au développement française à destination de plusieurs pays du Sahel en raison de tensions diplomatiques a en effet malmené plusieurs programmes de lutte contre le VIH. Les coupes budgétaires massives que connaît actuellement le budget français de l’aide au développement risquent d’aggraver la situation.
« Depuis un certain temps, les financements extérieurs baissent avec la diminution de la prévalence. L’infection est aujourd’hui à un niveau où elle n’est plus considérée comme un problème de santé publique majeur », observe Blandine Bila, membre du réseau anthropologie des épidémies émergentes.
2 000 000 de personnes déplacées
Dans ce contexte de raréfaction des financements alloués à la lutte contre le VIH, elle constate que « les populations clés tirent beaucoup les ressources ». Pourtant, « la majorité des femmes restent exposées et il faut absolument continuer à les accompagner, sinon la transmission mère-enfant va reprendre », s’inquiète Blandine Bila. « Il faut mener de front ces combats : ne pas lâcher ici pour aller affronter là-bas », conseille-t-elle.
D’après l’ONUSIDA, sur les 97 000 personnes vivant avec le VIH au Burkina Faso, 56 000 sont des femmes et 10 000 des enfants. « La transmission de la mère à l’enfant reste une préoccupation majeure », souligne l’OMS dans un rapport de 2023.
S’ajoute à cela de nouvelles difficultés apparues avec la crise sécuritaire qu’affronte le pays. Depuis le début des attaques djihadistes dans le nord du Burkina Faso en 2015, près de 10 % de la population s’est déplacée, soit environ 2 millions de personnes, d’après les dernières données publiées par le CONASUR (Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation) en octobre 2023.
Cela implique des perdus de vues. « Si un bénéficiaire qui se trouve dans une zone rouge n’est pas venu, nous ne pouvons pas y aller », reconnaît Victor Ghislain Somé. Actuellement, l’approche nationale prévoit un ravitaillement en ARV de six mois. Dans certains cas, le médecin peut porter la durée à un an si la charge virale est indétectable et la personne sous ARV depuis plus de cinq ans.
« Avec le déplacement de population, de nouveaux risques d’infection apparaissent et le risque VIH se maintient et pourrait même se démultiplier », analyse Blandine Bila. Elle cite « les viols liés aux attaques terroristes », « la promiscuité dans les camps de déplacés » et « la précarité des déplacés internes » pouvant impliquer des « relations sexuelles monnayées ». 82 % des déplacés internes sont des femmes et des enfants, d’après le CONASUR.
« Il faut mener des actions intenses de prévention dans les camps de déplacés », préconise Blandine Bila, qui veut croire que « des mesures peuvent être prises pour juguler ces risques, notamment grâce aux expériences acquises dans les réseaux communautaires ».
« Quelqu’un qui vit à 50 km du premier centre de prise en charge est dans une situation très précaire. Il va préférer utiliser le peu d’argent dont il dispose pour manger plutôt que pour se déplacer et avoir son traitement », décrit Victor Ghislain Somé. « Les premiers besoins portent sur la santé et l’alimentation », rappelait en juin dernier la militante burkinabè Christine Kafando, dont l’Association Espoir Demain œuvre dans un quartier pauvre de Bobo-Dioulasso. « C’est tellement important, c’est capital ».
Le Burkina Faso est classé 185e sur 193 pays à l’Indice de développement humain 2023–2024 du PNUD, et plus de 40 % des Burkinabè vivent sous le seuil national de pauvreté.
[i] Rapport sur le développement humain, Burkina-Faso, PNUD, 2001
[ii] Étude bio-comportementale sur le VIH et estimation des tailles des populations clés (HSH, TS, UD) au Burkina Faso en 2022 , rapport final de l’Institut de Recherche en Sciences de la Santé (IRSS), publié en mars 2023, étude commanditée par le SP/CNLS-IST avec le financement du Fonds Mondial.