L’équipe de recherche menée par la Dr Francesca Di Nunzio à l’Institut Pasteur vient de montrer, dans les macrophages, que la transcription inverse de l’ARN viral en ADN pouvait avoir lieu dans le noyau. Cette découverte, publiée dans la revue EMBO Journal, vient remettre en question le dogme selon lequel la transcription inverse s’effectuerait exclusivement dans le cytoplasme de la cellule.
C’est un fait connu : le virus VIH a besoin de la cellule pour se multiplier, détournant donc la machinerie cellulaire à son profit. Pour cela, il doit intégrer son génome viral dans celui de la cellule. Le génome présent dans la capside étant de l’ARN, le virus doit pouvoir le convertir en ADN en vue de l’intégration, ce qu’il fait via l’étape de transcription inverse. Les différentes études menées sur des lignées cellulaires et les lymphocytes T CD4 ont permis de définir que cette étape cruciale pour le virus est réalisée dans le cytoplasme de la cellule. Une fois la molécule d’ADN virale produite, elle est importée dans le noyau afin de s’intégrer au génome cellulaire et permettre au virus de compléter son cycle viral. Tel est le point sur lequel tous les scientifiques s’entendaient. Jusqu’à récemment.
En effet, les travaux menés par l’équipe de Dr Francesca Di Nunzio, avec l’aide de l’unité d’imagerie et modélisation dirigée par le Dr. Christophe Zimmer à l’Institut Pasteur, semblent contredire ce dogme. Une combinaison de techniques de biologie moléculaire et de microscopie de pointe a été utilisée pour mettre en évidence une activité de transcription inverse dans les noyaux de macrophages infectés [i]. Comment les chercheurs en sont-ils arrivés à cette conclusion ?
Des clusters d’ARN viral dans le noyau des cellules
Au travers d’expérimentation in vitro sur des lignées cellulaires monocytaires, les chercheurs ont mis en évidence la présence de molécules d’ARN issus de différents virus dans le noyau des cellules. Ces ARN se regroupent sous forme de clusters, où des molécules d’ADN viral ont également pu être détectées. Ces clusters se situent dans des structures nucléaires qui restent éloignées de l’ADN de la cellule.
Fort de ces résultats, la question s’est posée de savoir si ces clusters pouvaient être associés avec les facteurs nucléaires présents dans ces structures. D’après les analyses dans les cellules infectées, les protéines CPSF6 et SC35, impliquées dans le processus de maturation des ARNm [ii], se situent au niveau de ces clusters. Ces données font sens puisqu’il a été montré que la protéine CPSF6 interagissait avec la capside virale et serait impliquée dans la régulation des étapes du cycle viral allant de l’import nucléaire au site l’intégration [iii].
Suite à la découverte de ces clusters, restait à savoir si les génomes viraux présents en leur sein provenaient bien des virus ayant nouvellement infectés la cellule. Les expérimentations ont permis de valider que les ARN retrouvés dans le noyau ne proviennent pas de molécules synthétisées suite à l’intégration de l’ADN viral mais qu’ils sont bien issus de virus ayant infectés la cellule. Concernant l’origine de l’ADN viral, si l’on s’en tient au dogme établi, ces molécules sont le produit d’une transcription inverse dans le cytoplasme. Pour autant, les résultats ont prouvé que cet ADN viral est bien synthétisé dans le noyau de la cellule.
Une activité de réverse transcription dans le noyau des macrophages
Qu’en était-il de la production locale de nouvelles molécules d’ADN viral ? Se faisait-elle au sein du cluster à partir de l’ARN génomique accumulé dans ces niches? Pour vérifier cette hypothèse les chercheurs ont décidé d’inhiber l’étape de rétro-transcription du cycle viral, en utilisant un inhibiteur réversible de transcription inverse, la nevirapine, un antirétroviral utilisé en thérapie chez les PvVIH. Les données indiquent qu’en absence de processus de transcription inverse dans les cellules, de l’ARN viral est bel et bien retrouvé dans les clusters. Les différentes approches expérimentales ont permis d’aboutir à la conclusion que les ADN viraux retrouvés dans les clusters sont les produits d’une transcription inverse des ARN présents dans le cluster nucléaire, prouvant ainsi l’existence d’une activité de réverse transcription dans le noyau des macrophages (Figure).
Une dernière question, et non des moindres, concernant les molécules d’ADN ainsi produites restait en suspens. Pouvaient-elles générer des formes provirales aptes à être transcrites en ARNm en vue de la production de protéines virales et ainsi compléter le cycle viral conduisant à la production de nouveaux virus ? Les analyses ont révélé que ces molécules d’ADN représentent pour la majorité des formes non intégrées de génome mais qu’une minorité donne vie à des provirus qui sont transcrits. Pour finir, les chercheurs ont validé les résultats obtenus dans leur modèle cellulaire dans des macrophages issus de donneurs sains.
Pour conclure ces données dévoilent que dans les macrophages, les génomes ARN du VIH forment des clusters nucléaires où ils peuvent être rétro-transcrits et conduire à la formation d’ADN viral qui peut générer des formes provirales transcriptionnellement compétentes. Ces clusters forment des centres de retrotranscription viral dans le noyau. Evidemment, cette étude vient bousculer la théorie d’une transcription inverse exclusivement cytoplasmique. Et elle n’est pas seule puisque que deux autres études américaines récemment publiées viennent corroborer ces résultats [iv].
On constate au travers de cette étude que le virus trouve toujours le moyen d’arriver à ses fins, notamment en modifiant son environnement pour qu’il soit propice à sa protection et lui permette de se multiplier. Ces données ouvrent une nouvelle voie de recherche où il reste encore du travail à abattre pour comprendre les mécanismes à l’origine de la formation de ces clusters et leur potentielle fonctionnalité.
[i] DOI 10.15252/embj.2020105247
[ii] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3039535/
[iii] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6146805/ et https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32665593/
[iv] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32665593/ et https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32483230/