À la naissance, le système immunitaire d’un bébé n’est pas encore tout à fait mature. Le stock de lymphocytes est bien là, mais ces derniers ont encore besoin d’être éduqués, grâce à la rencontre avec différents pathogènes présents naturellement dans l’environnement. Par la suite, chaque individu développe des capacités de défense différentes, notamment en termes de tolérance face aux éléments rencontrés fréquemment dans son environnement. Enfin, au-delà de 75 ans, le système immunitaire décline de manière irréversible : c’est ce qu’on appelle le « vieillissement immunitaire » ou encore l’« immunosénescence ». Lorsque les chercheurs ont commencé à s’intéresser à ce phénomène, il y a de nombreuses années, leur intérêt s’est surtout porté sur les lymphocytes T, en montrant qu’avec le temps des marqueurs de différenciation très avancée étaient davantage présents ou encore que l’extrémité des chromosomes raccourcissait. Depuis, il a été montré que l’immunosénescence touche tous les compartiments du système immunitaire, aussi bien en termes de quantité que de fonction. Restait toutefois à comprendre comment le système vieillit et quels sont les facteurs qui accélèrent ce vieillissement.
Les cellules hématopoïétiques : source du système immunitaire
Pour comprendre l’épuisement du système immunitaire, il faut partir de la source : les cellules hématopoïétiques. Ces cellules sont les progéniteurs de toutes les cellules du sang, et donc des cellules du système immunitaire. Ce stock de cellules hématopoïétiques n’est malheureusement pas inépuisable, il sera utilisé tout au long de notre vie pour produire des lymphocytes et maintenir un système immunitaire efficace. Le but est de réussir à puiser raisonnablement dans ce stock, de façon à en avoir assez tout au long de la vie. Mais le chemin est long et semé d’embuches. Tout d’abord, chaque individu ne démarre pas avec le même stock de cellules hématopoïétiques ; ensuite, de nombreux facteurs extérieurs vont influer sur l’utilisation des lymphocytes et donc sur la nécessité de puiser dans le stock.
Inflammation : accélérateur du vieillissement immunitaire
L’inflammation, due à une forte sécrétion de molécules pro-inflammatoires, est l’un des facteurs influant sur le vieillissement du système immunitaire. C’est particulièrement le cas chez les personnes âgées, on parle alors de « inflamm-aging » (pour « vieillissemnt inflammatoire » en français) pour illustrer la production accrue de molécules pro-inflammatoires chez ces individus. Bien qu’il soit encore mal compris, il est certain que ce phénomène participe au processus d’immunosénescence, principalement à cause de la présence de débris cellulaires et de l’application d’un stress oxydatif sur le système immunitaire. L’inflammation n’apparaît pas seulement avec l’âge, elle est aussi fortement présente dans le cas d’infections, et cela à tout âge.
VIH et immunosénescence
Les chercheurs ont observé dès les années 1990 que les personnes infectées par le VIH présentaient un vieillissement du système immunitaire plus avancé. Aujourd’hui, nous savons que c’est principalement l’activation continue de ce système et l’inflammation chronique qui en découle qui en accélèrent le vieillissement. Chez les personnes vivant avec le VIH, les lymphocytes ont constamment besoin d’être renouvelés, ce qui épuise inévitablement le stock. Et bien que les traitements antirétroviraux soient très efficaces pour contrôler l’infection et ralentir l’immunosénescence, leur système immunitaire vieillit tout de même plus rapidement comparé à d’autres individus du même âge. Les conséquences sont nombreuses et similaires à ce qui est observé chez des personnes beaucoup plus âgées : une mauvaise réponse aux vaccins, une défense diminuée contre les infections ou encore le développement de certains cancers.
Une prise de conscience nécessaire pour les plus jeunes
Menée par l’équipe du Dr Victor Appay à l’hôpital de la Pitie-Salpêtrière (Paris), une étude [1] s’est intéressée au vieillissement du système immunitaire chez des jeunes âgés de 18 à 25 ans, infectés par le VIH avant l’âge de 13 ans. « Les sujets jeunes ont des ressources immunitaires robustes, nous nous attendions donc à observer un impact moins important de l’infection par le VIH chez ces sujets, explique Victor Appay. Nous avons été surpris de voir que l’impact était le même que celui observé dans nos précédentes études portant sur des sujets plus âgés. » Des résultats qui démontrent que le VIH impacte tout autant le système immunitaire malgré les ressources présentes au départ. Victor Appay ajoute : « Il est important de noter que chez les adolescents et les jeunes adultes le vieillissement prématuré du système immunitaire est relié à une charge virale qui reste haute malgré la mise en place des traitements. Nous savons que près d’un tiers des adolescents ne prennent pas leurs traitements correctement et/ou de façon régulière, ce qui pourrait expliquer cette réplication du virus non contrôlée et l’impact aussi important de l’infection par le VIH sur le vieillissement de leur système immunitaire ». En d’autres termes, il est impératif qu’il y ait une prise de conscience rapide des plus jeunes sur l’importance de la prise des traitements.
Bien qu’il n’y ait pas encore de solution miracle pour stopper le vieillissement accéléré dans le contexte de l’infection par le VIH, la prise d’un traitement précoce et continue permet au moins d’enrayer ce phénomène et d’offrir une meilleure qualité et de meilleures perspectives de vie aux personnes vivant avec le VIH. Rappelons qu’en plus de ralentir l’impact du VIH sur le système immunitaire, les traitements rendent surtout le virus indétectable dans le sang et empêchent donc sa transmission.
[1] Fastenackels S et al., “HIV mediated immune aging in young adults infected perinatally or during childhood”, AIDS 2019.