vih VIH et allaitement : une recommandation très attendue

17.07.24
Kheira Bettayeb
7 min
Visuel VIH et allaitement : une recommandation très attendue

En mai dernier, à l’occasion de la publication de ses nouvelles recommandations concernant le VIH et la périnatalité, la Haute Autorité de santé a donné son aval pour l’allaitement au sein des enfants nés de mères vivant avec le VIH. Une décision qui doit encourager le dialogue entre la mère et l’équipe médicale.

CC BY 2.0 – danielpeinado.photo | Flickr

Les mères vivant avec le VIH peuvent allaiter leur bébé si elles prennent un traitement antirétroviral qui supprime efficacement le virus dans leur sang. C’est, en substance, ce que préconise la Haute Autorité de santé (HAS) dans ses dernières recommandations [i]. « C’est une avancée importante, estime Eva Sommerlatte, directrice du Comité des familles, qui a fortement milité pour cette évolution. Les demandes des mères vivant avec le VIH sur cette question vont enfin pouvoir être écoutées. »

Des bénéfices établis

En France, environ 1500 femmes vivant avec le VIH donnent naissance à un enfant chaque année, selon le rapport d’experts sur la prise en charge des personnes vivant avec le VIH (rapport Morlat). Les bénéfices de l’allaitement maternel pour les mères séropositives et leurs enfants sont désormais bien établis. « [Ils] sont les mêmes que pour tous les couples mère-enfant. Pour le bébé : le lait maternel est adapté à ses besoins nutritionnels et renforce son immunité. Il le protège de certaines maladies en réduisant les risques de développer des allergies, des maladies infectieuses, un surpoids, un diabète, etc. Pour la mère : allaiter réduit le risque de développer un cancer du sein ou un diabète de type 2. Pour certaines femmes, l’allaitement au sein peut aussi être une occasion de contact apprécié avec son enfant », explique la HAS.

Grâce au traitement antirétroviral (ARV) des femmes vivant avec le VIH enceintes ou allaitantes et au traitement prophylactique (préventif) des nouveau-nés, le risque de transmission du virus au nourrisson par le lait maternel est de moins de 1 %, d’après l’Académie américaine de pédiatrie. Aussi, dès 2010, l’Organisation mondiale de la santé a recommandé l’allaitement exclusif jusqu’aux 12 mois de l’enfant aux mères séropositives sous ARV et vivant dans les pays en développement, où des substituts sûrs au lait maternel ne sont pas toujours disponibles.

Puis, progressivement, à partir de 2018, plusieurs États européens et anglo-saxons ont donné leur aval : la Suisse, l’Allemagne, l’Angleterre, l’Australie, le Canada ou encore, depuis 2023, les États-Unis. En revanche, en France, le rapport Morlat estimait jusqu’alors l’allaitement « contre-indiqué » et préconisait l’emploi de lait artificiel.

Une décision partagée

Dorénavant, précise la HAS, « le sujet de l’allaitement doit être abordé pendant le suivi de grossesse ; il s’agit d’une décision partagée ». Cette dernière notion signifie que « les médecins doivent désormais impliquer la maman dans le choix de l’alimentation de leur bébé », éclaire Eva Sommerlatte.

Selon la directrice du Comité des familles, « cette évolution était cruciale, car la contre-indiction de l’allaitement a mené certaines mères à allaiter, soit sans le dire à leur médecin et, ainsi, sans bénéficier d’un encadrement médical adapté, soit en leur expliquant ouvertement, ce qui les exposait souvent à la mission difficile de devoir convaincre les soignants et au risque d’être culpabilisée ».

Hélène [ii], qui a fait le choix d’allaiter sa fille née en 2018, a été dans ce dernier cas de figure. « J’ai annoncé mon projet à ma gynécologue et à mon infectiologue. Pour les convaincre du bien-fondé de mon choix, j’ai dû argumenter, leur transmettre des documents scientifiques ainsi que les recommandations suisses et anglaises en faveur de l’allaitement… Ce qui a nécessité pas mal de temps et d’énergie…, rapporte-t-elle. Ensuite, juste après l’accouchement, j’ai dû affronter le staff médical de la maternité, qui était contre mon projet et a essayé de m’en dissuader, notamment en me culpabilisant. » Et de se réjouir : « Les nouvelles recommandations épargneront tout cela aux futures mamans qui décideront d’allaiter leur bébé.»

«Les nouvelles recommandations éviteront également bien des souffrances à des mères qui ont très mal vécu le fait de ne pas avoir pu allaiter», reprend Eva Sommerlatte. Andrea Mestre en sait quelque chose. « Pour ma première fille, le fait d’avoir des montées de lait et de ne pas pouvoir lui donner le sein a été particulièrement difficile, confie-t-elle. Surtout quand elle cherchait le sein. Je me sentais diminuée et dangereuse pour mon enfant. » Pour elle, qui envisage une nouvelle grossesse, le récent feu vert de la HAS est « une excellente nouvelle ».

Une autorisation sous contrôle

Reste toutefois que cet aval est soumis à plusieurs conditions strictes : un traitement ARV débuté avant la conception ou au premier trimestre de la grossesse ; un historique de suivi régulier, d’adhésion optimale au traitement et aux visites médicales ; une quantité de virus présent dans le sang maternel (charge virale) inférieure à 50 copies par millilitre, avec au moins six mois de contrôle virologique ; un engagement de suivi renforcé pendant toute la durée de l’allaitement au sein et une capacité de l’équipe médicale à réaliser l’accompagnement de la mère et de l’enfant. « Si l’un des critères n’est pas rempli, l’allaitement au sein est formellement déconseillé », souligne la HAS.

La HAS recommande également de « limiter la durée de l’allaitement et de ne pas dépasser six mois » (le risque de transmission s’additionnerait par mois d’allaitement) et un « allaitement exclusif dans les premiers mois » (car le lait en poudre fragilise les voies digestives, ce qui pourrait accroître le risque d’infection par le VIH). Surtout, l’instance de santé « propose » de poursuivre la prophylaxie du nourrisson pendant toute la durée de l’allaitement et jusqu’à 15 jours après son arrêt définitif. Habituellement, en France, ce traitement préventif est donné pendant deux à quatre semaines après la naissance.

Or ce dernier point inquiète plus d’une mère… « J’allaiterai mon prochain enfant sûrement juste deux ou trois mois, pour ne pas lui imposer trop longtemps la prise d’ARV », regrette Andrea Mestre. Hélène la rejoint : « Je suis heureuse de ne pas avoir dû donner un traitement à ma fille, sachant que je l’ai allaitée pendant douze mois. Si on m’avait proposé cette option, je l’aurais refusée… ou alors je n’aurais pas allaité. »

« Au Comité des familles, partant du fait qu’il n’existe pas à ce jour de preuve scientifique d’un bénéfice à donner une prophylaxie longue à un bébé allaité par une mère avec une charge virale indétectable, qui est observante et bien suivie, on espère que sur ce point le choix sera donné à la maman, affirme Eva Sommerlatte. Sans quoi, cela pourrait freiner certaines ou les amener à allaiter sans oser dire au médecin qu’elles ne souhaitent pas donner le traitement prolongé au bébé. Et ce, alors que l’objectif de ces nouvelles recommandations est aussi d’ouvrir le dialogue et d’éviter aux mères de devoir dissimuler leur choix. » Et de conclure : « [D’ailleurs] la prophylaxie du bébé n’a pas été retenue dans les recommandations des autres pays qui ont donné leur aval à l’allaitement maternel. » Les préconisations françaises n’ont sans doute pas fini d’évoluer…

Notes et références

[i] https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2024 05/recommandations_vih_grossesse_22_mai_2024.pdf
[ii] Le prénom a été modifié.

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