vih VIH : Les collectivités locales, un rôle central malgré des compétences limitées

12.07.21
Vincent Michelon
9 min
Visuel VIH : Les collectivités
locales, un rôle central malgré des compétences limitées

En France, la lutte contre le VIH et la politique sanitaire en général relèvent principalement des compétences du ministère de la Santé et des agences régionales de santé. Pour autant, les collectivités locales remplissent historiquement un rôle important, qui s’est accru ces dernières années au niveau des métropoles.

En France, la santé reste un domaine jalousement gardé par l’État. Qu’il s’agisse de l’organisation du système de soins, de la supervision des établissements de santé et des établissements médico-sociaux ou de leur financement, les ministères (Santé, Comptes publics) ont la main sur le pilotage de la politique de santé en général. Dans les territoires, les agences régionales de santé (ARS), établissements publics administratifs créés il y a une décennie, constituent le bras armé de l’État dont elles déclinent la stratégie, en matière de prévention, de régulation et de répartition de l’offre de soins, de formation et de parcours de soins.

Si le conseil de surveillance des ARS compte des représentants des collectivités locales, au même titre que des représentants d’usagers, le champ très large de compétences du directeur général et la tutelle directe du ministère de la Santé en font des structures déconcentrées de l’État et non des autorités décentralisées. Les réformes de 2004 puis de 2009 ont même tendu à accroître cette centralisation à la française de la politique de santé. 

Bien que cette organisation perdure à travers le temps, les collectivités locales ont pourtant investi, depuis longtemps, plusieurs champs de la politique de santé. Historiquement, elles sont associées de près à la politique de lutte contre le VIH, principalement en termes de prévention, via notamment le soutien financier aux associations qui œuvrent dans ce domaine. 

Des compétences marginales sur le papier

Le tableau actuel de la répartition des compétences reste totalement déséquilibré. Au nom de l’égalité entre les territoires, l’État et ses satellites gardent le contrôle des établissements médico-sociaux et leur schéma d’organisation, la définition des objectifs de santé publique, notamment dans le domaine des infections sexuellement transmissibles (IST) et du VIH. 

Les communes, parmi leurs attributions, disposent de compétences limitées dans le champ de la santé. Elles ont globalement un « devoir d’alerte et de veille sanitaire » par le signalement des menaces imminentes pour la santé de la population. Elles peuvent aussi créer et gérer des établissements médico-sociaux, subventionner la création d’équipements publics sanitaires dans les déserts médicaux, inciter à l’installation de professionnels de santé, participer aux conseils de surveillance des établissements de santé – c’est le cas de la ville de Paris au sein de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), par exemple. Ces deux institutions sont d’ailleurs associées, par exemple, dans le fonctionnement du Centre de santé sexuelle Paris Centre (4e arrondissement), structure cumulant le rôle d’un centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD), de centre de planification familiale et la prise en charge globale en santé sexuelle.

Les départements ont des compétences dérogatoires à celles de l’État en matière de définition des politiques médico-sociales sur leur territoire, mais aussi, à l’instar des communes, d’alerte sanitaire et de lutte contre les déserts médicaux. En outre, ces collectivités peuvent, moyennant une convention avec l’État, conduire des opérations de vaccination ou de dépistage des IST. Le département peut aussi gérer des structures de prévention santé (CDPS) ou des CeGIDD, à l’instar de la Seine-Saint-Denis. 

Quant aux régions, leur champ d’action est limité, mais non sans impact. Elles peuvent contribuer au financement d’équipements sanitaires dans des territoires prioritaires, attribuer des aides pour l’installation ou le maintien des professionnels de santé ou encore favoriser la prévention auprès des populations fragilisées. Les régions sont notamment connues pour gérer des centres régionaux d’information et de promotion de la santé sexuelle (Crips), comme en Île-de-France ou en Provence-Alpes-Côte d’Azur. 

Un rôle politique et opérationnel croissant

Très tôt en première ligne face à la pandémie de sida, les grandes métropoles mondiales ont historiquement investi le champ de la prévention, notamment à travers le soutien aux associations de terrain. Leur rôle est toutefois resté longtemps marginalisé, comme le soulignait encore en 2010 l’ancien directeur exécutif d’Onusida, Michel Sidibé. « S’il ne fait aucun doute que les villes sont importantes dans la riposte au VIH, elles n’ont pas été suffisamment mobilisées et soutenues », clamait alors ce dernier, regrettant que « très peu de villes fassent preuve d’un leadership audacieux » en matière d’accès à la prévention, au traitement et aux soins. 

Le lancement de l’initiative « Les villes s’engagent », en 2014, a marqué à ce titre un tournant. L’initiative, portée largement par la ville de Paris, et visant à faire siens les objectifs d’éradication de la pandémie à l’horizon 2030 portés par Onusida, a conduit, à travers la Déclaration de Paris, à créer un réseau de métropoles pilotes (plus de 300 dans le monde) dans le domaine de la prévention, du dépistage et de la prise en charge des populations, les « fast track cities ». L’initiative a abouti en 2016 à la création de Paris sans sida, structure associative étroitement liée à la mairie de Paris. Une entité créée en lien avec l’ARS, l’Assurance maladie, l’AP-HP et les acteurs de terrains, conçue comme « un outil juridique » destiné à « aider les acteurs à se structurer, les aider financièrement » et les accompagner par des actions de communication, nous expliquait son ancienne directrice, Eve Plenel, fin 2018.

Concrètement, Paris sans sida a mené de front plusieurs chantiers, dont le plus emblématique est probablement l’accélération de l’offre de dépistage, avec son corollaire, l’accès à la prophylaxie préexposition (PrEP) pour les populations-clés, dans un contexte favorable de réduction des nouvelles contaminations dans la capitale. On peut également citer l’opération « Au labo sans ordo », menée conjointement avec l’Assurance maladie à Paris et dans les Alpes-Maritimes, qui propose l’accès au dépistage au sein de laboratoires privés sans ordonnance, dont un bilan publié fin 2020 par Santé publique France fait état d’une hausse nette des dépistages sur ces territoires [i]. 

« Historiquement, Paris, comme d’autres grandes villes, a été touché de plein fouet par l’épidémie. Beaucoup d’acteurs associatifs se sont mobilisés rapidement. La Ville de Paris a su les soutenir, il le fallait », résume Jean-Luc Romero-Michel, adjoint parisien à la lutte contre les discriminations et président-fondateur d’Elus locaux contre le sida (ELCS). Pour l’élu parisien, « le rôle des villes en matière de santé est certes limité, mais essentiel. Parce que le maire et les élus de la commune sont au contact chaque jour de la population, des associations, parce qu’ils sont en première ligne. Le sida est un virus qui se combat d’abord par la prévention et donc par la parole, le savoir et la lutte contre les idées fausses. Le rôle des élus de terrain est donc particulièrement adapté à cette mission ». À ce jour, près de 16.000 élus ont d’ailleurs signé le manifeste d’ELCS, qui décerne un label aux collectivités les plus engagées. Du reste, l’initiative Paris sans sida a fait des émules en France, puisque plusieurs agglomérations ou collectivités – Lyon, Bordeaux, Marseille, Nice, Seine-Saint-Denis – s’assignent désormais les mêmes objectifs. 

On peut enfin souligner que Paris déploie depuis 20 ans une importante action internationale en matière sanitaire. Elle a ainsi mobilisé en 2020 près de 1,7 million d’euros de subventions pour des programmes portés par 17 associations françaises en Afrique, en Haïti ou encore en Europe de l’Est. Depuis 2001, 30 millions d’euros ont ainsi été mobilisés par la collectivité pour lutter contre le sida dans le monde. 

Une région peut également s’investir plus avant dans le champ sanitaire, en accompagnement de politiques conduites au niveau national. À titre d’exemple, la région Île-de-France a, au-delà des subventions aux structures de prévention, financé ces dernières années l’approvisionnement en autotests, ou encore créé en 2019 un mécanisme complémentaire à la convention Aeras, visant à permettre à des publics souffrant de pathologies chroniques d’accéder à l’assurance emprunteur sans surprime pour contracter un crédit.

Vers un élargissement des compétences ?

Ces succès, mais aussi l’expérience acquise au cours de la pandémie de Covid-19, poussent aujourd’hui des élus à plaider en faveur d’une décentralisation de tout ou partie des politiques de santé. Il y a un an, au lendemain de la première vague de l’épidémie, le collectif Territoires Unis (qui regroupe l’Association des maires de France, l’Association des départements de France et Régions de France) s’était associé à une initiative de la majorité sénatoriale pour appeler à un nouvel acte de décentralisation, incluant le champ de la santé. 

Les élus locaux pointaient en particulier le rôle des ARS, jugées insuffisamment efficaces dans leur réponse à l’urgence sanitaire. Certains ont, à ce titre, proposé de réformer la gouvernance de ces institutions et d’en confier les clés aux collectivités locales. « Les collectivités ont développé une expertise certaine et ont été mises à rude épreuve. La crise du Covid-19 a bien montré les limites d’une stratégie nationale aveugle aux spécificités locales », estime ainsi Jean-Luc Romero, pour qui « les compétences accordées aux régions doivent être logiquement redessinées ». « La décentralisation de certaines compétences seraient en effet bénéfique. Mettre l’ARS sous la tutelle des régions serait bien plus efficace que l’actuelle tutelle de l’État qui a vraiment montré ses limites. »

Le Sénat devait entamer le 7 juillet l’examen du projet de loi relatif à la « différenciation, la décentralisation, la déconcentration » [ii]. À l’occasion, figure précisément cette proposition d’une réforme de la gouvernance des ARS, permettant a minima une meilleure représentation des élus de terrain. 

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