Chute d’exhaustivité de la déclaration obligatoire (DO), difficultés de coordination des acteurs, faible réactivité… la surveillance épidémiologique du VIH connaît d’importantes difficultés, jetant un doute quant à la fiabilité des données annuelles.
Depuis 2003, l’infection par le VIH est inscrite sur la liste des maladies à déclaration obligatoire (MDO), ce qui engage les professionnels de santé à déclarer tout diagnostic positif aux autorités sanitaires, dans un objectif de veille épidémiologique. D’abord sous format papier (formulaires CERFA), la déclaration s’est dématérialisée en 2016 avec la mise en place de la plateforme e-DO, d’abord spécifique au VIH avant d’être ouverte en 2022 à la tuberculose.
Bien que ce dispositif soit censé accélérer la procédure, le système de surveillance connaît au contraire de nombreuses difficultés. Un chiffre en témoigne, celui du taux d’exhaustivité de la DO : en 2018, il était de 74 %, puis de 68 % en 2019, de 60 % en 2020 et de 59 % en 2021. Afin de corriger ce manque d’informations, Santé publique France (SpF) recourt à un « redressement » des données brutes par les résultats de l’étude LaboVIH, menée chaque année auprès de l’ensemble des laboratoires de biologie médicale. Problème, le taux de laboratoires participants diminue aussi : compris entre 85 % et 89 % jusqu’en 2017, il n’était plus que de 66 % en 2021.
Une surestimation du nombre de découvertes VIH ?
En matière de veille épidémiologique, cette chute des déclarations, aussi bien de la DO que de LaboVIH, pourrait être lourde de conséquences. Dans un avis publié le 14 novembre, le CNS évoque même « une probable surestimation du nombre de nouvelles découvertes de séropositivité », indice phare du bilan publié chaque année par SpF à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida. Coprésident de la commission « systèmes de surveillance épidémiologique » du CNS, Pascal Pugliese, par ailleurs président du COREVIH [i] Paca-Est et praticien hospitalier au CHU de Nice, estime « possible qu’il y ait une surestimation du nombre de cas. Mais nous ne sommes pas en mesure de dire quelle en est l’ampleur ».
« D’autres données suggèrent une baisse du nombre de prises en charge à l’hôpital, ce qui pourrait refléter l’efficacité du TasP et de la PrEP [traitement comme prévention, prophylaxie pré-exposition]. Or cela ne se voit pas clairement dans les données de Santé Publique France », ajoute-t-il. Interrogé quant à la possibilité d’un recul épidémique passé inaperçu, François Dabis, président du comité de pilotage de la Stratégie nationale de santé sexuelle et président du COREVIH Nouvelle-Aquitaine, se montre prudent : en l’absence de mesure réelle de ce phénomène, rien n’exclut que « des personnes de plus en plus fragilisées dans leur accès aux soins » échappent au dépistage, tempère-t-il.
Des difficultés organisationnelles et techniques
Dans son avis, le CNS dresse la liste des nombreuses difficultés rencontrées par la DO. Parmi elles, le parcours du résultat : si, à l’époque du format papier, le formulaire suivait un parcours linéaire (initié par le laboratoire, il était complété par le médecin prescripteur du test, avant de remonter vers les autorités régionales), le dispositif e-DO repose sur un système de double déclaration, d’une part par le laboratoire, d’autre part par le médecin prescripteur du test. Dès lors, « chacun fait sa déclaration sans tenir compte de ce que fait l’autre », souligne Pascal Pugliese. Egalement en cause, des difficultés techniques et organisationnelles lors de la saisie des données, ainsi qu’une communication parfois insuffisante entre SpF et les déclarants – en particulier les techniciens d’études cliniques (TEC) des COREVIH.
Aux problèmes spécifiques à e-DO, s’ajoute peut-être un ras-le-bol administratif de professionnels de santé souvent proches du burn-out. « Le Covid-19 est passé par là, les priorités ont été différentes. Santé Publique France et les COREVIH n’ont peut-être pas suffisamment relayé le message de l’importance de cette déclaration obligatoire, sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une tâche administrative. Il faut communiquer différemment avec les déclarants, leur faire comprendre le sens et l’importance de la déclaration obligatoire en termes de santé publique », estime Pascal Pugliese.
Revoir les fonctionnalités d’e-DO
Face à ces difficultés, la question d’une réforme du système est à l’étude. Une nécessité qui coïncide avec une possible révision de la plateforme e-DO, jugée obsolète en termes de sécurité des données. Un arbitrage quant à l’avenir d’e-DO, et au financement de cette éventuelle révision, est en cours au ministère de la Santé, et nul ne sait ce qu’il en sortira. Pour le CNS, qui appelle à « programmer sans délai et financer le redéveloppement de la plateforme e-DO », cette remise à plat est l’occasion d’en améliorer les fonctionnalités, et donc de fluidifier la DO.
Plutôt que de recourir à l’étude LaboVIH pour le redressement des données brutes de la DO, le CNS propose que ce rôle soit attribué à LABOé-SI. Mis en place durant l’été, ce système d’information repose sur le même modèle que le SI-DEP, en vigueur entre mai 2020 et juillet 2023 pour le dépistage du Covid-19. A ce jour, LABOé-SI n’est ouvert qu’à cette dernière maladie, mais devrait être progressivement étendu à d’autres maladies infectieuses. Peut-être même au VIH, une intégration que le CNS souhaite « prioritaire », et qui « pourrait permettre, sous certaines conditions, de disposer d’un système de surveillance exhaustif du dépistage du VIH à même de se substituer au dispositif de l’enquête LaboVIH ».
Vers une réforme du système
Selon François Dabis, « nous sommes probablement sur une fin de cycle quant aux maladies à déclaration obligatoire. L’évolution des besoins a été plus rapide que celle des moyens. Je ne pense pas qu’on sortira du système de la déclaration obligatoire, mais il doit évoluer. Et la crise Covid nous a appris qu’on pouvait faire différemment ». La nécessité d’une évolution semble comprise par l’ensemble des acteurs : au-delà de l’avis du CNS, SpF (qui n’a pas donné suite aux demandes d’interview) planche déjà sur le sujet, avec l’appui du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC). Idem à l’ANRS-MIE [ii], où un groupe de réflexion se penche sur les méthodes statistiques à employer, avec des conclusions attendues au premier semestre 2024.
Le sujet d’une refonte de la veille épidémiologique sera aussi central dans les réflexions en cours sur l’avenir des COREVIH. Instaurés en 2005, ces comités comptent le recueil des données épidémiologiques parmi leurs missions – et notamment l’appui à la DO via leurs TEC. Face aux difficultés actuelles, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) a appelé, dans un récent rapport, à retirer cette mission aux COREVIH, pour la confier aux cellules régionales de Santé publique France. Une piste qui, selon plusieurs interlocuteurs, ne devrait pas être retenue par le ministère de la santé.
Selon François Dabis, « les COREVIH jouent une fonction importante et reconnue de production de données. Mais il n’existe pas de référentiel précis en la matière, et ce travail est très variable d’une région à l’autre ». Raison pour laquelle, selon le CNS, il s’agit de renforcer le rôle des COREVIH, en le précisant plus clairement dans les futurs textes réglementaires.
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[i] Comité de coordination régionale de lutte contre les IST et le VIH
[ii] Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales -Maladies infectieuses émergentes