Conséquence des trithérapies, les personnes vivant avec le VIH vieillissent : en France, 30% d’entre elles ont désormais plus de 55 ans. Aujourd’hui, les associations tentent de mieux cerner les conséquences psychosociales chez les premiers concernés.
« Vieillir avec le VIH, c’est avant tout vieillir. Les similitudes sont nombreuses avec la population générale des seniors », constate Didier Rouault, directeur de la Maison de Vie, à Carpentras (Vaucluse). Tel est selon lui le premier enseignement à tirer de l’étude menée par son équipe auprès de 93 personnes vivant avec le VIH, d’un âge moyen de 60,5 ans, comparées à 200 seniors non-PVVIH.
Présentée fin avril lors des premières Rencontres de la Maison de Vie, l’enquête[i] révèle que les craintes et les espoirs des seniors face à leur vieillissement sont largement partagés, qu’ils vivent ou non avec le VIH. Parmi les attentes les plus fréquentes, la possibilité d’une nouvelle vie (33 % des PVVIH, contre 25 % chez les non-PVVIH) et d’une plus grande liberté (24 % vs 23 %). Et si la crainte du dépérissement est plus présente chez les PVVIH (34 % vs 25 %), ils s’accordent avec les autres seniors dans la peur de la solitude (49 % vs 42 %) et de la perte d’autonomie (53 % vs 59 %).
Les divergences entre les deux populations sont cependant notables, en particulier sur la santé. Plus habitués au système médical, plus touchés par les comorbidités, les seniors vivant avec le VIH ont non seulement une meilleure connaissance du parcours de soins, mais ils sont aussi plus nombreux à adapter leur stratégie de prévention, notamment cardiovasculaire. Parmi eux, 67 % ont déjà amélioré leur alimentation en raison de leur âge (contre 51 % des non-PVVIH), 50 % pratiquent une activité physique adaptée (contre 34 %) et 52 % disent avoir arrêté l’alcool (contre 37 %). « Il y a un vrai travail préventif qui est fait, ce n’est pas le cas de tous les seniors », souligne Didier Rouault.
Le poids d’une vie avec le VIH
Quant au vécu psychologique, il demeure délicat : « l’expérience du VIH continue à poser difficulté. Ces personnes se vivent souvent comme des victimes de guerre. Et même quand elles vont beaucoup mieux physiquement, le travail d’accompagnement doit être poursuivi », ajoute-t-il. Un soutien d’autant plus nécessaire que la solitude est monnaie courante. Et particulièrement pesante chez ceux demeurés sans enfant, ou ayant perdu leur conjoint.e du fait du VIH. A quoi peut s’ajouter la précarité financière, qui touche nombre de personnes contaminées de longue date, ayant connu l’aide adulte handicapé (AAH) et/ou une vie professionnelle chaotique, et qui se retrouvent avec une retraite très réduite, voire le minimum vieillesse.
Si la situation est souvent moins favorable que celle de seniors ne vivant pas avec le VIH, les signes d’espoir existent : « en 12 ans de direction à la Maison de Vie, j’ai vu la situation nettement s’améliorer, l’état de santé des personnes est meilleur. Chacun entre dans le vieillissement avec ses ressources et ses forces. Notre plus ancienne résidente est âgée de 79 ans, et elle est encore autonome grâce aux services d’aide ».
Un constat qui relativise l’accent souvent mis sur la question de l’accueil dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). « C’est très bien de former le personnel des Ehpad. Mais est-ce qu’il ne faut pas tout simplement une éducation plus globale ? Comme les autres seniors, ceux vivant avec le VIH parlent souvent des Ehpad en termes négatifs, ils n’ont pas envie d’y entrer. L’important, c’est avant tout d’œuvrer pour que les gens puissent conserver leur autonomie le plus longtemps possible », estime Didier Rouault.
Un sujet encore peu exploré
La question du vieillissement avec le VIH interpelle aussi Les ActupienNEs : « en fin de compte, on ne sait rien. Les personnes ont plein de comorbidités, mais on ne sait pas dans quelle mesure elles sont isolées, si elles prennent bien leur traitement », constate Christophe Matthias, membre de l’association. En cela, l’étude menée par Les ActupienNEs sur 43 seniors (âge moyen de 60,6 ans) est riche d’enseignements. Menée lors d’entretiens de groupe, elle révèle une réalité loin des clichés, parfois mal perçue par les personnes elles-mêmes.
« Lorsqu’on demande aux gens s’ils sont isolés, ils nous répondent souvent non. Mais la bonne question, c’est ‘si demain vous subissez une opération qui nécessite une anesthésie, que vous êtes dans l’obligation que quelqu’un vienne vous chercher, saurez-vous à qui vous adresser ?’. Très souvent, ils ne le savent pas. ». Idem pour l’observance, qui serait, selon la perception générale, plutôt meilleure chez les personnes contaminées de longue date, bien au fait des bénéfices du traitement. « Presque la moitié ne sont pas observantes. Mon hypothèse, c’est qu’ils en ont ras-le-bol de la prise de médicaments, surtout quand d’autres se surajoutent. Les effets secondaires, qu’ils soient réels ou imaginaires, conduisent à une mauvaise observance », avance Christophe Matthias.
Une recherche publique à étoffer
Alors que les associations lancent leurs propres enquêtes, que dit la recherche publique sur le sujet ? Pour l’instant, bien peu. Plusieurs études ont été menées, mais elles ont davantage porté sur les aspects médicaux, rarement sur le vécu des personnes. Un angle mort que les associations déplorent. Selon Didier Rouault, « il y a eu un déficit de sciences sociales au cours de la décennie 2010. Les recherches menées ont surtout porté sur le prévention, en particulier sur la PrEP, et sur les comportements comme le chemsex ».
« Les sciences sociales de ces dernières années ont été entièrement orientées vers la PrEP. Et on entend sans arrêt dire que [l’infection par le VIH] est devenue une maladie chronique, puisqu’il y a les comprimés. Donc tout roule ! », renchérit Christophe Matthias. Celui-ci a récemment présenté à la direction générale de la santé (DGS) les résultats de l’étude des ActupienNEs, et demander à ce qu’elle serve de pilote pour une étude de plus grande taille. Le ministère s’est engagé à aborder le sujet avec les investigateurs de la future étude VESPA 3, en cours d’élaboration -VESPA 2 a été menée en 2011-, afin qu’ils incluent un volet spécifique sur le vieillissement.
Parmi les investigateurs de VESPA 3, Bruno Spire, ancien président de Aides et responsable de l’équipe « santé et recherche communautaire » dans l’unité mixte de recherche SESSTIM[ii]. Contacté par Transversal, il confirme que le vieillissement sera bien abordé dans VESPA 3, qui visera à « mieux documenter les conditions de vie ». « Nous voulons nous intéresser aux besoins spécifiques de cette population. Le sujet du vieillissement ne porte pas que sur le VIH, mais aussi sur toutes les comorbidités, comment ces personnes s’en sortent avec leurs différents médecins », explique Bruno Spire. Menée aussi bien par questionnaires quantitatifs que par entretiens qualitatifs, VESPA 3 sera lancée en 2023, et livrera des résultats préliminaires en 2024 en vue d’« analyses approfondies » attendues pour 2025.
Des études d’une temporalité différente
L’étude, qui inclura 3.000 personnes, permettra d’explorer largement le sujet : comportements de santé, ressentis, solitude, santé mentale, observance, etc. « Nous inclurons des personnes âgées et contaminées de longue date, d’autres qui l’ont été tardivement. Ce qui, en termes de vécu, n’est pas du tout la même chose », explique le chercheur. Interrogé sur les enquêtes associatives, Bruno Spire souligne leur complémentarité : « elles sont pertinentes car elles permettent de lancer un sujet. Elles livrent un résultat rapide, mais elles n’ont pas la même valeur en termes d’éclairage des pouvoirs publics [que celles issues de la recherche publique]. Plus la méthodologie est solide, plus le travail est long ! ».
Coordinatrice de l’étude ANRS SeptaVIH, seule cohorte au niveau mondial à se pencher spécifiquement sur les plus de 70 ans, Clotilde Allavena, infectiologue au service de maladies infectieuses et tropicales du CHU de Nantes, estime que « s’il y a peu d’études sur le vieillissement, c’est aussi parce que nous avons encore très peu de personnes vraiment âgées dans nos files actives. Et les nouveaux seniors ne pensaient pas qu’ils atteindraient cet âge ».
L’étude SeptaVIH, qui a en particulier porté sur la fragilité physique, comportait une sous-étude menée par un anthropologue. Conduite aussi auprès des aidants et des médecins traitants, elle a permis de « hiérarchiser les problèmes ressentis par les gens ». Et de montrer que « le poids du secret demeure extrêmement lourd, pour le patient et pour l’aidant, qui peut être la seule personne au courant. Dans la prise en charge globale, il faut tenir compte de cette complexité ».
Une complexité bien saisie par les associations : « il n’y a pas un seul type de senior vivant avec le VIH. La typologie diffère selon la date de contamination, le parcours de vie, l’histoire thérapeutique, l’origine géographique. Certains ont des enfants, d’autres sont aidants auprès de parents très âgés », explique Didier Rouault. Pour Clotilde Allavena, « c’est en menant plusieurs études sur le sujet que nous mettrons en évidence ces besoins. Et que nous pourrons espérer avancer ».
[i] L’étude a été menée par le cabinet Stethos, spécialisée dans les « études de marché et de marketing de conseil dans le domaine de la santé », avec le soutien du laboratoire ViiV Healthcare.
[ii] Sciences économiques et sociales de la santé & traitement de l’information médicale. SESSTIM est une unité mixte de recherche de l’Inserm, l’IRD et Aix Marseille Université.